La France reste déterminée à sortir du glyphosate « au plus tard dans trois ans » et a appelé Bruxelles à adopter de nouvelles méthodes d’évaluation des substances chimiques, après un vote européen autorisant la vente de l’herbicide controversé cinq ans de plus.
Au terme de deux ans de débats difficiles, les Etats membres de l’UE ont décidé d’une nouvelle autorisation de l’herbicide pour cinq ans, après un vote favorable de 18 pays dont, contre toute attente, l’Allemagne, neuf oppositions et une abstention.
La France, qui prônait une licence de trois à quatre ans maximum, « regrette ce résultat », a réagi Matignon. Elle « entend continuer, avec d’autres États membres, à peser au niveau européen pour que la Commission mène des études supplémentaires sur la dangerosité du produit et sur les alternatives pour les agriculteurs », ajoute le gouvernement.
J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans. #MakeOurPlanetGreatAgain
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 27, 2017
« Il faut voir d’où on vient. Si nous n’étions pas intervenus, [l’UE] aurait revoté une autorisation pour dix ans », a fait remarquer sur RTL le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot. « Mais cinq ans, c’est trop long et les mesures d’accompagnement pour l’instant sont insuffisantes. (Alors) on va regarder ce que la France peut faire de son côté. »
Il a ajouté être « un peu triste » que l’UE n’ait pas entendu « l’expression citoyenne » en faveur du principe de précaution. « Je suis convaincu que les alternatives [au glyphosate] existent, et trois ans me paraît un calendrier raisonnable pour concilier les points de vue », a-t-il dit.
Syndicat agricole majoritaire, la FNSEA a pris acte du vote mais déploré que Paris ait « fait bande à part ».
Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert s’est lui déclaré « heureux » qu’un accord européen ait été conclu, tout en appelant à trouver des solutions de remplacement au fameux principe actif du Roundup de Monsanto.
À ceux qui s’étonnaient de le voir ainsi en contradiction du reste du gouvernement, il a précisé : « J’ai pris acte d’une décision […] en disant regardons d’où on part. Il y a encore quelques semaines nous nous demandions si nous n’allions pas ré-autoriser le glyphosate pour dix ans. Et la France s’est exprimée vivement contre ce renouvellement de l’autorisation pour dix ans. »
De son côté, l’eurodéputé EELV Yannick Jadot s’est félicité de l’initiative française en vue d’une sortie du glyphosate en trois ans, mais a déploré que la France ait « perdu au niveau européen ».
L’eurodéputé a fustigé « le retournement de la position allemande », qui a permis l’autorisation de l’herbicide controversé pour cinq ans de plus dans l’UE. Il a aussi regretté que la France ne se soit pas davantage impliquée au niveau européen.
« Moi j’aurais préféré un SMS d’Emmanuel Macron à Angela Merkel qu’un tweet », a-t-il déclaré. « Un SMS où la France aurait dit à son partenaire allemand c’est important la santé, les paysans, l’environnement. »
« On a eu entre la Commission et les États membres un grand concours de lâcheté où Monsanto a gagné, malgré ses turpitudes, contre la santé », a-t-il poursuivi.
En ce qui concerne les déclarations du gouvernement sur une interdiction française, l’eurodéputé a estimé qu’il s’agissait d’une « bonne nouvelle ». « Tant mieux, enfin, après six mois de gouvernement, on a une décision en faveur de l’environnement, on ne va pas bouder son plaisir », a-t-il commenté, soulignant néanmoins que cela ne signifiait pas, et de loi, que les produits sur le marchés français seraient exempt du pesticides.
