Les tentatives de l’UE, lundi (17 avril), pour trouver une solution à l’interdiction d’importer des céréales ukrainiennes en Pologne, en Hongrie, puis en Slovaquie, sont restées lettre morte et devraient s’intensifier alors que la Bulgarie envisage une interdiction similaire.
La Hongrie est connue pour sa position conciliante à l’égard de la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine et pour son hésitation à couper les liens avec le pays dans divers domaines, un point de vue partagé à bien des égards par la Bulgarie.
En Slovaquie, qui a longtemps été, avec la Bulgarie, l’un des pays les plus prorusses de l’UE, les sondages d’opinion suggèrent que la plupart des Slovaques souhaitent que la Russie gagne la guerre et que l’écrasante majorité des électeurs du SMER – social-démocratie (SMER – SD) de l’ancien premier ministre Robert Fico se range du côté du Kremlin.
Tout en fournissant une aide importante à l’Ukraine voisine, la Pologne est pour sa part empêtrée dans un conflit sur l’état de droit avec la Commission européenne. Varsovie viole l’État de droit depuis des années, et l’argent lié au Fonds de relance a été bloqué en raison de la résistance du pays à se conformer aux règles de l’UE.
De même, la Hongrie, autre mouton noir du bloc, fait l’objet d’un recours collectif de la part de 15 États membres de l’UE en raison d’une loi anti-LGBT et a été mise en cause pour son apparente position prorusse.
Si le différend trouve son origine dans le faible coût des céréales ukrainiennes et son impact sur les agriculteurs locaux, les courants géopolitiques sous-jacents et les positions vis-à-vis de la Russie et de la Commission ont probablement un rôle à jouer dans cette interdiction.
Nouveau programme de soutien
La Commission a signalé lundi qu’elle envisageait un nouveau programme de soutien aux agriculteurs de l’UE touchés par l’afflux de produits agricoles ukrainiens. En outre, les gouvernements peuvent décider de renforcer cette aide en puisant dans le budget de l’État, comme le ferait la Pologne, selon le ministère polonais de I’Agriculture. Le montant maximal de l’aide serait 112,6 millions d’euros, a indiqué Bruxelles.
Des pourparlers ont également eu lieu lundi entre Varsovie et Kiev afin d’envisager la possibilité de rouvrir le transit des denrées alimentaires et des céréales, mais aucun accord n’a été conclu jusqu’à présent.
La Pologne a déclaré qu’elle continuerait à interdire les importations des céréales et d’autres produits alimentaires, notamment des fruits, des légumes et de la volaille, en provenance d’Ukraine. La Hongrie et la Slovaquie ont déjà emboîté le pas, tandis que la Bulgarie réfléchit actuellement à une mesure similaire.
Entre-temps, la question des importations en provenance d’Ukraine sera inscrite à l’ordre du jour de la réunion des ministres de I’Agriculture de l’UE de mardi prochain (25 avril).
Les couloirs de solidarité
Après la mise en place par l’UE des couloirs de solidarité pour faciliter les importations depuis l’Ukraine, de grandes quantités de céréales ukrainiennes, moins chères et parfois de moindre qualité, ont fini par rester dans certains États d’Europe centrale.
C’est le cas notamment en Pologne, en Roumanie, en Hongrie et en Bulgarie, où les prix et les ventes des céréales locales ont chuté, faisant perdre leur gagne-pain à beaucoup d’agriculteurs.
« Les négociations sont en cours. Il y a un obstacle : nous, la Pologne, devons être sûrs à 100 % que les produits qui entrent en Pologne n’y resteront pas. C’est ce que nous avons promis aux agriculteurs polonais, et nous devons élaborer des mécanismes appropriés », a déclaré lors d’un point de presse le ministre de I’Agriculture, Robert Telus, cité par l’Agence de presse polonaise (PAP).
En Pologne, les perturbations du marché ont déclenché de vives protestations de la part des agriculteurs, obligeant le gouvernement à limoger l’ancien ministre de I’Agriculture, Henryk Kowalczyk, qui, selon les agriculteurs, a longtemps négligé la question et les a même trompés en leur promettant une augmentation des prix des céréales l’année dernière.
M. Telus, le successeur de M. Kowalczyk, a assuré lundi qu’aucun produit soumis à l’interdiction n’arrivait en Pologne. « J’ai été informé par les services que depuis que la résolution [introduisant l’interdiction] a été imprimée samedi vers 20 heures, aucun de ces produits n’entre plus en Pologne », a-t-il affirmé.
Dans le même temps, le président Andrzej Duda estime que l’intérêt des agriculteurs polonais doit primer et accepte donc la décision du gouvernement d’interdire l’importation de certains produits alimentaires ukrainiens, a déclaré Marcin Przydacz, conseiller présidentiel, à la chaîne publique TVP.
