Les États membres de l’UE intègrent de plus en plus les préoccupations liées au changement climatique dans leurs régimes alimentaires. Mais les disparités économiques et culturelles continuent de faire obstacle à un consensus à l’échelle de l’UE sur une alimentation saine et durable.
Il y a deux semaines, l’Autriche est devenue le dernier État membre à actualiser ses lignes directrices en matière d’alimentation. Cette mise à jour tient compte de l’impact du changement climatique et introduit des recommandations distinctes pour les végétariens.
« Les évolutions actuelles, en particulier le rôle du système alimentaire en tant que moteur du changement climatique, nécessitent un élargissement des recommandations nutritionnelles autrichiennes afin d’y inclure les paramètres climatiques et sanitaires », peut-on lire dans une déclaration publiée par le ministère autrichien des Affaires sociales, de la Santé et des Consommateurs le 25 juillet.
Vienne n’est pas la seule à vouloir concilier durabilité et santé lorsqu’il s’agit d’aider les citoyens à orienter leurs choix alimentaires : l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, l’Espagne et la Suède ont pris des mesures similaires au cours des dernières années.
Leur approche est conforme à celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont le directeur général, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, a appelé à une évolution vers des « régimes alimentaires plus végétaux » lors de la conférence des Nations unies sur le changement climatique COP28 qui s’est tenue à Dubaï en décembre 2023.
Nous sommes ce que nous mangeons
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), plus de 100 États dans le monde ont élaboré des lignes directrices nationales en matière d’alimentation afin de promouvoir des habitudes alimentaires saines. C’est notamment le cas de tous les États membres de l’UE, mais les approches de ces derniers concernant la durabilité et la consommation diffèrent, influencées par les cultures et les traditions alimentaires locales.
« Ce que nous mangeons a beaucoup à voir non seulement avec notre culture et notre gastronomie, mais aussi avec la société et l’économie dans lesquelles nous vivons », a expliqué Manuel Franco, docteur et épidémiologiste à l’Université espagnole d’Alcalá et à l’Université Johns Hopkins (États-Unis), dans un entretien accordé à Euractiv.
Les différentes recommandations sur la consommation de poisson en Europe illustrent ses propos.
Alors que les lignes directrices autrichiennes suggèrent une seule portion par semaine, l’Espagne — le plus grand producteur de poisson de l’UE — en préconise au moins trois.
Selon Manuel Franco, l’élaboration de lignes directrices en matière d’alimentation implique une « tension » entre différents paramètres, tels que l’économie, la santé et la durabilité, ce qui conduit à des décisions politiques susceptibles de favoriser un aspect plutôt qu’un autre.
Par exemple, demander aux Espagnols de consommer moins de poisson pour des raisons de durabilité ne serait acceptable « ni culturellement ni économiquement », a-t-il fait remarquer.
L’alcool est un autre point sur lequel les lignes directrices varient. Les dernières recommandations de la Grèce, datant de 2017, suggèrent un « régime méditerranéen », qui peut inclure une consommation quotidienne de vin « avec modération ».
« Parfois, les décisions sont prises en tenant compte uniquement de la santé […], parfois de la culture et de la gastronomie, et non de la science », a ajouté l’épidémiologiste.
Plus ou moins de produits d’origine végétale ?
Dans l’ensemble, les directives alimentaires révisées à travers l’UE mettent davantage l’accent sur les alternatives végétales, au détriment de la viande et des produits laitiers.
Selon Manuel Franco, les efforts déployés pour réduire la consommation de produits d’origine animale constituent « un grand pas en avant » du point de vue de la santé et de l’environnement.
Les recommandations révisées de l’Autriche conseillent de limiter la consommation de viande et de poisson à une fois par semaine, avec une portion supplémentaire facultative de l’un des deux. Cela équivaut à 32,25 grammes de viande par jour, soit environ trois nuggets de poulet par jour.
La Finlande, la France et la Pologne recommandent le double de cette quantité.
L’Allemagne, comme l’Autriche, a mis à jour ses lignes directrices en mars pour favoriser considérablement les aliments d’origine végétale. Le message est clair : en matière de viande et de charcuterie, « moins, c’est mieux ».
De même, en 2015, les Pays-Bas ont recommandé de manger moins de viande, voire « pas du tout », et ont distillé des conseils pour devenir végétarien.
Alors que les Néerlandais ont souligné la durabilité des alternatives végétales par rapport à la viande et aux produits laitiers, l’Italie a adopté une approche plus prudente dans ses lignes directrices de 2018.
Rome a opté pour « quelques produits animaux », notant que ceux-ci sont « encore nécessaires » pour éviter les carences nutritionnelles.
En 2015 et 2021 respectivement, la Suède et le Danemark ont invité les citoyens à réduire leur consommation de viande.
Stockholm a toutefois souligné que la réduction de la consommation de produits laitiers entraînait des compromis.
« Le beurre a un impact plus important sur l’environnement que les huiles, mais il peut aussi contribuer à la création d’un paysage agricole riche et à la biodiversité », peut-on lire dans ses lignes directrices.
Lignes directrices et société
Manuel Franco a précisé qu’à mesure que les lignes directrices en matière d’alimentation évoluent, il est essentiel de veiller à ce que la société suive le mouvement.
Selon lui, l’investissement dans les marchés publics, en particulier dans les cantines scolaires, est le moyen le plus simple de rapprocher les citoyens d’une alimentation saine et durable.
En Europe, le Fonds mondial pour la nature (WWF Europe) a salué l’initiative autrichienne et a appelé à davantage de mesures publiques pour encourager les régimes alimentaires respectueux de l’environnement. L’ONG a suggéré des étapes concrètes, telles que des réductions de prix sur les produits à base de plantes et l’amélioration de l’étiquetage sur les conditions de bien-être animal.
« Quiconque se contente de sensibiliser l’opinion échouera dans cette tâche. Les hommes politiques doivent assumer leur responsabilité au lieu de se contenter de l’externaliser », explique le WWF dans un communiqué.
Manuel Franco a souligné le rôle de la justice sociale dans le développement durable, en insistant sur le fait que les meilleures options alimentaires devraient être accessibles à tous les citoyens, quel que soit leur statut économique et social.
« Les régimes alimentaires et les maladies liées à l’alimentation dans nos pays aujourd’hui sont toujours enracinés dans l’inégalité et correspondent à un gradient social », a-t-il conclu.
[Édité par Anne-Sophie Gayet et Sarah N’tsia]