Alors que la Commission européenne a publié les remarques faites à la France concernant son Plan stratégique national (PSN), le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Julien Denormandie a répondu à son tour, défendant sa vision et son bilan politique.
Comme nous nous en faisions l’écho dans ces colonnes, l’exécutif européen a envoyé le 31 mars dernier une liste de recommandations aux Etats européens pour améliorer leur PSN, feuille de route nationale de la nouvelle PAC (2023-2027).
Désormais publiée sur le site de la Commission, cette lettre avait été jugée sévère à l’encontre de la France, mais juste pour nombreuses associations environnementales. Celle-ci pointe le manque « d’ambition environnementale » du PSN, détaillant diverses critiques sur la faible prise en compte du bien-être animal dans l’élevage, ou sur le même traitement des Label HVE et bio, lesquels répondent pourtant à des cahiers des charges différents.
Dans une lettre datée du 22 avril, Julien Denormandie a donc répondu personnellement à ces critiques, s’adressant directement au Commissaire européen à l’agriculture Janusz Wojciechowski, entre distinctions formelles, justifications, et même quelques reproches en arrière-plan.
Co-construction avec les Régions
Le ministre explique d’entrée, dans la courte missive, que les différents éléments seront abordés avec précision « ultérieurement », se laissant le temps de consulter les Régions notamment, dans un objectif de « co-construction » avec les acteurs qui avaient participé à la création de la première mouture du PSN.
Il annonce vouloir organiser une réunion de concertation avec les parties-prenantes afin de trouver « des réponses partagées qui satisfassent l’ensemble des décideurs des futures interventions du PSN, et leur partenariat respectif. » Ainsi, cette organisation ne permettra pas à la France d’adresser une réponse détaillée « dans le délai de trois semaines » comme cela avait été suggéré par la Commission.
En revanche, le ministre conclut sa lettre en expliquant attendre une « validation rapide » des plans stratégiques dans l’objectif de construire « un système alimentaire durable permettant d’assurer la sécurité d’approvisionnement des consommateurs européens. »
Equilibres intactes et autres leviers nationaux
Arrive le moment des justifications. Si Julien Denormandie reconnaît devoir rectifier des erreurs techniques et effectuer des mises en conformité réglementaires, cela ne remet pas en question pour lui « les équilibres présentés dans le PSN ».
Il s’interroge en outre sur certaines observations qui, selon lui, relèvent « de l’opportunité », « d’autant plus que l’objectif annoncé de la nouvelle PAC était de laisser une plus grande subsidiarité aux Etats membres par rapport au modèle précédent de conformité. »
D’autre part, le ministre rappelle que le PSN doit s’apprécier en lien avec « l’ensemble des politiques publiques déployées par la France » qui concourent à atteindre les objectifs du Pacte vert européen (Green deal).
Le PSN agit donc en « synergie » avec « d’autres leviers […] d’ores et déjà mis en œuvre en France, et qui doivent être pris en compte. » Et M. Denormandie d’en donner quelques exemples comme les différents plans de relance économique dont l’agriculture profite, les lois nationales sur l’amélioration du revenu des agriculteurs (Egalim2), la réforme des outils de gestion des risques climatiques, entre autres.
Concilier production et protection
L’autre justification porte sur les changements profonds engendrés par la guerre en Ukraine, imposant la recherche de la sécurité alimentaire et de la résilience des filières. Or, selon le ministre, les orientations du PSN sont « d’autant plus pertinentes » à cet aune. Il met ainsi en avant les avancées faites ces derniers moins en faveur de « l’autonomie protéique », et la « préservation des écosystèmes ».
« Au final, nous devons réussir à concilier production et protection. Une voie est possible pour y parvenir : celle du progrès » écrit Julien Denormandie, comptant sur « cette troisième révolution agricole qui repose sur le numérique, la recherche variétale, l’agro-robotique et le bio-contrôle. »
La France demande à l’Europe de mettre en place des clauses-miroir
En fin de lettre, Julien Denormandie passe à l’offensive en venant défendre les agriculteurs contre les assauts du libre-échange. « Nous ne réussirons pas à protéger la santé publique, les préférences collectives de nos concitoyens et notre environnement, en imposant à nos producteurs des normes et obligations toujours plus strictes dans un laps de temps resserré sans renforcer, en parallèle, nos attentes en matière de qualité des produits que nous importons » écrit-il.
Le ministre demande donc des « avancées concrètes » en mettant en cohérence les politiques agricoles, alimentaires, de santé et environnementale avec les politiques commerciales menées par la Commission européenne. « Ceci est impérieux » pour ne pas saper les efforts qui seront fournis par les agriculteurs lors de la prochaine PAC.
Il prend comme exemple la mesure-miroir sur les antibiotiques utilisés à des fins de promotion de croissance. Ce produit, ne respectant pas les standards européens, fut interdit de manière anticipée par la France. Le ministre enjoint l’Union européenne d’ « avancer plus rapidement sur la mise en œuvre de mesures miroirs et de la réciprocité ».
« Pour une autre PAC » dévoile sa lettre idéale
Pour les associations qui soutenaient les remarques faites au PSN par la Commission, cette réponse est reçue comme une volonté de balayer les critiques d’un revers de main.
Le collectif Pour une autre PAC a réagi en publiant une lettre factice qui serait pour eux la « lettre idéale » qu’aurait dû envoyer le ministre.
« Fort du nouvel éclairage apporté par Emmanuel Macron, l’ensemble du gouvernement français est désormais déterminé à refondre le Plan Stratégique National que nous vous avons présenté en décembre dernier, en suivant les recommandations et alertes formulées par la Commission » écrit le collectif, en se mettant dans la peau du ministre.
Cette fausse lettre annonce la mise en place de mesures concrètes, évidemment défendues par le collectif, dans l’objectif de « rehausser l’ambition environnementale et climatique de notre PSN ». Parmi elles, l’ « obligation de rotation des cultures », « dédier au moins 4 % de la surface des fermes à des éléments réellement favorables à la biodiversité (comme les haies) » ou encore la « suppression des certifications autres que la bio et une rémunération de cette dernière à hauteur d’au moins 145 euros par an ».