Certains ont accueilli avec scepticisme l’adhésion récente du Qatar dans le cercle des pays francophones, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). L’administrateur de l’OIF, Clément Duhaime, a toutefois affirmé que l’État du Golf a fait preuve de son engagement envers la langue française.
Clément Duhaime est l’administrateur de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Quels ont été les critères déterminants dans la décision d'accueillir le Qatar au sein de l'OIF en tant que membre observateur ?
Permettez-moi de revenir un instant sur la procédure. Tout pays qui souhaite devenir membre de l’OIF est appelé à déposer un dossier circonstancié de candidature. Le Secrétaire général de l’OIF soumet cette demande au Conseil permanent de la Francophonie qui l’examine et formule ensuite une recommandation à la Conférence ministérielle, et dans la foulée, aux chefs d’Etat et de gouvernement. Ce sont donc, en dernier ressort, les chefs d’Etat et de gouvernement qui prennent la décision et le statut à accorder aux pays candidats.
L’adhésion d’un pays repose sur un certain nombre de critères et des engagements précis en faveur de la promotion et la défense de la langue française. Elle suppose également le partage de nos valeurs communes que sont la paix, la démocratie, le respect des droits de l’homme. La candidature du Qatar a été examinée, tant sur le fond que sur la forme, selon ces principes.
Il y a relativement peu de qataris qui parlent le français. Le critère purement linguistique ne semble donc pas avoir été le plus déterminant dans ce cas-ci…
Le pourcentage de francophones est un critère parmi d’autres. Sur 2 millions d’habitants, on compte tout de même près de 200 000 francophones. C’est autant qu’en Arménie qui est devenue membre à part entière de l’Organisation.
Mais il y a naturellement d’autres éléments qui sont pris en ligne de compte, et notamment la volonté de ce pays de promouvoir notre langue et notre culture. Prenons l’exemple de la radio Oryx, animée par des francophones, en partenariat avec Radio France Internationale, qui va diffuser dans les prochains mois, 7 jours sur 7, et 24 heures sur 24 dans l’ensemble des pays du Golfe. Deux lycées franco-qataris ont d’ores et déjà été ouverts, un troisième est en construction et un centre culturel français sera prochainement inauguré. A la prochaine rentrée scolaire, 5 lycées publics vont adopter l'enseignement du français comme langue étrangère.
Vous le constatez, au-delà des enjeux géostratégiques, il y a des signes tangibles d’engagement vis-à-vis de la Francophonie.
Vous avez parlé des aspects géostratégiques. Les entreprises Qataries ont beaucoup investi en France récemment, dans l'énergie, le football et l'audiovisuel notamment. Ces investissements ont-ils pesé dans la décision de l'OIF ?
Il faut éviter de faire un amalgame entre des relations bilatérales et des décisions prises dans un cadre multilatéral. Dans le cas de l’adhésion du Qatar à l’OIF, c’est une décision qui a été prise par 56 chefs d’Etat et de gouvernement collégialement.
Mais l'économie joue un rôle je suppose…
Oui naturellement, l’économie joue un rôle puisque notre ambition est d’accompagner les pays dans leur développement social et économique. Mais il y a aussi la culture ou l’éducation qui sont importants pour nous. Le Qatar organise annuellement un sommet mondial sur l’innovation en éducation. C’est capital pour notre Organisation de faire entendre notre voix dans cette enceinte.
N’oublions pas que nous comptons, parmi nos membres, des pays riches, mais également des pays en développement. Si nous pouvons les accompagner pour améliorer la qualité de l’éducation dans leur pays, la Francophonie aura prouvé son utilité. C’est l’esprit de solidarité qui anime l’ensemble de nos pays membres qui est le plus important pour moi.
Le sommet de Kinshasa a également adopté une nouvelle politique intégrée de promotion du français. Y a-t-il des objectifs précis à atteindre dans ce domaine, notamment pour le Qatar ?
Pour l'ensemble des membres, pas seulement pour le Qatar !
Le XIVe Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement a effectivement adopté une politique intégrée de promotion de la langue française. Cette politique est une grande première car elle est le résultat d’un long processus de consultation et de concertation entre l’OIF, ses opérateurs spécialisés et les Etats et gouvernements membres. Elle s’inspire notamment des propositions émises par les participants au premier Forum mondial de la langue française qui s’est tenu en juillet dernier à Québec.
Justement, quelles sont ces obligations ? Tout ceci semble un peu informel…
Notre politique fixe six domaines prioritaires, notamment l'éducation, les médias, l’univers numérique et l’économie qui appellent une action énergique et concertée de l’ensemble des acteurs de la Francophonie. On a voulu couvrir tous les secteurs de la langue française, on a voulu mettre en commun nos savoirs-faire et nos compétences au service de la promotion du français. Ceci en tenant compte des coopérations bilatérales qui sont engagées dans ce combat via les réseaux d'alliances françaises et le réseau extraordinaire des 900 000 professeurs de français dans le monde.
