Cet article fait partie de l'édition spéciale Nouveaux défis pour la rentabilité de l’agriculture européenne.
La seule façon de faire baisser le prix de l’alimentation est de rendre la chaîne d’approvisionnement transparente et d’octroyer aux agriculteurs une meilleure part du marché, prévient un représentant de la Commission.
La manière dont les marchés fonctionnent sur le terrain est toujours différente de ce qui a été prévu sur le papier, admet Tasos Haniotis, directeur de stratégie et analyse de politiques à la DG Agri de la Commission européenne.
L’organisation imparfaite de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire se traduit par une augmentation des prix « toujours reportée sur le consommateur », qui finit par en supporter le coût. « Et quand les prix chutent, les producteurs en souffrent, sans pour autant que les consommateurs fassent d’économie. »
Rémunération juste et prix abordables
Le 25 avril, le fonctionnaire participait à un événement Euractiv qui a permis aux différents acteurs du secteur d’échanger leurs vues sur la Politique agricole commune (PAC) post-2020 et la manière dont celle-ci pourrait assurer à la fois des rémunérations juste pour les producteurs et des prix abordables pour les consommateurs.
Le fonctionnaire prévient pourtant qu’il ne faut pas s’attendre à une diminution des prix tant que les agriculteurs ne s’organiseront pas pour peser davantage dans la chaîne d’approvisionnement et que celle-ci ne sera pas rendue plus transparente. « Si les agriculteurs ne s’organisent pas mieux, ils ne se tailleront pas une meilleure part du marché », a-t-il assuré, ajoutant que les consommateurs devraient aussi mieux s’informer sur les choix qu’ils font.
« À ce niveau, le rôle de la PAC est d’améliorer la transparence et le fonctionnement du marché », poursuit-il. Quant à la qualité, la PAC devrait assurer le respect des normes européennes par les agriculteurs et permettre aux consommateurs de faire des choix informés.
Défis de la sécurité alimentaire
En ce qui concerne la prochaine période de la PAC, Tasos Haniotis estime que le cœur du problème sera de garantir la sécurité alimentaire et de transformer les tensions existantes en synergies. « Il y a des tensions entre l’économie et l’environnement, la subsidiarité et la simplification, la croissance et l’emploi. Tous ces facteurs ne vont pas nécessairement ensemble », regrette-t-il.
Déséquilibre de l’approvisionnement
Angélique Delahaye, eurodéputée Les Républicains, a proposé quatre points à intégrer à la future PAC dans un rapport d’initiative adopté l’an dernier. Pour elle, il faudrait avant tout restructurer la chaîne d’approvisionnement en aidant les agriculteurs à mettre leurs activités en contexte, s’attaquer aux pratiques commerciales déloyales, réformer la loi européenne sur la concurrence et promouvoir la coordination au sein de l’industrie.
« En tant qu’agricultrice, je connais la réalité sur le terrain et je suis convaincue que les producteurs souffrent souvent d’une position de faiblesse dans la chaîne d’approvisionnement et devraient être plus protégés et mieux profiter de la valeur ajoutée de leurs produits », assure-t-elle.
Selon Pekka Pesonen, secrétaire général de l’association européenne des agriculteurs et coopératives agricoles (COPA-COGECA), les agriculteurs sont confrontés à de plus en plus de risques, des événements météorologiques à la volatilité des marchés, en passant même par la géopolitique.
Nouveaux outils
« La conséquence de ces risques est d’un côté une volatilité croissante des prix, et de l’autre des revenus à la baisse », explique-t-il. Face à la volatilité des marchés, il préconise de mettre de nouveaux outils à disposition des producteurs par le biais d’une PAC solide et assurant l’application des mêmes règles partout en Europe.
Pekka Pesonen estime cependant que la structure de la PAC ne devrait pas être modifiée. IL propose de garder les premier et deuxième piliers tels quels, ainsi que les paiements directs aux agriculteurs, qui sont selon lui la meilleure manière de les aider à gérer des risques et à stabiliser leurs revenus.
