Clap de fin pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Pendant six mois, les Conseils des ministres de l’Union européenne (AGRIFISH) ont été présidés par les ministres Julien Denormandie et Marc Fesneau, pour les deux derniers.
Crise de la Covid, guerre en Ukraine, deux élections (présidentielle et législative), un changement de ministre : cette PFUE restera dans l’histoire tant elle fut mouvementée. La guerre a mis en lumière la dépendance de l’Europe à l’égard de la Russie et de l’Ukraine en matière d’énergie, mais aussi d’engrais et de matières premières alimentaires, entrainant un glissement productiviste des politiques agricoles de l’Union.
À l’ouverture de la présidence cet hiver, deux grandes priorités avaient été définies par la France en matière d’agriculture : la mise en place de clauses miroirs, pour éviter de laisser entrer des produits qui ne respectent pas les standards européens, et la séquestration du carbone dans les sols pour répondre aux objectifs de neutralité carbone de l’UE en 2050. C’était au mois de janvier 2022. Un mois plus tard, la Russie franchissait la frontière ukrainienne.
Un « cap » pour les clauses miroir
Importer des produits agroalimentaires dont la production ne répond pas aux standards européens serait un « non-sens en termes de souveraineté et d’environnement » expliquait Julien Denormandie le 25 janvier dernier lors d’un des premiers Conseils des ministres européen. Il se disait « convaincu » que la transition agroécologique passera « par une mise en adéquation » entre les différentes politiques agricoles et commerciales de l’Union.
Pour Mathieu Courgeau, président du collectif Pour une autre PAC, les ambitions sont « rapidement tombées à l’eau » avec la guerre en Ukraine. Le 13 juin dernier, lors du dernier Conseil, un rapport de la Commission sur la réciprocité des normes a tout de même été rendu. Les ministres des pays membres ont affiché leur approbation, et leur volonté de revoir les accords commerciaux avec les pays tiers, mais sans toutefois transgresser les règles l’OMC.
Pour les associations de producteurs de lait et de bovins (Cniel et Interbev), « un cap a indéniablement été fixé et ne demande, désormais, qu’à être poursuivi ». Ces derniers s’inquiètent néanmoins d’un nouvel accord de libre-échange UE-Nouvelle-Zélande en préparation, lequel s’illustre par l’absence de clauses miroir. « Les efforts fournis par la France au cours des six derniers mois pourraient, dans les prochains jours, être annulés » s’alarment-ils dans une lettre adressée à la Première Ministre.
Aussi, alors que la France se disait prête à abaisser les limites maximales des résidus (LMR) autorisé à l’importation, l’inverse s’est produit en mars dernier. La Commission a autorisé certains États comme l’Espagne, qui importe un quart de son maïs d’Ukraine, à importer du maïs d’Amérique Latine en relevant le taux maximal autorisé. « On n’a pas entendu la PFUE à ce moment-là », note Mathieu Courgeau.
Le « carbon farming » sur les rails
En février dernier, Julien Denormandie voulait faire des agriculteurs européens des « soldats du climat », soulignant que la séquestration du carbone était « essentielle » pour pouvoir atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050. Le secteur est à l’origine de 430 millions de tonnes équivalent CO2 sur un milliard rejetés chaque année par l’Europe.
Lors du Conseil des ministres du 7 avril dernier, les ministres ont approuvé la volonté de la Commission « d’encourager les pratiques agricoles qui contribuent à capter le carbone de l’atmosphère et à le stocker dans le sol ou la biomasse de manière durable », comme la plantation de haies ou d’arbres, la diversité et la rotation des espèces, ou la culture de légumineuses.
Il faudra attendre fin 2022, d’après le Ministre Marc Fesneau sur Twitter, pour qu’un texte soit présenté sur le « carbon farming » ou culture du carbone, une certification commune à l’image du Label Bas-Carbone français. Ces incitations financières à séquestrer du carbone, en complément de la PAC, se feraient « à partir de ressources publiques et privées » comme le précise la Commission. Le collectif Pour une autre PAC confie à EURACTIV France être « très inquiet » de cette intervention des sociétés privées. En France, plus de 30 grandes entreprises se sont déjà engagées à hauteur de plus d’un million d’euros.
