Plusieurs centaines de manifestants ont défilé à Paris ce mercredi (2 juin) pour dénoncer une baisse de 66 % des aides publiques dévouées aux agriculteurs bio dans la future PAC. « Calculs biaisés », déclare de son côté le ministre de l’Agriculture qui, lui, promet une augmentation de 30 % des aides à la bio dans les années à venir. Explication.
« Les arbitrages sur la bio vont nous mettre à poil ! » C’est à partir de ce constat que la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) appelle à la manifestation depuis plusieurs semaines. Quelque 300 personnes ont suivi cet appel et se sont rassemblées – plus ou moins vêtues – à Paris ce mercredi (2 juin).
La colère des agriculteurs bio en France fait suite à la publication des arbitrages du Plan Stratégique National – la déclinaison nationale de la future Politique agricole commune (PAC) – par le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie le 21 mai dernier. Selon la FNAB, les agriculteurs bio perdront en moyenne 132 euros par hectare, soit 66 % d’aides publiques, sous la nouvelle PAC qui va entrer en vigueur en 2023.
Les agriculteurs et agricultrices #bio sont nombreux aujourd’hui pour demander de revoir les arbitrages de la #PAC. @J_Denormandie #LaBioàPoil #LaBioPourTous pic.twitter.com/jTt11fjkAj
— FNAB (@fnab_bio) June 2, 2021
Qui plus est, les éco-régimes, paiements directs qui vont récompenser des engagements en faveur de l’environnement, s’appliqueront de la même manière à l’agriculture biologique comme aux pratiques agricoles reconnus par le label Haute valeur environnementale (HVE). Or, comme le Monde a mis en lumière récemment, cette dernière présente souvent « aucun bénéfice environnemental ». La HVE serait surtout un « outil de greenwashing », selon de nombreuses associations françaises, et risquerait de concurrencer la bio, plus exigeante.
« Cet arbitrage est une insulte aux agriculteurs et agricultrices bio », fustige ainsi Loïc Madeline, secrétaire national chargée de la PAC à la FNAB. Propos appuyé par la plateforme Pour une autre PAC dont le président Mathieu Courgeau soutient sur Twitter que « les paysans bio seront les grands perdants de cette PAC ».
« Les chiffres mis en avant par la FNAB reposent sur des calculs biaisés », répond de son côté le ministre de l’Agriculture. Les aides à la bio passeraient de 250 à 340 millions d’euros par an dans la future période budgétaire, soit une augmentation de 30 %. Un « montant jamais atteint » auparavant, souligne le ministère.
Les chiffres mis en avant par la @fnab_bio reposent sur des calculs biaisés. Je l'ai dit hier à son président qui n'a pas su me démontrer le contraire.
Ce qui est sûr, en revanche, c'est que la future #PAC investit comme jamais dans la #bio ⤵️
— Julien Denormandie (@J_Denormandie) June 2, 2021
Maintien vs. conversion
66 % de baisse donc ou bien 30 % de hausse ? Entre les accusations de la FNAB et les assurances de M. Denormandie, la vérité se trouve quelque part à mi-chemin. Car les deux ne parlent pas tout à fait des mêmes aides. Si les agriculteurs bio déplorent une baisse des aides au maintien, le ministre promet une hausse des aides… à la conversion.
Censées « renforcer le développement des surfaces en agriculture biologique » en France, ces dernières soutiennent donc les agriculteurs en pleine transition. L’augmentation de leur enveloppe doit appuyer l’objectif du ministère d’atteindre les 18 % des surfaces agricoles utiles françaises en agriculture biologique d’ici 2027.
En contrepartie, les aides au maintien, qui soutiennent les agriculteurs biologiques dans les années qui suivent leur conversion, seront, à terme, revues en baisse. Un non-sens pour Loïc Madeline : « La conversion en agriculture biologique est longue », avait-il récemment expliqué à EURACTIV, arguant qu’ « il faut absolument avoir une perspective à plus de cinq ans » pour se lancer dans ce défi.
« On peut ne pas être d’accord sur les moyens de développer la bio (installation vs maintien) », répond sur Twitter le ministre de l’Agriculture qui a, lui, fait de la conversion sa priorité : « Il nous faut accompagner la conversion vers la bio », insiste-t-il. « C’est comme cela que l’on développe la production et que l’on répond à la demande du consommateur qui augmente. »
Agriculteurs bio – « pionniers de l’agriculture durable de demain » ?
Or, « en refusant de rémunérer via la PAC les services rendus par la bio, le ministère de l’Agriculture considère que c’est le prix haut payé par le consommateur qui va soutenir la bio », déplore la FNAB. Pour la Coordination Rurale, c’est au contraire une bonne nouvelle : le syndicat agricole « refuse que les agriculteurs soient continuellement perfusés par des aides ». La suppression des aides au maintien serait l’occasion de faire évoluer le marché du bio et pourrait « offrir l’opportunité aux agriculteurs bio d’être rémunérés au juste prix par le pouvoir d’achat de ses consommateurs ».
En refusant de rémunérer via la PAC les services rendus par la #Bio @Agri_Gouv considère que c'est le prix haut payé par le consommateur qui va soutenir la #bio. Pas d'alimentation de qualité donc pour les ménages précaires cc @caritasfrance @RACFrance @FNEasso @FondationNH
— FNAB (@fnab_bio) June 1, 2021
Pour la FNAB, cela ne suffit pas : « si on veut qu’il y ait de la bio demain, il faut montrer aux paysans que leurs efforts seront soutenus », selon M. Madeline. Ainsi, la fédération demande la réouverture des arbitrages français en matière des éco-régimes, insistant notamment sur un « soutien différencié en faveur des pratiques vraiment vertueuses ».
Or, comme l’a montré l’échec des négociations sur la future PAC au niveau européen la semaine dernière, la question des éco-régimes reste elle-même loin d’être résolue. Les ministres de l’Agriculture des 27 semblent en tout cas réticents à vouloir accorder une trop grande place à la transition agroécologique, insistant sur un plancher de 18 % pour les aides directes de la PAC à dévouer aux éco-régimes, contre les 30 % exigés par le Parlement européen.
Quoique soit le résultat des négociations à venir, faire des agriculteurs biologiques les « pionniers de l’agriculture durable de demain », comme le disait Commission européenne au mois de mars seulement, semble décidément plus facile à dire qu’à faire.