Pour trois députés européens, la révision de la directive IED (Émissions Industrielles) discutée en trilogue mardi (28 novembre) pourrait conduire à une gestion industrielle de l’élevage bovin, et mettre en péril les exploitations qui n’auront pas les moyens d’investir. Ils appellent la Commission à exclure les vaches de la législation, et à ne pas imposer de nouvelles mesures aux porcs et aux volailles.
Par les eurodéputés Benoît Lutgen (PPE), Jérémy Decerle (Renew) et Paolo Decastro (S&D), rapporteurs de la commission de l’Agriculture et du développement rural (AGRI) du Parlement européen sur la révision de la directive IED.
L’actuel « Green Deal » de l’UE se prépare à lutter contre le changement climatique. Nous avons approuvé ce pacte en 2020 afin de rendre l’Union européenne neutre sur le plan climatique en 2050, et nous nous engageons pleinement à atteindre cet objectif.
À cette fin, en déclinaison de ce Green Deal, une série d’initiatives politiques telles que la révision de la directive sur les émissions industrielles (IED) est en cours d’élaboration. Cette révision vise à atteindre l’objectif de pollution zéro de l’UE en réduisant les émissions des grandes industries telles que les centrales électriques, les raffineries, le traitement et l’incinération des déchets, la production de métaux, de ciment, de verre, de produits chimiques, etc.
Et maintenant, la Commission européenne voudrait traiter les vaches comme une industrie.
Comment ? En ayant la brillante idée de les soumettre au même processus de production en
circuit fermé que celui qui permet de capter la plupart des émissions des usines grâce à des
techniques d’atténuation, grâce auxquelles l’eau et l’air ne quittent pas l’usine avant d’avoir été
purifiés.
Et c’est là que le bât blesse : la plupart des vaches vivent à l’extérieur, dans les prairies, et ne sont pas enfermées dans un bâtiment toute l’année. L’ammoniac et le méthane qu’elles émettent ne peuvent pas être captés, à moins d’obliger les éleveurs à placer leurs animaux dans un environnement fermé et privé de lumière du jour.
Nous disons non ! Nous disons non, parce que nous avons vu à quel point cela n’a pas eu les
effets souhaités pour les secteurs de la viande porcine et de la volaille.
Selon la Commission européenne, la directive sur les émissions industrielles permet la maitrise
des émissions dans les secteurs de la viande porcine et de la volaille depuis 2010, avec de bons résultats à la clé… A-t-elle permis de freiner la concentration, de diversifier les activités. S’est-elle préoccupée du bien-être des porcs et de la volaille ? Pas du tout.
Avec pour seul et unique objectif de réduire les émissions, la directive sur les émissions
industrielles appliquée au bétail pourrait nécessiter des solutions issues de la grande industrie
: des animaux dans des étables fermées et des dispositifs pour purifier l’air de ces étables.
Le coût de cette installation sur une stabule existante est d’environ 50 000 euros. Et ce, s’il n’est pas nécessaire de construire une nouvelle stabule et d’installer des dispositifs d’atténuation pour élever des vaches qui sont actuellement élevées en plein air de manière saisonnière.
Le coût peut atteindre 1 million d’euros. Il va sans dire que seules les grandes exploitations
commerciales peuvent y parvenir. Et pour quel bénéfice en termes de durabilité ? Sans parler
du bien-être des animaux…
Par ailleurs, le modèle agricole européen a toujours été fondé sur la diversification des risques.
Il s’est toujours agi de simplement ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Mais avec la proposition actuelle, la Commission européenne pousserait à toujours plus de concentration, et de standardisation.
Avec un simple décompte, on additionnerait tous les animaux, peu importe qu’il s’agisse de vaches ou de poulets. Lorsqu’un agriculteur atteindrait un certain seuil, il devrait investir dans des techniques de réduction des émissions pour chacune des espèces. Ainsi, un agriculteur qui élève un certain nombre de vaches, de porcs et de poulets devrait investir trois fois plus que celui qui n’élève que des porcs.
Nous, membres du Parlement européen, affirmons clairement depuis des mois que tous les arguments exposés ci-dessus ne peuvent conduire qu’à une seule ligne de conduite raisonnable : nous devons maintenir le statu quo, c’est-à-dire exclure les vaches du champ d’application de la directive, et ne pas imposer de nouvelles mesures aux porcs et aux volailles déjà partiellement couverts par la législation actuelle.
Traiter l’agriculture comme une industrie est une erreur manifeste et ne résoudra rien. Au contraire, l’industrialisation du secteur agricole se poursuivra au détriment de l’agriculteur, qui devra faire face à des coûts plus élevés et disposera de moins de moyens pour diversifier ses revenus.
Les animaux, quant à eux, risquent de vivre sans lumière du jour et sans liberté de parcourir les prairies. Des dérogations pour l’élevage extensif sont sur la table, mais elles ne changeront pas grand-chose au signal envoyé aux agriculteurs sur la nature de leur activité.
En fin de compte, avec des effets plutôt incertains sur les émissions, cette politique risque
d’entraîner une diminution du nombre d’exploitations agricoles et une agriculture moins
durable.
Sans parler de l’augmentation des émissions à l’étranger, puisque la Commission n’est pas disposée à aller de l’avant avec le principe de réciprocité en appliquant des règles similaires aux produits animaux que nous importons actuellement, et que nous importerions
probablement encore plus si la directive devait être mise en œuvre.
Faut-il donc s’attaquer aux émissions provenant de l’agriculture et en particulier de l’élevage ?
Oui.
Devons-nous le faire par le biais de cette directive ? Nous disons non.
Nous pensons que la durabilité des exploitations agricoles doit faire l’objet de textes dédiés et qui abordent cette durabilité de façon globale. Certainement pas de cette manière. Les animaux méritent mieux que d’être traités comme des déchets ou du ciment, les agriculteurs méritent mieux que d’être considérés comme des industriels.