La proposition d’augmenter modérément le budget européen a immédiatement été rejetée par une partie États membres. Une position qui augure d’une rude bataille budgétaire.
L’exécutif européen a proposé de fixer à près de 1 300 milliards d’euros le budget global de l’UE – connu sous le nom de cadre financier pluriannuel (CFP) – pour les sept prochaines années. C’est l’équivalent d’environ 1,14 % du revenu national brut (RNB) de l’UE.
La proposition est un compromis trouvé entre la demande du Parlement européen d’accroître les dépenses de l’UE à 1,3 % du RNB de l’UE pour faire face aux nouveaux défis tels que l’immigration ou la révolution numérique, et l’opposition des Pays-Bas, de la Suède, du Danemark et de l’Autriche à toute augmentation.
Malgré une hausse modérée du budget, les dirigeants de ces pays se sont empressés d’attaquer la proposition, parfois avant même qu’elle ne soit dévoilée.
Lors de la présentation du document de travail devant le Parlement, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a déclaré qu’il s’agissait d’« un budget ambitieux mais équilibré, juste pour tous ». « C’est un budget réaliste. »
« Tout budget est important, mais celui-ci est encore plus important que le précédent, car il déterminera l’avenir de l’Europe à 27… et l’héritage laissé à la prochaine génération », a-t-il ajouté.
En effet, le prochain budget pour la période 2021-2027 sera le premier sans le Royaume-Uni puisque son départ de l’UE est prévu pour mars 2019. La Commission a donc dû combler le déficit de financement laissé par la contribution de Londres qui s’élevait jusqu’à présent à entre 10 et 12 milliards d’euros, tout en fixant de nouvelles priorités.
Pour résoudre ce casse-tête, le commissaire européen au budget, Günther Oettinger, a annoncé aux eurodéputés qu’il réduirait les subventions aux agriculteurs (Politique agricole commune) et les fonds dédiés aux projets d’infrastructure (Cohésion), mais qu’il demanderait aussi aux gouvernements nationaux de desserrer encore davantage les cordons de la bourse.
Dans le même temps, l’exécutif a proposé de nouvelles taxes et de nouveaux instruments pour relever le budget de 22 milliards d’euros (soit 12 % des dépenses totales) et réduire la dépendance aux contributions des États membres.
Pour Günther Oettinger, la proposition « est un bon compromis entre l’ambition du Parlement européen et la volonté des États membres à payer un peu plus. »
Critiques sur Twitter
De l’autre côté, les chefs de gouvernement se sont rués sur Twitter pour attaquer la proposition.
La proposition « est encore loin d’être une solution acceptable », a déclaré le Premier ministre autrichien, Sebastian Kurz. « Notre objectif doit être que l’UE devienne plus économique et plus efficace après le Brexit. »
« Une UE réduite devrait se traduire en un budget réduit ! », a quant à lui écrit le Premier ministre danois Lars Løkke Rasmussen.
Pendant ce temps, le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a déclaré que la proposition n’était « pas une option acceptable » pour son pays. « […] le fardeau du financement du budget n’est pas réparti équitablement », a-t-il écrit sur son compte Twitter.
Face aux journalistes après le débat en plénière, Jean-Claude Juncker a qualifié la réaction des Premiers ministres de « normale ». « Je sais comment se passent les choses, je connais bien le processus », a-t-il commenté.
À partir de la proposition de la Commission, les États membres chercheront à atteindre une position unanime sur leur contribution au budget de l’UE et sur la distribution des fonds.
Une fois l’accord trouvé, les gouvernements nationaux devront parvenir à un consensus avec le Parlement.
L’exécutif souhaite qu’un accord soit trouvé avant les élections européennes de mai 2019. Pour les responsables européens au Parlement au Conseil, cette volonté semble optimiste, le dernier cadre financier pluriannuel ayant mis 29 mois avant d’être conclu.
La cohésion, le grand perdant
La Commission a proposé des crédits d’engagement (de l’argent mis à disposition) d’une valeur de 1 280 milliards d’euros pour la période de sept ans, soit une hausse de 192 milliards d’euros par rapport au budget actuel.
Les crédits de paiement (les fonds réellement dépensés dans des politiques européennes) s’élèveront à 1 240 milliards d’euros, soit 220 milliards d’euros de plus que le CFP actuel.
C’est l’enveloppe cohésion, qui permet de financer les grands projets des régions européennes, qui devrait subir les plus grosses coupes. Avec une baisse de 7 %, le budget de cette politique s’élèvera à 442,4 milliards d’euros.
Malgré les coupes dans le budget de la politique de cohésion, Günther Oettinger a soutenu que le niveau d’investissement devait être maintenu pour les 27 États membres restants, en prenant en compte la baisse de l’inflation.