Pour le député européen Vert Benoît Biteau, ce projet de « carbon farming » portée par la PFUE acte la « financiarisation du carbone » :
« L’INRAE montre que les zones d’agriculture intensive sont les zones où le marché du carbone est le plus florissant. C’est un marché juteux pour une agriculture dévastatrice. Et inversement, les éleveurs qui préservent les prairies – le plus puissant des puits de carbone –sont oubliés dans cette logique car leur potentiel de séquestration supplémentaire est plus faible que ceux qui ont des sols morts. »
Les PSN précipités, statut quo sur les pesticides
Autre gros dossier qui a traversé les six mois de la présidence : les Plans stratégiques nationaux (PSN), déclinaisons nationales de la PAC, bien que mis sur pied avant la PFUE. Lors d’un Conseil AGRIFISH sur le sujet le 21 mars dernier, la France avait fait pression sur la Commission pour qu’elle approuve les PSN le plus rapidement possible. Demande que Julien Denormandie avait réitéré deux semaines plus tard dans une lettre envoyée au Commissaire, alors même que l’exécutif demandait aux pays de revoir à la hausse les ambitions environnementales du PSN français. Pour Mathieu Courgeau, durant ces six derniers mois, « la France n’a pas utilisé sa place de présidente pour tirer tout le monde vers le haut ».
La PFUE a aussi été marquée des dérogations à la PAC accordées au nom de la productivité, comme la mise en culture des jachères, ou l’assouplissement de l’exigence des rotations de cultures pour toucher le paiement vert. Il est probable que cela se poursuive dans la nouvelle PAC, comme l’avait fait comprendre la Commission dernièrement.
Sur les pesticides, la PFUE a louvoyé. L’exécutif européen a proposé une feuille de route mercredi 22 juin, visant à réduire de 50 % l’utilisation des pesticides chimiques pour atteindre les objectifs de la stratégie De la ferme à l’assiette. Une décision prise malgré les ministres européens à l’Agriculture et la France, dont le souci premier fut depuis le début de la guerre la libération du potentiel productif.
Pourtant, le 3 septembre 2021 à Marseille, au congrès mondial de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), Emmanuel Macron assurait lui-même : « Je veux que sur ce sujet des pesticides, la présidence française de l’Union européenne porte, et je m’y engage ici, une initiative forte, avec tous les collègues, de sortie accélérée des pesticides ».
Mauvais timing ?
Comme de nombreux opposants au président de la République, Benoît Biteau, reproche à Emmanuel Macron d’avoir maintenu la PFUE malgré le calendrier électoral. « C’est irrespectueux à la fois pour l’UE et pour la France. Ce fut un échec total, en partie à cause de cela » s’emporte l’eurodéputé, fustigeant l’absence du ministre Julien Denormandie à de nombreuses réunions pour cause de campagne électorale. « On aurait eu besoin d’une présidence à temps plein avec ce qui s’est passé en Ukraine ». « On a plutôt perdu une occasion de médiatiser la PFUE », pense de son côté Matthieu Courgeau.
Au moment de passer le flambeau à la République tchèque le 30 juin, le ministre Marc Fesneau se félicite d’avoir « avancé sur de nombreux sujets », « au service » des agriculteurs. Il rappelle également sur Twitter le lancement d’une stratégie vaccinale contre le virus de l’influenza aviaire. Une rencontre informelle des ministres européens de l’Agriculture est d’ores et déjà prévue en septembre à Prague.
#PFUE2022 | Aujourd'hui, se concluent 6 mois de travail sous notre Présidence, en Européens et au service de nos agricultures !
Ensemble, et avec le travail mené par @J_Denormandie, nous avons avancé sur de nombreux sujets ⤵️ pic.twitter.com/UgTYwTewU6
— Marc Fesneau (@MFesneau) June 30, 2022