Eric Andrieu est député européen de la délégation socialiste française, et vice-président de la Commission agriculture du Parlement européen.
Que pensez-vous des aides d’urgence débloquées par l’UE début septembre ?
Nous avons obtenu une enveloppe de 500 millions d’euros, mais beaucoup de nos revendications n’ont pas été retenues. Et la répartition de cette aide reflète la vision très libérale de la Commission et du commissaire Phil Hogan. Une partie importante ira au stockage privé du lait et du porc : on finance la conservation par les industriels des aliments pour que les prix puissent remonter. Ce sont les industriels qui bénéficient de cette mesure, les agriculteurs n’ont de toutes façons pas de capacités de stockage.
En quoi cela n’est-il pas satisfaisant ?
Le commissaire Hogan considère que le marché va tout régler. Mais quand on regarde la rupture entre les agriculteurs et l’industrie agroalimentaire, on voit bien que ce n’est pas le cas. Ce modèle n’est pas satisfaisant : on accompagne les plus gros, y compris les grosses coopératives, et les petits agriculteurs n’ont rien.
Quelles auraient été les autres solutions ?
Nous demandions de négocier avec la Russie l’embargo sanitaire dont la viande de porc est victime. Il n’y a aucune raison que cet embargo continue puisque le problème sanitaire est cironscrit. Mais la Commission n’a pas souhaité le faire pour des raisons politiques .
De même nous demandions de relever le prix d’intervention qui est la seule façon de faire remonter les prix du lait. En dehors de quelques agriculteurs qui ont de très grandes exploitations, le prix du lait actuel n’est pas rentable pour la plupart des agriculteurs.
Il s’agit donc de décisions politiques ?
Oui, et il faut le dire. Il faut repolitiser la politique agricole. Et aussi réfléchir aux organisations professionnelles des agriculteurs : est-ce qu’elles les représentent au mieux aujourd’hui ? Est-ce que les plus gros ne sont pas sur représentés ? L’agro-business est satisfait de la politique agricole, pas les petits exploitants.
Le modèle que nous voulons, est-ce le Danemark, avec un nombre très réduit d’agriculteurs qui gèrent des exploitations immenses à grand renfort de pesticides ? Je ne crois pas.
Comment trouver un consensus sur ce sujet entre 28 pays ?
C’est vrai qu’il y a des divergences entre les nouveaux entrants dans l’UE, à l’Est, et des pays où l’expérience des politiques agricoles est plus importante. Mais globalement je pense qu’il faut réfléchir à un mécanisme de soutien contra-cyclique. Il est inutile de conserver des aides permanentes quand les prix sont élevés, cela favorise les plus grosses exploitations et la course au volume. Aujourd’hui les agriculteurs demandent des prix, pas des volumes.
La Commission dit vouloir compenser la fermeture du marché russe par l’ouverture de nouveaux marchés à l’export…
La Commission a dit qu’elle allait ouvrir des nouveaux marchés en Asie, et un budget communication est réservé à cela dans l’aide débloquée. Mais cela n’a pas de sens, nous ne voulons pas vendre nos produits à bas prix au bout du monde. Il faut plutôt inciter les Européens à consommer des produits locaux de qualité. Le marché international est la source de nos problèmes et de la volatilité des prix : il faut au contraire s’en protéger.
Pensez-vous que les mesures prises permettront de remédier aux problèmes de l’agriculture européenne ?
Ces mesures mises bout à bout ne suffiront pas. Je pense qu’il faut sortir du déni de réalité en matière de politique agricole. Ne sommes-nous pas déjà en échec sur la politique agricole européenne ? La qualité alimentaire est-elle au rendez-vous dans les assiettes des Européens ? L’environnement, les sols et les eaux sont-ils suffisamment protégés ? Il est temps de réfléchir à un autre modèle.
Propos recueillis par Aline Robert