Il insiste par contre sur la nécessité de simplifier la PAC, assurant que « sa complexité étouffe l’innovation et l’efficacité et encombre les producteurs ».
« Il existe un manque évident d’équilibre des pouvoirs au sein de la chaîne d’approvisionnement, ce qui mène fréquemment à des pratiques commerciales déloyales à l’encontre des maillons les plus vulnérables : les agriculteurs », fait-il remarquer. « Tant que les comportements non éthiques et injustifiés mènent à des gains économiques, il n’y aura pas de chaine d’approvisionnement juste, transparente et efficace. »
La qualité, force de l’UE
Christel Delberghe, d’EuroCommerce, une organisation de représentation des vendeurs, assure comprendre la situation difficile dans laquelle se trouvent les agriculteurs. Il note cependant que les détaillants ont pris des mesures pour les aider durant la crise, via un soutien financier direct et des efforts de promotion. « Mais le fait est qu’ils n’achètent que rarement directement auprès des agriculteurs et que les prix de vente au détail n’ont pas grand-chose à voir avec ce que les agriculteurs reçoivent », explique-t-elle.
La représentante cite l’exemple du lait : moins de 15 % de la production finit chez les détaillants sous forme de lait à boire. « À elle seule, l’augmentation du prix du lait de consommation n’a donc qu’un impact limité sur le prix touché par les producteurs de lait ».
La qualité de la production est le point fort de l’Europe, assure Christel Delberghe, et le nombre de consommateurs prêts à payer plus pour des produits bio, locaux ou de qualité augmente. « C’est la force de l’Europe, qui est notamment due à la nécessité des détaillants d’attirer à eux les acheteurs. »
EuroCommerce soutient une grande partie des recommandations formulées pour la future PAC, notamment en ce qui concerne la transparence et l’orientation vers le marché, ainsi que les mesures renforçant la position des producteurs dans la chaine d’approvisionnement ou minimisant l’impact de la volatilité des marchés sur leurs revenus.
« Les détaillants veulent un secteur agricole qui survive au long terme et sont prêts à y contribuer en entamant un dialogue positif », assure-t-elle. « Les remèdes populistes à court terme n’offrent pas de solution durable. »
Consommateurs éduqués, une panacée ?
Pour Geneviève Savigny, de l’ONG Via Campesina (Mouvement paysan international), l’idée selon laquelle l’éducation des consommateurs pourrait régler le problème des prix des aliments est une contre-vérité.
« Les gens qui ont des revenus peu élevés ont tendance à dire qu’ils ne sont pas éduqués, ce qui n’est pas vrai. Ils savent ce qui est bon pour eux, mais ils ne peuvent tout simplement pas se le permettre », juge-t-elle.
Elle insiste sur le fait que la PAC ne devrait pas nécessairement être tournée vers l’exportation et qu’il existe de nombreux moyens d’atteindre les consommateurs, comme l’agriculture soutenue par la communauté. « La PAC doit-elle réellement s’orienter vers l’exportation ? Dans le traité de Rome, il est stipulé qu’elle répond au besoin d’assurer la sécurité alimentaire, nous voulons donc nous concentrer sur la sécurité alimentaire, la stabilisation des marchés, les rémunérations des agriculteurs et le maintien d’activité dans les zones rurales. »
Les membres de Via Campesina sont des petits producteurs, qui ont des contacts directs avec les consommateurs et utilisent les circuits courts ou la transformation sur place pour valoriser leurs produits.
« Résultat : nous arrivons à de meilleurs revenus, une vie meilleure, de meilleures conditions. Cela demande beaucoup de travail, mais c’est vraiment positif de pouvoir transformer et vendre vos produits directement sur les différents marchés locaux », indique Geneviève Savigny.
Elle confirme que les acheteurs sont prêts à payer davantage pour un produit de meilleure qualité, frais et savoureux, particulièrement quand ils connaissent le producteur. « Il y a donc aussi une valeur sociale [à ce modèle], parce que les consommateurs vous connaissent, une relation de confiance s’établit. » Ce processus apporte de la croissance aux économies locales, ainsi que la création d’emplois et l’organisation des communautés.