Alors que Bruxelles est sur le point d’examiner la première demande de commercialisation au sein de l’Union européenne (UE) de viande cultivée en laboratoire, les entreprises du secteur des protéines alternatives peinent à obtenir les investissements nécessaires pour augmenter leur production.
Grâce à une multitude de méthodes innovantes, les protéines alternatives peuvent nous donner accès à de nouveaux aliments qui se substituent à la viande et aux produits laitiers d’origine animale.
Parmi les nombreuses techniques existantes, on peut citer la fermentation de précision. Cette méthode s’appuie sur des organismes tels que les levures, pour produire les mêmes protéines que celles présentes dans les œufs, les produits laitiers ou la viande cultivée.
Concrètement, la fermentation de précision consiste à cultiver des cellules animales dans un environnement riche en nutriments pour produire du muscle, de la graisse et du tissu conjonctif.
Les boissons inspirées du lait et fabriquées à partir d’avoine, d’amandes et de soja, ou encore les steaks végétaux, sont également conçus à partir de la fermentation de précision et sont déjà très répandus dans les supermarchés à travers l’UE.
Des investissements en berne
Cependant, les données de Net Zero Insights publiées par le Good Food Institute (GFI), une organisation à but non lucratif qui défend les protéines alternatives, révèlent une stagnation des investissements dans le secteur entre 2022 et 2023. Et les chiffres pour le premier semestre de cette année sont tout aussi faibles.
En 2023, les investissements dans les protéines alternatives à l’échelle européenne ont atteint près de 800 millions d’euros, contre environ 600 millions d’euros en 2022.
Cependant, le GFI souligne qu’un acteur majeur accapare la grande partie de ces investissements : le géant suédois des protéines végétales Oatly, qui a reçu 391 millions d’euros lors de deux transactions en 2023.
« Cela nous rappelle que le secteur reste encore peu développé et que les levées de fonds individuelles peuvent encore avoir un impact majeur sur les chiffres globaux », peut-on lire dans l’article du GFI.
Sur le segment de la viande cultivée, l’entreprise néerlandaise Mosa Meat domine les investissements européens. Elle est parvenue à lever 40 millions d’euros en 2024 pour développer ses processus de production, réduire ses coûts et se préparer à entrer sur le marché européen.
Les défis de l’augmentation de la production
L’un des principaux défis du secteur des protéines alternatives, et en particulier de la viande cultivée en laboratoire, repose sur l’augmentation de la production.
Les technologies de production restent coûteuses et les entreprises ont besoin d’investissements conséquents pour construire des usines et développer des infrastructures.
Kira Smiley, experte américano-finlandaise en systèmes alimentaires durables et en technologies alimentaires, a indiqué qu’il s’agissait là du problème de l’œuf et de la poule : sans investissements significatifs, l’augmentation de la production reste un objectif lointain.
C’est notamment le cas de la viande cultivée en laboratoire, dont la vente est déjà autorisée à Singapour et aux États-Unis, mais qui n’est pas produite à l’échelle commerciale dans ces deux pays.
Ainsi, le poulet cultivé en laboratoire de Good Meat, qui est vendu dans un seul magasin à Singapour depuis mai 2024, ne contient que 3 % de cellules animales, le reste étant constitué d’ingrédients d’origine végétale, moins coûteux.
Selon Good Meat, ce mélange à faible coût permet de rendre la viande à base de cellules « plus facilement accessible » aux consommateurs, tout en augmentant la capacité de production de l’entreprise. Le prix au détail actuel est d’environ 5 euros pour un paquet de 120 grammes.
« Les entreprises ont besoin d’investissements pour atteindre ce type d’échelle, sinon elles resteront chères et proposeront des produits haut de gamme », a analysé Kira Smiley pour Euractiv.
Pour Carlotte Lucas, responsable de l’industrie chez GFI Europe, l’accent doit désormais être mis sur la commercialisation. « Nous n’avons tout simplement pas l’infrastructure en Europe pour le moment pour produire à grande échelle », constate-t-elle.
L’effondrement de l’investissement mondial
Selon le GFI, le paysage de l’investissement au niveau mondial est désastreux. Les investissements dans les start-up ont chuté de 38 % l’année dernière, atteignant leur niveau le plus bas depuis 2018. Les start-up de la technologie alimentaire ont été encore plus durement touchées, avec une baisse de 61 % en 2023 par rapport à l’année précédente.
« L’environnement de financement est particulièrement difficile en ce moment, dans toutes les industries et toutes les régions », a réagi Carlotte Lucas.
« Je pense que personne ne s’attend à un rebond massif de sitôt », a-t-elle ajouté, soulignant que l’investissement dans les protéines alternatives a mieux résisté en Europe que sur d’autres marchés.
Kira Smiley a toutefois précisé que les obstacles règlementaires au sein de l’UE pourraient dissuader de potentiels investisseurs. Selon elle, la perception du public et les récents discours sur les protéines alternatives ultra-transformées pourraient freiner les investisseurs.
« En Europe, les gens veulent des aliments simples et purs plutôt que des aliments transformés », avance l’experte. « Et si ce discours perdure, la volonté d’investir ne sera peut-être pas aussi évidente qu’au début des années 2010. »
Combler le manque
Carlotte Lucas insiste sur la nécessité d’un soutien du secteur public pour réduire les risques et contribuer au développement de l’industrie. En Europe, les investissements publics sont relativement modestes, à quelques exceptions près.
Le gouvernement néerlandais a alloué 60 millions d’euros à Mosa Meat en 2022, ce qui représente le plus gros investissement public au monde dans le domaine des aliments à base de cellules.
La semaine dernière, la société polonaise LabFarm a reçu une subvention de 2 millions d’euros du Centre national polonais pour la recherche et le développement afin de poursuivre le développement de ses boulettes de poulet à base de cellules.
La société française Gourmey, qui cherche à obtenir l’approbation de l’UE pour commercialiser son foie gras cultivé en laboratoire, a également reçu un financement de Bpifrance en 2021. Pourtant, le gouvernement français a été l’un des plus virulents dans son opposition à la viande cultivée en laboratoire, au même titre que l’Italie, l’Autriche et la Hongrie.
La responsable de l’industrie chez GFI Europe a pointé le fait que l’industrie des protéines alternatives se trouvait « à un point de bascule», les obstacles technologiques et scientifiques ayant été largement surmontés. Mais les infrastructures à grande échelle ne progressent pas à la même cadence.
« Sans un soutien significatif […], l’Europe risque de passer à côté du potentiel des protéines alternatives pour la sécurité alimentaire, la durabilité et la santé publique », a-t-elle rappelé.
[Édité par Anne-Sophie Gayet et Sarah N’tsia]