Pour mener à bien sa transition agroécologique, la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (NUPES) entend s’appuyer sur une PAC « transformée ».
Ils sont alignés sur le sujet. Les principaux partis français de gauche qui composent la NUPES ont pour projet commun de revoir en profondeur le mode d’attribution des 9 milliards d’euros que la France touche tous les ans dans le cadre de la PAC.
Avec 28 % de voix selon le sondage Ipsos-Sopra Steria pour Radio France et France Télévisions, publié jeudi 9 juin, l’alliance devrait, quoi qu’il arrive les 12 et 19 juin prochains, peser dans le devenir de la politique agricole française.
Et en particulier sur le plan stratégique national (PSN) en cours de négociation, déclination française de la PAC 2023-2027. Pendant la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, désormais tête de file de la NUPES, avait promis, en cas de victoire, de modifier rapidement le plan stratégique national « d’ici le mois d’août 2022 au plus tard ».
Consensus sur les questions agricoles
Dans la droite ligne des propositions du leader insoumis, arrivé troisième aux dernières élections présidentielles, la nouvelle alliance ne souhaite rien de moins que sortir progressivement des pesticides – en interdisant immédiatement les plus dangereux (néonicotinoïdes et glyphosate) -, mettre fin à l’élevage industriel ou encore généraliser le bio.
Si les deux premières mesures sont inscrites dans le marbre de ce programme commun, d’autres, moins consensuelles, seront soumises « à la sagesse de l’Assemblée ».
Le programme de la NUPES prévoit en effet d’atteindre 30% de la surface agricole utile en agriculture biologique en 2030 et 100% en 2050 (contre à peine 10 % actuellement). Or le Parti Socialiste (PS) ne souhaite pas aller aussi loin et proposera que « l’objectif en 2050 soit de convertir 100 % de la surface agricole utile à des pratiques agroécologiques, sans se limiter au bio ».
Autre dissension : le PS ne soutiendra pas non plus l’encadrement des prix agricoles par des prix maximaux, comme le proposent les autres formations politiques.
Toutefois, selon Aurélie Trouvé, chercheuse et ingénieure agronome qui a travaillé sur le programme agricole de la NUPES, il y a un consensus assez net sur le fait que la PAC doive se transformer pour se mettre au service de l’agroécologie, de l’agriculture paysanne et relocalisée.
« La prochaine PAC française est un recul considérable, aucun ministre [Julien Denormandie] n’a porté à ce point la logique productiviste, c’est historique. On a un virage énorme à réaliser sur les questions agricole et alimentaire. Et la pression citoyenne va nous aider à le faire », explique celle qui est également candidate aux élections législatives en Seine-Saint-Denis (93).
Réorientation des aides et prix rémunérateurs
Pour parvenir à ces transformations, la NUPES mise en premier lieu sur la réorientation des aides de la PAC.
« Les aides doivent revenir aux exploitations les plus vertueuses d’un point de vue environnementale, or aujourd’hui, plus elles ont de bons indicateurs environnementaux et moins elles touchent d’aides à l’hectare », constate la chercheuse, se basant sur une thèse encadrée il y a quelques années.
Cela passera par une diminution des aides directes aux agriculteurs indexée sur la surface – avec un plafonnement des aides, par actif et par exploitation – et une augmentation des aides indirectes pour services rendus, à la fois environnementaux et sociaux.
Il s’agit en effet de récompenser aussi les fermes intensives… professionnellement. Pour Aurélie Trouvé le système actuel favorise les plus grandes exploitations, et la concentration du foncier. « Ce sont des aides au capital et non au travail » note-t-elle.
Dans son programme, la NUPES entend également réinstaurer les aides au maintien du bio, abandonnées dans le PSN français. Cela complétera le « contrat de transition agroéconomique » visant à pousser à l’installation et à la conversion.
« Nous voulons associer ces aides à des prix rémunérateurs pour les agriculteurs. Nous allons porter à Bruxelles cette ambition de régulation des prix qui sont en ce moment plus que chaotiques, ajoute-t-elle. On veut refaire de la régulation de marché. Avec des outils qui permettent aussi de réguler les volumes de production. »
Bras de fer avec l’Europe
Réorienter les aides de la PAC, imposer des prix rémunérateurs, mais aussi sortir de l’élevage industriel… Tout cela est-il faisable dans le cadre des règles de la PAC ?
Pour Aurélie Trouvé, le gros des mesures ne déroge pas aux règles actuelles : « rien ne nous empêche de plafonner les aides par actif et par exploitation. Et rien ne nous empêche non plus de redistribuer vers le second pilier. Nous nous sommes appuyé sur l’expertise de la plateforme Pour une autre PAC, on a les savoir-faire de la haute administration, on a aussi des ressources au ministère de l’Agriculture. »
Reste qu’un bras de fer semble inévitable avec l’Union européenne si un tel programme venait à être mis en œuvre. « Nous sommes lucides. Certaines de ces batailles nécessitent de renégocier les traités et les règles européennes actuelles » reconnaît d’ailleurs la NUPES dans son programme.
Un exemple ? Porter l’alimentation dans la restauration collective à 100 % biologique et locale se heurte de fait au droit de la concurrence européen, qui empêche de favoriser les producteurs sur critères géographiques. Le type de dossiers pour lesquels la NUPES compte bien passer outre la réglementation.
Pour les membres de l’alliance de gauche, les autres pays y contreviennent déjà régulièrement. La France ne faisant pas exception, comme l’assurait Manon Aubry dans une interview récente à propos du PSN : « La France vient de se faire taper sur les doigts par la Commission européenne, pour ne pas avoir suffisamment verdi son agriculture dans le cadre de la PAC […] Les libéraux ne se privent pas pour désobéir ! ».
Selon la députée européenne, difficile également d’imaginer des sanctions à l’encontre de la « deuxième puissance économique » du continent européen.
En 2005, la France avait pourtant été condamnée pour violation de la législation communautaire concernant la protection des stocks de poissons risquant de disparaître. Une amende de 20 millions d’euros avait été prononcée par la Cour de justice de l’Union européenne, à quoi s’ajoutait 57,8 millions d’euros pour chaque période de violation supplémentaire.
La NUPES semble donc bien décidée à remodeler la PAC, et ce le plus rapidement possible. Pour le 100% bio et local, cela se fera « très vite ». Bien avant 2023 assure Aurélie Trouvé. Quant au PSN en cours de négociation, il pourrait être revu « en profondeur », l’alliance profitant du fait qu’il a déjà été « retroqué » par la Commission européenne.
Un changement brutal de cap qui dépendra des résultats aux élections. Selon le dernier sondage, l’alliance de gauche pourrait remporter 175 à 215 sièges sur les 577 sièges que compte l’Assemblée nationale, le parti présidentiel en aurait 260 à 300. La majorité absolue nécessite 289 sièges.