« Les agriculteurs polonais doivent être protégés et les activités entreprises par le gouvernement, les annonces d’interdiction de transit, ainsi que les subventions et le retrait des céréales excédentaires du marché, sont acceptées », a-t-il indiqué.
En mars, la Commission a annoncé qu’elle débloquerait 56,3 millions d’euros de la réserve de crise de l’UE pour la Pologne, la Bulgarie et la Roumanie afin que les gouvernements distribuent cet argent aux agriculteurs les plus touchés par l’afflux de céréales ukrainiennes. Dans le cadre de ce programme, 29,5 millions d’euros seront alloués à la Pologne.
La Commission est en contact permanent avec les gouvernements polonais et hongrois concernant l’interdiction d’importer des produits alimentaires ukrainiens, a déclaré Arianna Podesta, porte-parole de la Commission, à l’agence PAP dimanche (16 avril).
Mme Podesta a insisté sur le fait que les décisions en matière de politique commerciale relèvent de la seule compétence de l’UE et que les projets unilatéraux ne sont pas autorisés. Même dans la situation difficile actuelle, il est crucial de coordonner toutes les décisions avec les autorités de l’UE, a-t-elle ajouté.
Plus tôt dans la journée, la Commission a critiqué les mesures prises par Varsovie et Budapest et a qualifié leurs actions d’« inacceptables ».
Sofia critique la Commission européenne
Entre-temps, la Bulgarie a rejeté la responsabilité de l’impasse actuelle sur la Commission européenne.
« L’importation de céréales, de tournesol et de lait sec en provenance d’Ukraine est actuellement suspendue dans certains pays, et nous insistons sur une distribution équitable dans l’ensemble de l’Union européenne », a déclaré le ministre de l’Agriculture Yavor Geshev à bTV, précisant que la Bulgarie peut également limiter l’importation de céréales en provenance d’Ukraine, comme l’ont fait la Pologne et la Hongrie.
Toutefois, la Bulgarie avait déjà demandé à la Commission européenne de se prononcer sur la question dès septembre 2022.
« Cela fait déjà six mois que nous attendons que la Commission européenne prenne une décision — cette question a été soulevée au plus haut niveau. Qu’allons-nous faire ? Laisser les agriculteurs bulgares faire faillite ? », a commenté M. Gechev.
Mais le ministre s’est dit déçu par le porte-parole de la Commission, d’autant plus qu’il a qualifié la politique commerciale de l’UE de compétence exclusive de l’UE.
Les producteurs bulgares, qui ont manifesté à plusieurs reprises, auraient perdu entre 800 et 900 millions de leva (400 à 450 millions d’euros), a souligné M. Gechev.
M. Gechev fait partie de l’administration du président Rumen Radev, un responsable politique bien connu pour ses positions prorusses qui promet aux citoyens bulgares de lutter contre l’inflation des denrées alimentaires, qui atteint 50 %, tout en voulant limiter les importations compétitives de céréales en provenance d’Ukraine. Jusqu’à présent, les six formations politiques entrées dans le nouveau parlement n’ont pas pris position sur la question.
Juste avant les élections législatives du 2 avril, les producteurs de céréales bulgares ont organisé des manifestations de trois jours pour réclamer l’interdiction des importations en provenance d’Ukraine. M. Gechev a soutenu avec enthousiasme ces manifestations et est même monté sur l’un des tracteurs qui ont bloqué la circulation sur le pont du Danube entre la Bulgarie et la Roumanie.
Pour avoir laissé passer les céréales et les produits alimentaires ukrainiens sur son territoire, la Bulgarie a reçu une compensation de 16 millions d’euros.
Le pays a demandé une compensation supplémentaire de 100 millions de leva (51 millions d’euros), alors même que les producteurs de céréales bulgares reçoivent des centaines de millions d’euros de subventions directes de l’UE pour les terres qu’ils cultivent.
La République tchèque n’a pas l’intention d’interdire les importations de céréales ukrainiennes
Pour sa part, Prague n’a pas l’intention d’interdire les importations de céréales et d’autres produits agricoles en provenance d’Ukraine, a annoncé lundi le ministre tchèque de I’Agriculture, Zdeněk Nekula (KDU-CČSL, PPE).
M. Nekula a souligné que les interdictions introduites ces derniers jours par la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie sont contraires aux règles du marché unique de l’UE et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Le ministre tchèque a également souligné que les pays de l’UE devraient contribuer autant que possible à l’exportation des produits agricoles ukrainiens vers les pays extérieurs à l’UE.
« Les interdictions unilatérales imposées par certains pays ne résoudront rien. Nous devons trouver un consensus au sein de l’UE sur les règles de transit des produits agricoles de l’Ukraine vers les ports européens et sur la poursuite de la production vers les pays non membres de l’UE qui dépendent de la production ukrainienne », a ajouté le ministre tchèque.