Vous souligniez tout à l'heure les différences de développement entre les différents pays de l'OIF. Les objectifs sont-ils donc variables en fonction des moyens des états membres ?
On part d'un constat qui est international. Notre combat pour la diversité, c'est aussi le combat pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) que les Nations unies ont mis en place. Ces objectifs sont évidemment adaptés en fonction des différentes situations et des enjeux rencontrés dans les pays en développement dans lesquels nous agissons. Notre accompagnement se fait en parfaite harmonie avec les autorités nationales et souvent locales pour mesurer au mieux les besoins des populations.
Je voudrais ajouter aussi – on l'a répété au Sommet de Kinshasa -, que l'avenir de la langue française va se jouer en grande partie sur le continent africain, en raison de sa forte démographie et du défi de l'éducation qu’elle doit relever. D'ici 30 ou 40 ans, 85% des francophones – c'est-à-dire près de 700 millions de locuteurs – seront africains. D’où la nécessité de mettre en place une dynamique pour l’avenir, pour que notre jeunesse puisse trouver, grâce à la langue française, une ouverture sur le monde, un accès aux savoirs et à la connaissance.
Le Sommet de Kinshasa a également soulevé des questions par rapport à la démocratie en RDC, notamment de la part du Président François Hollande. Ces critiques vous semblent-elles justifiées ou ont-elles été exagérées selon vous ?
En tant qu’Administrateur de l’OIF, il ne m’appartient pas de me prononcer sur les propos des chefs d’Etat ou de gouvernements. Ce n’est pas mon rôle.
Pour notre Organisation, il était essentiel que ce XIVe Sommet ait lieu à Kinshasa, en République démocratique du Congo, une région clef pour l’avenir de la langue française. Rendez-vous compte ! C’était la première fois, depuis 1986, que ce rendez-vous phare de la Francophonie était organisé en Afrique centrale.
La République démocratique du Congo est un grand pays francophone, probablement le plus grand et le plus riche en ressources humaines et naturelles. J’ai coutume de dire que la RDC, avec ses multiples forêts, est le poumon du monde !
Alors bien sûr, au regard des valeurs qui sont au cœur du combat que mène notre Organisation, des valeurs de bonne gouvernance, de démocratie, de respect des droits de l’Homme, des messages forts devaient être transmis. Le Sommet à Kinshasa a clairement permis aux chefs d’Etat et de gouvernement d’exprimer leurs attentes sur ces sujets et de dire que la Francophonie était là pour soutenir et accompagner la RDC sur la voie de la reconstruction, de la paix et de la démocratie. C’est aussi le rôle d’un tel forum que de favoriser le dialogue et de laisser aux pays la possibilité d’exprimer leurs propres points de vue.
La décision d'accueillir le Qatar a étonné quelques observateurs et notamment l'American Jewish Committee (AJC) qui se demande pourquoi Israël n'est pas membre alors que 20% de sa population parle français. L'OIF a-t-elle définitivement fermé la porte à Israël ?
Il y a au moins 500 000 francophones en Israël, mais ce pays n’a jamais déposé de dossier de candidature. Il y a déjà eu, par le passé des contacts informels. Certains de nos pays membres ont effectivement faire part de leur souhait de voir Israël adhérer un jour à notre Organisation.
Donc la porte reste ouverte…
Vous savez, sur le terrain, en Israël – comme en Palestine d'ailleurs –, sont déjà présentes un certain nombre d’institutions francophones, ou en lien avec la Francophonie, qu’il s’agisse des coopérations bilatérales, de la société civile, des universitaires, etc. C’est un premier pas. Espérons qu’un jour, les conflits qui divisent cette partie du monde laissent place à une adhésion en toute sérénité de celles et ceux qui partagent nos valeurs et veulent nous rejoindre.
Vous trouvez qu'une demande d'adhésion d'Israël serait souhaitable ?
En 1970, l’Organisation comptait une vingtaine de pays. Aujourd’hui, nous sommes plus de soixante-dix !
Chaque demande d’adhésion est assurément un signe de fierté pour notre Organisation en ce qu’elle témoigne de notre attractivité et de notre vitalité. C’est la reconnaissance que dans notre forum, au sein de notre espace, se jouent des enjeux qui sont au cœur des évolutions du monde. C’est la reconnaissance que face à ces défis, la solidarité qui lie les francophones est non seulement utile mais surtout nécessaire.
Cela dit, sur l’appréciation du devenir d’une demande d’adhésion, il appartient aux seuls Chefs d'Etat et de gouvernement membres de se prononcer.