Quant à la Politique agricole commune, l’autre élément clé de l’UE, 378,9 milliards d’euros sont envisagés, soit une baisse de 5 %, dont 4 % dans les paiements directs versés aux agriculteurs.
Pour le commissaire au budget, ces 5 % représentent une réduction « acceptable », étant donné que l’UE perd le Royaume-Uni, son second plus grand contributeur net.
« Nous ne faisons aucun massacre, ni de la politique de cohésion ni de la PAC », s’est défendu Jean-Claude Juncker après le débat en plénière.
À l’inverse, le grand gagnant est Erasmus + (30 milliards d’euros), qui devrait doubler ses fonds. Les dépenses dédiées à ce programme incluront 700 millions d’euros pour payer le pass Interrail des jeunes Européens.
Les dépenses liées à la recherche et à l’innovation augmenteront de 50 %, avec 100 milliards d’euros pour les programmes phares de l’UE, Horizon et Euratom. Les initiatives environnementales de l’Europe et la lutte contre le changement climatique seront aussi considérablement renforcées.
La sécurité sera aussi renforcée, avec une augmentation de 40 % pour atteindre 4,8 milliards d’euros et un nouveau fonds de défense de 13 milliards d’euros sera mis sur pied.
Les enjeux de migration ayant pris une place centrale dans les urnes ces dernières années, la Commission veut aussi augmenter les ressources de Frontex, l’agence de protection des frontières de l’UE. Par conséquent, le personnel passera de 1 200 employés actuellement à 10 000 garde-frontières et responsables à la fin de la période budgétaire.
Rabais et ressources propres
La Commission a proposé d’éliminer progressivement les rabais accordés aux États membres après le Brexit. Au lieu d’éliminer les remboursements aux Pays-Bas, à la Suède, à l’Autriche et au Danemark tout de suite après le Brexit, l’exécutif propose de les supprimer au cours des cinq prochaines années.
« Je pense que ça pourra être accepté par les pays concernés », a déclaré Günther Oettinger. Toutefois, ce geste n’aidera pas à calmer l’opposition de ces pays envers la proposition de budget.
En réponse à l’une des premières demandes du Parlement, la Commission européenne a également augmenté les ressources propres de l’Union grâce à de nouvelles taxes et instruments.
Les contributions nationales « ne devraient pas représenter plus de 70 % du budget », a défendu le commissaire allemand.
Les nouvelles sources de financement du budget de l’UE incluent 20 % des recettes du système d’échange de quotas d’émissions, un taux d’appel de 3 % appliqué à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (une fois que l’ACCIS est adoptée) ainsi qu’une taxe européenne sur les déchets plastiques non recyclés (0,80 €/kilo).
Cela représenterait environ 12 % du budget total de l’UE, soit environ 22 milliards d’euros.
À la demande des eurodéputés d’intégrer une taxe sur les géants du numérique, comme Google ou Facebook, Günther Oettinger a répondu que cette proposition n’était pas encore assez « mure » pour être prise en compte dans le budget. « Il est important d’être précis », a-t-il affirmé.
Budget innovant
Les nouvelles ressources propres ne sont pas les seules nouveautés introduites par la Commission, qui a décidé de passer de 58 à 37 lignes budgétaires afin d’obtenir plus de souplesse dans la gestion des dépenses.
L’exécutif propose aussi deux nouveaux instruments pour accroître la résistance de son union économique et monétaire, dans le cadre du débat mené par Emmanuel Macron pour renforcer l’union monétaire avec de nouveaux instruments budgétaires.
Au total, 25 milliards d’euros seront utilisés pour soutenir les réformes dans les États membres. Une partie de cet argent sera alloué aux pays n’appartenant pas à la zone euro pour encourager leur avancée vers la monnaie unique.
Par ailleurs, un nouvel outil européen de stabilisation des investissements maintiendra les investissements dans des pays frappés par une crise économique soudaine. Le nouvel instrument proposera des crédits adossés à hauteur de 30 milliards d’euros dans le cadre du budget européen, ainsi qu’une aide financière aux États membres touchés pour couvrir le coût des intérêts de l’emprunt.
La Commission conditionnera toutefois l’accès à ces fonds à de nombreux critères. Elle pourra suspendre les transferts si les juges et les autorités des États membres ne peuvent pas garantir « une gestion financière sérieuse » de ces ressources.
L’exécutif soutient par ailleurs que l’État de droit est un « prérequis indispensable » pour garantir une question adéquate des fonds européens. Des conditions qui font directement référence aux problèmes actuels avec la Pologne et la Hongrie autour de l’État de droit dans ces pays.
Jean-Claude Juncker a pourtant insisté sur le fait que ces nouvelles conditions ne ciblaient aucun pays en particulier. « J’ai clairement indiqué qu’elles s’appliquaient à tous les États membres, ce n’est pas un problème polonais. »