Cet article fait partie de l'édition spéciale Quels outils numériques pour moderniser la PAC?.
Le numérique a pris une place centrale dans le secteur agricole européen ces derniers temps. Mais son intégration à la politique agricole commune post-2020 reste incertaine.
Amélioration de la compétitivité, limitation des intrants, optimisation des rendements…les nouvelles technologies peuvent rendre une service crucial à l’agriculture. C’est pourquoi l’industrie agroalimentaire se montre particulièrement motivée sur le sujet : elle appelle les décideurs politiques à créer un cadre facilitant la modernisation des fermes européennes.
De son côté, l’exécutif européen insiste sur les pratiques d’agriculture de précision, c’est-à-dire produire plus avec moins d’intrants. Grâce à des drones et des capteurs, l’agriculteur pourra ainsi, demain, contrôler le moindre détail de son exploitation, de l’arrosage aux pesticides.
En pratique, cela signifie que l’impact environnemental sera réduit puisque la bonne quantité d’intrants sera utilisée. Par ailleurs, les coûts généraux seront aussi moins élevés en raison d’une moindre dose d’intrants.
États membres et innovation
Dans ses nouvelles propositions pour la PAC, la Commission laisse plus de marge de manœuvre aux États membres pour élaborer leurs stratégies nationales en fonction de leurs besoins spécifiques. Cette approche sur mesure a alimenté le débat sur une tentative de « renationalisation », ce que nie officiellement l’exécutif.
Dans une interview avec Euractiv Roumanie, le commissaire européen à l’Agriculture, Phil Hogan, indique que dans la future PAC, les États membres et non la Commission européenne dirigeront plus précisément le soutien financier à l’innovation et la numérisation de l’agriculture.
« Le budget pour l’agriculture de précision dépend des besoins et des dotations budgétaires précises dans le cadre de l’enveloppe globale de la PAC que les États membres recevront », a-t-il souligné.
« L’expérience de la PAC actuelle, appliquée dans 28 États membres aux climats, méthodes de production et traditions différents, montre que Bruxelles ne peut plus déterminer ce qui doit être fait dans chaque État membre », a-t-il ajouté.
Dans ses propositions, la Commission a souligné le rôle des technologies dans la simplification des contrôles des exploitations agricoles ou la vérification, par exemple, de la rotation des cultures, l’une des exigences de la PAC afin de préserver la biodiversité et la santé des sols.
Les critiques suggèrent que sans une approche concrète à l’échelle de l’UE, les États membres ne se tourneront pas vers des solutions axées sur l’innovation.
Excès d’efforts sur le contrôle
En outre, on reproche à l’exécutif de se concentrer de manière disproportionnée sur les contrôles et non sur la digitalisation sur le terrain.
« Dans les propositions et les discussions actuelles de la PAC, nous observons davantage une politique utilisant la numérisation et les technologies de l’information pour faciliter l’observation et la conformité qu’une politique visant à stimuler l’adoption et l’application de ces techniques révolutionnaires en agriculture », a déclaré Yara, une multinationale d’engrais et de nutrition des plantes.
Pour Yara, l’agriculture de précision est une stratégie « gagnant-gagnant » d’un point de vue économique et écologique.
« Dans l’UE, il existe encore un énorme potentiel inexploité d’avantages liés à une utilisation plus large des outils de l’agriculture de précision. L’agriculture de précision fait partie intégrante de la PAC, qui évolue vers des mesures plus écologiques. »
Yara est convaincue que l’agriculture de précision profite aux agriculteurs et aux consommateurs, mais qu’elle devrait être mieux expliquée et comprise, un point de vue partagé par Bruno Tremblay de Bayer.
« Les décideurs politiques ne comprennent pas pleinement le lien entre l’agriculture numérique et la production durable », a-t-il récemment déclaré lors d’une interview avec Euractiv.
Mesures spécifiques
Yara propose un certain nombre de mesures qui pourraient aider à adopter plus rapidement des pratiques agricoles de précision.
L’une d’entre elles est le soutien aux plans de gestion des éléments nutritifs, qui font partie des meilleures pratiques agricoles avec un large éventail d’outils agricoles de précision, dans le cadre d’un programme écologique.
Yara soutient également les subventions pour soutenir l’adoption des nouvelles technologies, car « chaque étape du voyage doit être soutenue ».
« La récompense ne devrait pas être l’atteinte d’un objectif final, mais des améliorations progressives », note l’entreprise, qui ajoute que donner de la souplesse est important.
« Il est également possible d’encourager l’adoption d’une agriculture intelligente en donnant aux agriculteurs qui adoptent des solutions d’agriculture de précision la flexibilité nécessaire pour adapter leurs pratiques aux exigences de leurs conditions agronomiques et environnementales. »
Accès des agriculteurs aux données
S’exprimant à l’occasion de la conférence « Agriculture numérique et de précision : Défis et opportunités pour les agriculteurs et les villages intelligents » le 24 septembre au Parlement européen, Daniel Azevedo du syndicat des agriculteurs européens Copa-Cogeca estime que les propositions de la Commission pourraient être plus ambitieuses.
« Nous reconnaissons que la DG Agri de la Commission, en collaboration avec la DG Connect, ainsi que tous les services de la DG Recherche, ont réalisé de nombreux programmes sur l’agriculture de précision », a-t-il déclaré, ajoutant toutefois que certaines questions concernant la réglementation « entravent parfois l’innovation ».
Il a toutefois noté que les systèmes satellitaires Galileo et Copernicus ne devraient pas seulement être utilisés par les agences de contrôle mais aussi par les agriculteurs eux-mêmes.
Selon lui, les agriculteurs européens devraient avoir accès, via une base de données, à toutes les données générées par ces systèmes satellitaires, initialement conçus pour des raisons de contrôle, afin de pouvoir les utiliser à d’autres fins telles que l’agriculture de précision.
« Et nous avons un bon exemple en Estonie, où toutes les cartes sont disponibles pour les agriculteurs. L’agriculteur a un nom d’utilisateur, il entre et y a accès. »