« On pouvait gagner au niveau européen, la France n’a pas porté cette interdiction au niveau européen, c’est dommage, mais il va falloir se battre », a-t-il soutenu, ajoutant qu’il y avait, à l’échelle du Parlement européen, une réflexion sur « des recours juridique ». « La Commission européenne comme les Etats membres ne respectent pas leur obligation de protéger la santé, d’appliquer le principe de précaution, c’est un enjeu juridique. »
Cafouillage allemand
Le feu vert au glyphosate a notamment été permis grâce à un vote favorable du représentant allemand, sur consigne du ministre de l’Agriculture, Christian Schmidt, un conservateur membre de la famille politique d’Angela Merkel.
Une décision qui a suscité des tensions au sein de la coalition gouvernementale allemande sortante entre conservateurs et sociaux-démocrates, au moment même où ils tentent de négocier une nouvelle alliance. Jusqu’ici, Berlin s’était abstenue sur le sujet en raison des divisions au sein du gouvernement autour du glyphosate entre démocrates-chrétiens de la chancelière et sociaux-démocrates.
La ministre sociale-démocrate de l’Environnement, Barbara Hendricks, opposée à l’herbicide, a immédiatement accusé son collègue de l’Agriculture d’avoir outrepassé ses prérogatives, parlant d’une « rupture de confiance » au sein de la coalition actuelle.
« Ceux qui espèrent construire une relation de confiance entre partenaires de coalition » ne peuvent pas se comporter ainsi, a-t-elle estimé. Elle s’était entretenu le matin même avec Christian Schmidt et assure qu’ils avaient convenu que l’Allemagne s’abstiendrait à nouveau et son collègue de l’Agriculture n’aurait pas tenu parole.
« C’est un événement sans précédent, une violation manifeste de la confiance de la part de la CSU. Nous estimons qu’il s’agit d’un lourd fardeau », s’est de son côté exclamée la cheffe du groupe parlementaire social-démocrate Andrea Nahles.
Cette « décision étrange » prise par le ministre de l’Agriculture soulève la question de savoir si Angela Merkel a encore ses troupes « sous contrôle », s’est demandé la nouvelle figure forte du SPD.
Le ministre a de son côté justifié son vote en expliquant que la Commission européenne aurait dans le cas contraire eu le dernier mot et aurait « de toute manière voté en faveur de la prolongation du glyphosate ».
Transparence et indépendance
La recherche de substituts est « déjà en cours dans de nombreux laboratoires, notamment de l’INRA », a dit sur RMC la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal, pour qui « nous allons être en capacité de sortir du glyphosate en ayant des produits de substitution ».
Nicolas Hulot a donné rendez-vous à l’issue, en décembre, des États généraux de l’alimentation en cours depuis juillet. « Il va falloir notamment à l’issue des Etats généraux et de manière plus large dans la perspective de la révision de la politique agricole commune, se doter d’une stratégie pour progressivement mais radicalement sortir de ces substances qui créent une relation de défiance dont n’ont pas besoin les acteurs du monde agricole », a-t-il indiqué.
Le gouvernement français a aussi demandé à la Commission européenne de faire « rapidement » des propositions pour revoir ses modes d’évaluation des substances chimiques, afin de renforcer leur « transparence et leur indépendance », écrit le cabinet du Premier ministre, Édouard Philippe.
Le glyphosate fait l’objet d’une âpre bataille depuis son classement parmi les cancérogènes probables en 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer (agence de l’OMS). L’EFSA, agence européenne de la sécurité alimentaire, est arrivée à la conclusion inverse. Des scientifiques et ONG ont cependant dénoncé une évaluation « biaisée » car basée sur des rapports fournis par les industriels.
Après le vote européen, les ONG en avaient appelé au gouvernement français. « Il est toujours possible pour un pays [d’interdire] une matière active autorisée en Europe, il faut simplement le justifier auprès de l’UE », explique François Veillerette, porte-parole de Générations futures. « La France doit être à la hauteur de sa promesse. »
« Le feuilleton du glyphosate depuis deux ans a mis en lambeaux la confiance du public dans les procédures d’homologation. Donc maintenant ça suffit. L’homologation des pesticides ne pourra plus se passer comme avant », estime-t-il.