Les priorités de l’UE en matière de dépenses de défense ne doivent pas aller au détriment de l’aide au développement, car cela risquerait d’isoler le continent sur le plan géopolitique, a mis en garde la commissaire européenne aux Partenariats internationaux, Jutta Urpilainen, lors d’une interview.
« Je suis préoccupée par le fait que, alors que l’Europe se concentre beaucoup sur les investissements en matière de défense et nos capacités militaires, l’industrie militaire, nous ne maintenions pas en parallèle nos investissements en matière de relations extérieures et de coopération extérieure », a-t-elle confié à Euractiv.
La commissaire Urpilainen évoque « un risque et un scénario où, dans cinq ou dix ans, l’Europe pourrait être, en termes de défense, plus sûre, mais en termes de géopolitique, plus isolée ».
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine avec l’invasion du pays par la Russie en 2022, presque tous les États membres de l’UE se sont engagés à augmenter leurs dépenses militaires, et l’UE a également réorienté ses ressources vers la défense.
Alors que l’actuel budget septennal de l’UE arrive à son terme en 2027 et sera bientôt renégocié à mi-parcours, certains ont mis en garde contre une réduction des fonds sociaux en faveur de la défense. Selon la commissaire européenne à la Cohésion, Elisa Ferreira, qui s’est confiée début juin à Euractiv, les objectifs de l’UE en matière de défense ne devraient pas être réalisés au détriment de l’aide aux régions les plus pauvres de l’Union.
Par ailleurs, l’UE est le plus grand donateur d’aide au développement au monde. Dans le cadre de son programme Global Gateway, l’UE vise à investir 300 milliards d’euros — par le biais de fonds publics et privés — dans des projets d’infrastructure et sociaux dans les pays tiers, comme elle l’a annoncé il y a plus de deux ans.
Cette initiative se veut une alternative à l’initiative chinoise de la nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative, BRI) dont Pékin se sert pour étendre son influence mondiale, notamment par le biais de « pièges de la dette » consistant à construire des infrastructures de connexion en laisser les gouvernements nationaux criblés de dettes importantes.
Le rôle de l’UE est souvent peu visible, car il est plus lent et plus contraignant.
L’aide au développement est cependant déjà menacée dans plusieurs États membres de l’UE. Le nouveau gouvernement finlandais a prévu de réduire son budget d’un milliard d’euros. L’Allemagne, première économie de l’UE, a également annoncé des réductions supérieures à 1 milliard d’euros.
En outre, le virage à droite du Parlement européen après les élections européennes — à l’instar des gouvernements nationaux — risque de réduire le budget de l’UE consacré à l’aide aux pays tiers, à moins qu’il ne soit lié à la gestion des migrations, qui est une priorité pour l’ensemble du spectre politique.
Selon la commissaire aux Partenariats internationaux, même si la Russie cherche à véhiculer l’idée que l’Europe se replie sur elle-même, l’investissement dans la sécurité « ne signifie pas que nous tournons le dos au reste du monde ».
Il serait important, ajoute Jutta Urpilainen, que le prochain budget septennal de l’UE «maintienne au moins le même montant de financement pour les relations extérieures ».
« J’espère que nous pourrons augmenter le budget de l’UE » pour le programme Global Gateway, a-t-elle ajouté, en pensant au prochain cadre financier pluriannuel 2027-2032.
L’un des objectifs serait de maintenir le niveau du budget extérieur consacré à l’éducation à 13 %, que Jutta Urpilainen, pendant son mandat, a augmenté par rapport aux 7 % initiaux.
La commissaire a déclaré qu’elle espérait que le programme Global Gateway continuerait à inclure des « initiatives de développement humain » dans des domaines liés à l’éducation pour la formation des enseignants dans les zones dépeuplées, ainsi que dans la recherche et la santé, et pas seulement des projets d’infrastructures autour de la connexion numérique, des transports, du climat et de l’énergie.
Selon la commissaire, si l’investissement dans la défense est important, la sécurité doit être envisagée au-delà de la simple menace de la guerre.
« Il est important que, parallèlement à la capacité militaire, nous investissions également dans nos partenariats internationaux, car la sécurité est un enjeu beaucoup plus vaste que son sens le plus strict », a-t-elle affirmé en faisant référence à des questions telles que le changement climatique, les migrations et le terrorisme.
Ces « enjeux » requièrent une coopération internationale, a-t-elle précisé.
L’UE est peut-être le plus grand donateur d’aide au développement, a prévenu la commissaire, « mais en raison de la concurrence géopolitique, nous ne pouvons pas considérer cela comme acquis ».
« C’est pourquoi nous devons également investir davantage dans les partenariats internationaux et adopter une approche équilibrée. Et je m’inquiète de savoir si nous aurons un prochain parlement et un processus décisionnel politique en général dans nos États membres qui comprendront vraiment cela .»
[Édité par Anna Martino]