Dans les fermes canadiennes, on regarde d’un air circonspect la non-ratification par le Sénat français de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada la semaine passée, car du côté occidental de l’Atlantique les experts expliquent que l’entente profite surtout aux Européens.
Suite à son approbation par le Parlement européen début 2017, cet accord — le traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (UE), CETA — est déjà appliqué de manière provisoire depuis septembre de la même année.
Depuis le début des manifestations d’agriculteurs au sein de l’Union, ;cependant, les accords commerciaux de libre-échange, négociés par la Commission, sont devenus le symbole de l’abandon de l’agriculture européenne, au profit de l’industrie et des services.
L’accord avait été voté en 2019 par l’Assemblée nationale, alors qu’Emmanuel Macron disposait de la majorité absolue. Depuis, le gouvernement refusait de faire voter la chambre haute, condition nécessaire pour que la France puisse formellement valider l’accord.
Un accord objet de beaucoup de « fantasmes » en Europe
Pour Geneviève Dufour, experte en droit du commerce international à l’Université d’Ottawa, il continue à y avoir beaucoup de « fantasmes » dans la vision européenne de l’agriculture canadienne.
« On entend souvent parler du bœuf aux hormones, des organismes génétiquement modifiés… » Mais « dans les faits, ce n’est pas exactement ce qui se passe ». « Les Français peuvent décider de ne pas importer certains produits, c’est d’ailleurs ce qu’ils font », explique-t-elle.
Car en pratique, aucune marchandise interdite dans l’UE ne passe la barrière des douanes, en raison des règles fixées par l’accord.
Et « pour une très grande majorité des produits, on a des normes équivalentes en matière de sécurité alimentaire », glisse l’experte.
Un accord déjà très encadré
Ces restrictions sont d’ailleurs vues d’un mauvais œil par les agriculteurs et la filière agroalimentaire, qui ne comprennent pas le rejet par l’UE de leurs pratiques.
« Ça n’a pas été une bonne entente pour le Canada dès le début parce que l’Europe a décidé de mettre des restrictions techniques », explique Kirk Jackson, agriculteur et représentant des éleveurs bovins canadiens, qui défend l’utilisation d’hormones dans ce secteur.
Pour ce dernier, ces pratiques sont contrôlées et s’« appuient sur la science ».
« Nos aliments passent par un système de vérification de haut niveau et scientifiquement il n’y a pas de risque. Donc tout cela n’est que mensonges et informations non confirmées pour enfreindre le commerce », estime Michael Harvey, directeur général de l’Alliance canadienne pour l’agroalimentaire.
Dans ce contexte, le marché européen est loin de se retrouver inondé de viandes canadiennes car très peu d’éleveurs ont décidé de se lancer vers l’export au-delà de l’Atlantique.
En 2023, l’UE a importé 1,360 tonne soit à peine 2 % du volume permis par l’entente, et la France moins de 30 tonnes.
Un accord qui profite davantage aux Européens
« Quand on regarde les chiffres, on se rend compte que ce sont les Européens qui y gagnent le plus dans cet accord et que les Français ne sont vraiment pas en reste ». « Le Canada est un excellent marché d’exportations pour la France », estime Geneviève Dufour.
Dans les chiffres, les éleveurs bovins européens ont en effet considérablement augmenté leurs exportations qui sont passées à 14 000 tonnes de bœuf contre 1 700 tonnes en 2016.
Parmi les autres produits gagnants de l’entente : les vins et spiritueux, les fromages.
Et puis « on ne peut pas réduire l’accord de libre-échange à seulement l’agriculture », rappelle Geneviève Dufour.
« La France a beaucoup gagné en matière de protection pharmaceutique et les entreprises peuvent répondre aux appels d’offres publics, une possibilité que le Canada n’avait jamais octroyée à aucun partenaire », ajoute l’avocate.
Un accord qui pourrait être déterminant à l’avenir
Le Canada a surtout exporté depuis sept ans vers l’UE et la France des matériaux de transports, du pétrole, ainsi que des minerais tels que l’uranium et le lithium, essentiels pour la transition climatique.
Et ces échanges entre l’UE et le Canada ont pris une nouvelle tournure depuis le début de la guerre en Ukraine et les sanctions européennes contre le régime de Vladimir Poutine.
Grâce au CETA, l’UE a pu substituer des produits canadiens aux produits russes qu’elle n’importe plus — ainsi les exportations canadiennes de pétrole, nickel, engrais, blé ont fortement progressé.
Et à l’avenir, cela « pourrait être encore plus utile », explique une source diplomatique. « Le Canada est une terre de minéraux critiques et les Européens vont en avoir besoin pour continuer leurs efforts de transition énergétique ».
[Édité par Anna Martino]