Enfin la fin des négociations sur la future PAC ? À partir de mardi (25 mai), Commission, Parlement et Conseil doivent trancher les nombreuses questions de ce grand dossier épineux toujours ouvertes. A quelques jours de ce très attendu « super-trilogue », les acteurs du monde agricole français font part de leurs attentes – et de leur déception.
Premier poste budgétaire de l’Union, dotée de plus de 336 milliards d’euros dans le nouveau cadre financier pluriannuel pour la période allant jusqu’à 2027, la Politique agricole commune (PAC) fait, depuis de longs mois, l’objet de critiques et d’espoir, d’âpres débats et de convoitises.
Après des années de négociations, le bout du tunnel semble enfin proche. Mise sur la table au 1er juin 2018 par la Commission européenne, la nouvelle PAC verra-t-elle enfin les 27 aboutir à un accord à son sujet dans les jours qui viennent ? C’est en tout cas l’ambition affichée côté portugais : le pays qui détient la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne jusqu’à fin juin voudrait clôturer le dossier avant de devoir passer les rênes à la Slovénie au 1er juillet.
Un chantier de taille : les négociateurs doivent toujours s’accorder sur de nombreuses questions épineuses. Parmi elles, la conditionnalité sociale dans l’attribution des aides au monde agricole et bien sûr la part du gâteau qui sera dévouée aux éco-régimes, ces aides destinées à récompenser des agriculteurs pour leurs engagements écologiques.
Députés et syndicalistes, entre ambition et pragmatisme
« Les négociations vont être difficiles », reconnaît l’eurodéputée Anne Sander (PPE), membre de la Commission de l’agriculture et du développement rural (AGRI) au Parlement européen. En cause : la volonté des dirigeants européens de « garder une flexibilité nationale très forte » dans la définition et l’attribution des différents types d’aides. Le Parlement européen veut, lui, un « cadre européen fort » pour que la conditionnalité, notamment environnementale, s’applique de la même manière partout, explique Mme Sander.
En matière des fameux éco-régimes notamment, il faudra que le cadre européen soit « le plus harmonisé possible pour éviter que chaque État décide dans son coin ce qu’est un éco-régime pour lui », affirme aussi l’eurodéputé (Renew Europe) et président de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) au Parlement européen Pascal Canfin.
Si le Parlement et les dirigeants européens sont en désaccord sur la part du budget de la PAC à attribuer aux éco-régimes, « l’enjeu majeur » des négociations à venir ne serait « pas le pourcentage mais la robustesse » du cadre. « 20 % de rien ne feront pas l’affaire », estime M. Canfin. Raison pour laquelle le Parlement s’engageait surtout pour des éco-régimes « praticables et ambitieux qui modifient les pratiques sur le terrain ».
« Il est important que nos politiques gardent leur cohérence » et que la future PAC fasse clairement le lien avec le Pacte vert européen, soutient également Jérémy Decerle, eurodéputé (Renew Europe) et membre de la Commission AGRI. Mais pour réussir cette transition du monde agricole si « indispensable », il faudra également avancer sur d’autres points. À savoir, les questions du revenu agricole, du soutien aux jeunes agriculteurs – « essentiels » pour relever les défis actuels – et de la protection des agriculteurs européens sur le marché international, selon M. Decerle.
« Dans la future PAC, il nous faut réconcilier économie, protection de l’environnement et lutte contre le changement climatique », souligne de son côté Christine Lambert, présidente de la FNSEA, dans un communiqué publié fin avril. Le principal syndicat agricole français souhaite une « mise en œuvre pragmatique de l’architecture verte » en « l’absence de charge administrative supplémentaire ». La PAC devrait par ailleurs « rester une politique économique, pour […] stabiliser et soutenir les revenus des agriculteurs ».
La répartition des aides directes sur critères écologiques s’est heurtée à une opposition farouche en France ces derniers mois : ce sont les plus grands bénéficiaires d’aujourd’hui, céréaliers et éleveurs, qui ont le plus à perdre dans la manœuvre.
« Grande déception » chez les écologistes et agriculteurs bio
Si eurodéputés et syndicalistes se veulent pragmatiques, les écologistes français ne cachent pas leur désillusion.
« La PAC sera une grande déception pour nous », a ainsi fait savoir Aurélie Catallo, coordinatrice de Pour une autre PAC, lors d’une conférence de presse jeudi (20 mai). L’organisme avait publié les résultats d’une enquête sur les « dérives » du système actuel de la PAC mercredi (19 mai). Parmi les plus gros bénéficiaires de la PAC se trouveraient une famille de milliardaires exilée en Suisse, le géant du lait Lactalis ou encore le groupe des champagnes Pernod Ricard, révèle l’organisation. S’il était temps de « redonner une légitimité à la PAC », ni la Commission européenne ni l’État français ne seraient aujourd’hui prêts à « remettre en question la très grande majorité des aides de la PAC ».
« Aujourd’hui, notre agriculture a besoin de se transformer vers l’agroécologie », affirme aussi Félix Nobia, vice-président de Fermes d’Avenir. Pour cela, les responsables devraient mettre en place une meilleure répartition ainsi qu’une décentralisation des aides et un plafonnement des aides par structure, estime l’agriculteur. En d’autres termes : la nouvelle PAC devrait être « plus juste » et sortir de l’influence de l’agro-industrie, soutien M. Nobia. Or, « aucune de ces choses va se passer », regrette-t-il. Il n’aurait par exemple « aucune chance qu’une discussion sur le plafonnement des aides puisse voir le jour ».
Du côté des exploitants en agriculture biologique (AB) aussi, la déception est « grande », selon Loïc Madeline, secrétaire national chargée de la PAC au sein de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB). « On avait l’ambition de voir un éco-régime puissant, digne de ce nom. On pensait que l’agriculture biologique serait un moteur de cette future PAC et que les services environnementaux qu’elle rend soient reconnus », explique-t-il. Or, aujourd’hui, « on est très loin de ce qu’on imaginait », déplore M. Madeline. Selon des calculs que la fédération a publié le 12 mai, les exploitants en AB ont même beaucoup à perdre sous la nouvelle PAC : jusqu’à 132 euros par hectare, « soit 66 % de soutien public en moins pour les fermes bio », selon l’organisme.
Les négociations à venir vont-elles encore changer la donne ? Le secrétaire national de la FNAB se dit « très pessimiste » à cet égard. Si la Commission européenne avait fait preuve d’une « certaine ambition » à travers son Pacte vert et ses stratégies en faveur de la biodiversité ou encore de l’agriculture biologique, c’est encore une fois le statu quo qui risque de prévaloir, regrette M. Madeline.