L’ancienne responsable de l’ONU pour le climat, Christina Figueres, appelle l’UE à prendre des mesures contre la déforestation dans l’hémisphère sud en réduisant les émissions de biens agricoles importés comme le bœuf, le soja et l’huile de palme.
Alors que s’ouvre la semaine du climat à New York, l’ancienne secrétaire générale de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) se trouvait à Bruxelles pour susciter de l’adhésion dans la lutte contre les émissions liées aux activités forestières et à l’occupation des sols.
L’occupation des sols représente 30 % des émissions du réchauffement climatique mais produit 70 % de l’énergie, ce qui explique pourquoi est le grand oublié de l’action contre le climat, a expliqué Christiana Figueres aux journalistes bruxellois, le 18 septembre.
En tant qu’importateur majeur de denrées alimentaires provoquant la déforestation, l’UE a un rôle clé à jouer dans la résolution de ce problème, a-t-elle affirmé, tout en ajoutant que la question des aliments, des terres et des forêts n’avait pas reçu assez d’attention de la part des responsables politiques.
Six États membres (Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, France et Italie) ainsi que la Norvège, ont déjà signé la déclaration d’Amsterdam de décembre 2015, qui vise à éliminer la déforestation de la chaine d’approvisionnement de produits agricoles d’ici à 2020.
Christiana Figueres espère maintenant que l’UE « passe à l’étape suivante » et élabore un plan d’action sur la déforestation. Un objectif atteignable, selon elle, est de s’appuyer sur les initiatives du secteur privé, comme le Consumer Goods Forum, qui vise à un taux zéro de déforestation d’ici à 2020.
« Cela ne nécessite pas la participation de 195 pays », a-t-elle rappelé tout en soulignant que « ce pourrait donc être un peu plus facile que l’Accord de Paris ».
Alliance stratégique avec l’Indonésie, et d’autres pays
L’un des points clés du plan de Christiana Figueres est de convaincre l’UE de forger « une alliance politique stratégique » avec quelques pays en développement comme l’Indonésie, la Malaisie et le Brésil, tournée vers la production du soja, de l’huile de palme et de bœuf.
Ces pays dépendent largement des exportations de denrées alimentaires, rappelle-t-elle, tout en reconnaissant qu’il serait compréhensible que ces pays se montrent réticents à des initiatives pouvant réduire leurs revenus, pourtant indispensables.
Ainsi, les deux parties doivent sortir gagnantes de cette alliance stratégique, explique-t-elle. Une leçon déjà tirée de l’Accord de Paris.
Le premier pilier du plan d’action se concentre sur le soutien aux pays en développement afin de modifier leurs pratiques agricoles. Le second est tourné vers « les signaux règlementaires » nécessaires au sein de l’UE pour « éliminer la déforestation dérivée de l’importation de produits alimentaires et autres biens ».
Au niveau européen, les responsables politiques discutent actuellement d’une nouvelle réglementation sur l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie (UTCATF), qui prendrait en compte les « émissions négatives » des activités forestières.
Conservation International, l’ONG internationale à l’origine de la conférence à Bruxelles avec Christiana Figueres, estime que la déforestation contribue à 11 % du réchauffement climatique provoqué par l’homme, soit davantage que les émissions de toutes les voitures de particuliers combinées.
Mettre fin à la déforestation tropicale et laisser les arbres continuer d’absorber le dioxyde de carbone peut représenter au moins 30 % de toutes les actions d’atténuation nécessaires pour maintenir le réchauffement climatique en dessous des 2°C, grand objectif de l’accord de Paris.
« Je suis convaincu que les mesures que nous pouvons prendre dans le secteur de l’utilisation des terres n’ont pas seulement des conséquences climatiques mondiales, mais aussi de réelles conséquences sur la qualité de vie des populations », a déclaré Christiana Figueres, qui appelle les décideurs politiques à « retirer leurs œillères » alors qu’ils poursuivent la mise en œuvre de l’Accord de Paris.
Des représentants de l’UE, de la Chine et du Canada se sont réunis à Montréal les 15 et 16 septembre pour présenter un front uni contre les États-Unis sur l’action climatique puisque le président américain Donald Trump a promis de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris.
Le secrétaire d’État américain Rex Tillerson a néanmoins déclaré ce week-end que le président Trump était en réalité disposé à rester dans l’accord, si les conditions s’y prêtaient.
Christiana Figueres a peu confiance en de telles déclarations. « Je n’ai aucune idée d’où est partie la rumeur disant que les USA ne se retireraient pas de l’Accord de Paris. Mais je pense qu’il a été clairement indiqué que les États-Unis poursuivraient leur intention d’en sortir. »
Revenant aux politiques d’utilisation des terres, Christiana Figueres a indiqué que de nombreux pays souffraient de la dégradation des terres et de la désertification, en particulier ceux qui se trouvent sous la ceinture du Sahara. Les politiques permettant de restaurer ces terres dégradées seront de la plus haute importance pour des raisons de sécurité alimentaire, a-t-elle insisté.
Sinon, a-t-elle prévenu, l’Europe subira également les conséquences de la fuite des populations des terres agricoles arides vers d’autres régions du monde.
« La tendance migratoire nous connaissons actuellement dans le monde est la plus élevée que nous ayons jamais eue », a souligné l’ancienne responsable de l’ONU. Les 60 millions de personnes déplacées dans le monde, selon les estimations actuelles, « pourraient facilement être multipliés par dix » si l’on ne s’attaque pas au changement climatique.