Les États membres de l’Union européenne ont approuvé jeudi (30 mai) une augmentation importante des droits de douane sur les céréales, les oléagineux et les produits dérivés provenant de Russie et de Biélorussie (proche allié de Moscou) dans le but de suspendre les importations de ces produits dans le bloc.
« Les nouveaux droits de douane fixés aujourd’hui visent à stopper concrètement les importations de céréales russes et biélorusses dans l’UE », a déclaré le ministre belge des Finances, Vincent Van Peteghem, dont le pays assure la présidence tournante du Conseil de l’UE.
« C’est une nouvelle façon pour l’UE de montrer son soutien à l’Ukraine », a-t-il poursuivi.
La décision, validée par les ministres européens au Commerce réunis à Bruxelles jeudi, reviendra à taxer fortement à partir du 1er juillet les céréales, oléagineux et leurs dérivés, entre autres produits, pour lesquels les droits d’importation dans l’UE sont actuellement faibles ou nuls, peut-on lire dans un communiqué du Conseil.
Des sources diplomatiques européennes ont confié à Euractiv que le règlement avait été approuvé avec le soutien d’une majorité écrasante d’États membres. Tous les pays ont voté en faveur de la loi, sauf la Hongrie qui se serait abstenue.
La mesure douanière devait être entérinée par une majorité qualifiée d’États membres (15 pays représentant 65% de la population du bloc), sans requérir l’aval des eurodéputés. Un processus plus aisé et rapide que l’adoption d’un embargo total, qui aurait nécessité l’unanimité des Vingt-Sept.
L’objectif de la proposition, présentée en mars derniers par la Commission européenne, est d’empêcher la « déstabilisation » des marchés de l’UE, d’arrêter l’exportation illégale de céréales volées par la Russie en Ukraine et de stopper le financement de la guerre russe en Ukraine grâce aux exportations dans l’Union.
Les droits de douane n’affecteront pas les exportations vers les pays tiers transitant par l’UE, afin de préserver la sécurité alimentaire mondiale.
« Notre engagement en faveur de la sécurité alimentaire mondiale demeure inébranlable et nous veillons à ce que les pays en développement ne soient pas affectés par ces mesures », a déclaré Valdis Dombrovskis, commissaire européen en charge du Commerce. « Nous maintiendrons ce soutien aussi longtemps qu’il le faudra », a-t-il ajouté.
Les engrais ne seront pas concernés non plus.
Financement de la machine de guerre russe
Vincent Van Peteghem a insisté sur le fait que la nouvelle mesure permettra d’empêcher le Kremlin d’utiliser les revenus des exportations vers l’UE pour financer sa guerre contre l’Ukraine.
Depuis le début de son invasion du pays en 2022, les importations européennes de céréales russes ont dépassé la moyenne quinquennale, l’Italie, la Lettonie et l’Espagne étant les principaux importateurs, selon les données de la Commission européenne.
La Russie a exporté 4,2 millions de tonnes de céréales, d’oléagineux et de produits dérivés vers l’UE en 2023, pour un montant de 1,3 milliard d’euros. Concernant les seules céréales, elle a importé 1,5 million de tonnes l’an dernier, contre 960.000 tonnes en 2022, sur fond d’envolée de la production russe la saison dernière.
Les importations de céréales russes, très inférieures aux volumes venant d’Ukraine, constituent une infime partie (environ 1%) du marché européen.
Perturbations du marché européen et vol de produits ukrainiens
« Même si la Russie reste un fournisseur relativement modeste pour l’UE, elle est l’un des principaux producteurs et exportateurs mondiaux, et est en capacité de réorienter d’importants volumes vers l’UE pour en perturber le marché », a fait valoir le Conseil dans son communiqué.
L’UE activera une clause d’exception pour faire en sorte que Russie et Biélorusse n’aient plus accès aux quotas céréaliers de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) leur offrant un meilleur traitement tarifaire.
Dans les différents trains de sanctions adoptées contre Moscou depuis 2022, les Européens avaient pris soin de ne cibler ni le secteur agricole, ni les engrais: ils redoutaient de déstabiliser les échanges et de fragiliser la sécurité alimentaire de pays d’Asie et d’Afrique dépendant de l’agriculture russe.
Une situation qui indignait Kiev, à l’heure où l’UE plafonne ses importations de produits agricoles ukrainiens exemptés de droits de douane par peur de déstabiliser le marché unique.
Parallèlement à cela, le Conseil note également qu’« il existe des preuves » que Moscou « s’approprie illégalement de grandes quantités » de céréales et oléagineux dans les territoires ukrainiens qu’elle occupe, les achemine vers ses marchés d’exportation et les étiquète comme étant russes.
Les nouveaux droits de douane visent également à endiguer ce phénomène.
Aller plus loin
Les nouveaux droits de douane sont suffisamment élevés pour décourager les importations dans l’UE, avec des droits à 93 ou 95 euros par tonne pour le blé tendre, le seigle, l’orge, le maïs ou le sorgho, et un droit de 50% « ad valorem« , c’est-à-dire proportionnel à la valeur de la marchandise, pour d’autres produits (huiles, légumes…).
Cependant, certains veulent aller plus loin.
Lors de la réunion des ministres du Commerce jeudi, un groupe de pays a réclamé des mesures plus ambitieuses. La République tchèque, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la Lituanie et la Suède ont soutenu une déclaration commune présentée par la Lettonie demandant des restrictions sur d’autres produits agricoles russes.
Selon une version préliminaire de déclaration commune consultée par Euractiv, les délégations ont appelé la Commission à poursuivre les discussions avec les États membres et à soumettre « dès que possible » une proposition visant à étendre les restrictions à « gamme plus large de produits » en provenance de Russie et de Biélorussie.
« Il est dans l’intérêt commun de l’UE de s’assurer que les restrictions à l’importation sont aussi larges et strictes que possible afin, entre autres, d’atténuer les inquiétudes de la communauté agricole de l’UE quant au risque de déstabilisation du marché », peut-on lire dans le texte.
En février, la Lettonie a été le premier pays de l’Union à approuver une interdiction unilatérale totale des importations de produits agricoles en provenance de Russie et de Biélorussie jusqu’en 2025, autorisant uniquement leur transit.
[Édité par Anne-Sophie Gayet]