Cet article fait partie de l'édition spéciale Comment la guerre en Ukraine transforme la PAC.
Depuis le début de la crise ukrainienne, afin d’accroître la production, les agriculteurs français ont obtenu des dérogations pour cultiver les jachères, ces terres habituellement au repos. Toute la question est maintenant de savoir si la nouvelle PAC en cours de négociation sera également impactée.
Nom de code : J5L ou J6S. Alors que les exploitants déclarent en ce moment-même leurs activités pour bénéficier des subventions de la PAC 2022, plusieurs nouveautés apparaissent sur l’interface de saisie du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Il s’agit des dérogations sur l’utilisation des jachères.
Avec les conséquences de la guerre en Ukraine et la priorité à la souveraineté alimentaire, les agriculteurs sont appelés à accroître leur production. La France, exportatrice mondiale de matières premières agricoles, doit « assumer le rôle nourricier de l’Europe » comme le répète à l’envi le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Julien Denormandie.
Début mars, la France entamait les négociations au niveau européen, forte de sa présidence du Conseil de l’UE, pour pouvoir valoriser les jachères, ces terres incultes visant à laisser reposer les sols et diversifier les paysages. Dans la PAC actuelle, une aide importante aux agriculteurs, le paiement vert, est conditionné à la sauvegarde de 5 % de ces surfaces d’intérêts écologiques (SIE) dont les jachères font partie.
Ainsi, avec l’aval de la Commission européenne, le gouvernement a pris un arrêté le 28 mars pour autoriser par dérogation et de façon temporaire, la culture, la fauche et le pâturage sur les jachères. Tout en maintenant le statut de SIE donnant droit aux aides. L’interdiction des produits phytosanitaires a également été levée.
En France, les jachères recouvrent 300 000 hectares environ, qui peuvent désormais être utilisées pour cultiver des céréales de printemps, des oléagineux et des légumineuses. Seules les jachères accueillant des ruches ne sont pas concernées par ces dérogations.
Cette entorse circonstancielle aux réglementations n’est pas du goût de tout le monde, en particulier du collectif Pour une autre PAC qui s’en émouvait fin mars : « Pour l’année 2022, sur proposition initiale de la Présidence française de l’UE (PFUE), le paiement vert ne sera ainsi plus soumis au respect de règles environnementales ! »
« Cela correspond à 2 % des terres arables françaises, soit un potentiel maximum de production de 2,6 millions de tonnes de blé (probablement beaucoup moins car les terres concernées sont peu productives et peu évidentes à cultiver). On est très loin des ordres de grandeur nécessaires », expliquait le député écologiste Benoît Biteau dans un communiqué.
Selon le commissaire européen à l’agriculture Janusz Wojciechowski, il s’agit d’une « dérogation exceptionnelle et temporaire permettant la production de n’importe quelle culture sur des terres en jachère cette année, tout en maintenant intégralement les paiements directs verts pour les agriculteurs. »
Que restera-t-il du PSN ?
La question est désormais de savoir si la prochaine PAC en cours de négociation sera également impactée, alors que les plans stratégiques nationaux (PSN) ont été transmis à la Commission avant le début de la crise ukrainienne.
Comme l’écrivait EURACTIV, la France a reçu le 31 mars une lettre de l’exécutif européen faisant état de nombreux manquements dans son PSN. Cette dernière reprochait notamment un manque « d’ambition environnementale ».
Dans sa ligne de mire : l’éco-régime. La Commission regrettait en effet que cette aide, indexée sur les efforts environnementaux, récompense de la même manière les cultures biologiques et celles certifiées Haute Valeur Environnementale (HVE).
Or ce label HVE fait l’objet de critiques depuis le début de son intégration dans le PSN, son cahier des charges étant nettement moins contraignant que celui du bio.
Cette entorse au principe de conditionnalité des aides, particulièrement renforcée dans cette nouvelle PAC, sera probablement revue par le gouvernement. Cette conditionnalité fait partie « des points qui concernent la réglementation et qui vont devoir être changés dans le PSN. La France n’a pas le choix. La commission ne peut pas faire de chèque en blanc », confie à EURACTIV Mathieu Courgeau, président de la plateforme Pour une autre PAC.
Outre les questions réglementaires, difficilement contournables, le reste sera d’ordre « politique » reconnaît Mathieu Courgeau. Raison pour laquelle, depuis quelques jours, les associations se mobilisent pour faire pression sur le gouvernement afin de revoir en profondeur le PSN.
Concernant les jachères, les associations craignent par exemple que la France autorise, comme c’est le cas actuellement, leur culture dans les années à venir. Dans les nouveaux plans stratégiques, il y a, pour l’instant, obligation de disposer de surfaces non productives (dont les jachères) de 4 % à 7 % des terres exploitées.
Or à l’issue du Conseil « Agriculture et pêche » le 7 avril dernier, le ministre Julien Denormandie précisait en conférence de presse que, pour 2023, la question des jachères sera portée à la « discussion en temps voulu » par le commissaire européen à l’Agriculture. Rien n’est joué, donc.
Difficile, pour le moment, de savoir ce que va devenir le PSN, d’autant que l’actualité se voit percutée par les élections présidentielles le 24 avril prochain. Si la majorité présidentielle est reconduite, le ministère maintiendra « l’objectif d’une validation du PSN d’ici l’été ».
En attendant que la France remette sa version corrigée du PSN, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation confie à EURACTIV que « chacune des observations de la Commission seront étudiées » avant de lui répondre, « après avoir consulté les parties prenantes ».
« Le contexte de la guerre en Ukraine, en remettant en lumière l’impératif de souveraineté alimentaire, impacte également, en cours de route, le processus d’examen des PSN en pleine procédure » nous explique le ministère.
Du côté du collectif Pour une autre PAC, les attentes sont minces. Selon son président Mathieu Courgeau « on ne peut pas détricoter le PSN plus que ça. On ne peut pas faire moins ».
Nous aurons la réponse dans quelques semaines, après les élections.