Malgré une série d’engagements internationaux et des efforts continus pour mettre fin aux mutilations génitales féminines, le taux d’excision en Guinée est toujours en hausse, regrette Alpha Amado Bano Barry.
Alpha Amado Bano Barry est un anthropologue guinéen. Il a étudié les ressorts de l’excision dans la société guinéenne. Il est auteur d’une analyse socio-anthropologique sur les mutilations génitales féminines en Guinée. Il participera lundi 6 février 2017 à la conférence ID4D « Mettre fin aux mutilations sexuelles féminines : le défi commun du Nord et du Sud » organisée à Paris par l’Agence Française de Développement, en partenariat avec l’association « Excision Parlons-en ! ».
Cette interview est publiée en partenariat avec le blog de réflexion sur le développement ID4D.
La Guinée est un des pays où les mutilations sexuelles féminines se pratiquent toujours à grande échelle. La lutte contre ces pratiques a-t-elle fait évoluer la situation ces dernières années ?
La Guinée fait partie d’un petit cercle réduit de pays où la prévalence de l’excision demeure extrêmement élevée. En Guinée la prévalence atteint 97 %, tandis qu’en Égypte elle est de 91 %, au Djibouti de 93 %, et en Somalie de 98 %. Mais vu la marge d’erreur statistique, le taux de prévalence est certainement plus ou moins le même dans l’ensemble de ces pays.
Pourtant, la Guinée s’est engagée au même titre que tous les pays africains à respecter la plupart des engagements internationaux – 11 en tout – qui interdisent l’excision. Et depuis 1969, la Guinée pénalise l’excision. Elle a même inscrit cette interdiction dans son droit national en 2000, même si dans les faits, les poursuites sont rares.
Entre 2010 et 2015, il y a eu quelques cas, mais les tribunaux sont extrêmement cléments, et n’appliquent pas les peines prévues contre les exciseuses ou la famille. Dans certaines localités, nous avons identifié un risque que la population s’oppose à une décision judiciaire en manifestant.
Enfin, il y a au moins 8 ou 9 stratégies de lutte contre l’excision qui ont été développées et mises en œuvre par la communauté internationale. Mais la conclusion est qu’en dépit de toutes ces tentatives et après plus de 40 ans d’action sur le terrain, le taux d’excision est toujours en progression.
Les rares pays où l’excision a reculé ces dernières années sont le Burkina et le Rwanda, mais les taux de prévalence y étaient déjà inférieurs à 50 %.
Quels sont les ressorts sociaux et religieux qui maintiennent ces pratiques à un tel niveau en Guinée ?
Il y a deux explications principales. D’abord, les Guinéens se conforment aux normes collectives dominantes et personne ne s’autorise une réflexion ou un débat là-dessus. Il y a aussi l’idée que l’excision est une aide à l’abstinence, qui permet à la femme d’arriver vierge au mariage. Cette croyance n’est pas d’inspiration religieuse, mais signifie qu’une mère a bien éduqué sa fille. Enfin, l’excision permet de brider la sexualité. Dans cette logique, le besoin sexuel des femmes est plus élevé que celui des hommes, donc l’excision permet de limiter le désir sexuel de la femme par rapport à celui de l’homme et de favoriser la survivance de la polygamie. Du côté du religieux, le message des mosquées est ambivalent : parfois les Imans disent qu’il faut exciser des fois non, en fonction des financements dont ils dépendent.
Pourquoi ni l’interdiction des pratiques ni les campagnes de sensibilisations ne semblent avoir d’effet sur les pratiques de mutilation sexuelles en Guinée ?
On a expérimenté toutes les stratégies de lutte : les campagnes d’information, la reconversion des exciseuses, la formation des professionnels de la santé, notamment en offrant des outils pour informer sur les effets sur la santé des filles, notamment au moment de l’accouchement.
Mais la lutte contre l’excision ne peut pas se faire en ignorant les acteurs clés. Il faut que les messages portés par les campagnes soient faits selon la sociologie du pays. Beaucoup d’ONG axent leurs campagnes sur la mère, mais ils se trompent, car la mère n’a pas le pouvoir de s’opposer à la tradition. Seul le père a ce pouvoir décisionnaire. Et il est lui-même soumis à la pression de ses sœurs, car traditionnellement dans le système patriarcal guinéen, les filles appartiennent à la famille du père.
Si l’on agit sur les pères de famille, on doit leur donner les outils pour qu’ils puissent s’opposer à leurs sœurs, dont le rôle est de défendre l’excision. Il faut amener les pères de famille à développer un sentiment de culpabilité à l’égard de leurs filles.
Enfin, il y a aussi une proportion des familles qui ne pratique pas l’excision. Mais ces personnes demeurent invisibles, car aucune structure ne leur permet de sortir de leur anonymat et d’assumer un leadership sur le sujet et aider à changer les mentalités.
Donc rien n’a évolué ?
La typologie de l’excision a évolué. La Guinée avait comme tradition de « couper » beaucoup et aussi de fermer le vagin. Cette dernière pratique est devenue très marginale et la pratique se perd peu à peu, puisque peu d’exciseuses savent l’exécuter.
À Conakry et dans les grandes villes, le principe du « faire-semblant » a pris de l’ampleur. Cela consiste à couper légèrement pour faire croire la communauté à une véritable excision.
Les lieux d’excision aussi sont en train de bouger de la brousse vers les centres de santé, voire au domicile, pour les familles qui en ont les moyens. Ce dernier déplacement transfère malheureusement l’excision de la sphère publique vers la sphère familiale, ce qui va compliquer la lutte contre les mutilations sexuelles, en dérobant la pratique au regard public permet d’échapper aux sanctions.
Quels sont aujourd’hui les leviers pour que la lutte contre l’excision devienne réellement efficace ?
Le problème de la Guinée c’est qu’il n’y a pas de continuité dans la lutte contre l’excision.
En premier lieu, il faut que les partenaires internationaux aident l’État guinéen à avoir une structure solide, pour coordonner les actions des ONG nationales et internationales, qui arrivent chacune avec leur approche et se marchent sur les pieds. Il faut régler cette question de coordination.
Deuxième chose, on ne peut pas agir sur l’excision en ignorant les acteurs clés. Il faut que les messages soient adaptés à la sociologie du pays. En agissant sur les pères de famille, en portant l’exemple des familles qui ne pratiquent pas l’excision.
Enfin, on agit beaucoup sur la population adulte et très peu sur les jeunes des écoles primaires, lycées et étudiants.