À l’approche des élections allemandes, l’UE tarde à reconnaître le nucléaire comme une « énergie verte »

Des militants antinucléaires manifestent lors de l'arrivée du train transportant six conteneurs (Castor) de déchets nucléaires à la gare de Biblis, en Allemagne, le 4 novembre 2020. EPA-EFE/RONALD WITTEK [EPA-EFE/RONALD WITTEK]

L’inclusion de l’énergie nucléaire dans la taxonomie écologique de l’UE est l’issue « la plus probable » au vu des rapports scientifiques soumis à la Commission européenne ces derniers mois, estiment les experts de l’UE. Mais Bruxelles n’est pas encore totalement décidée et semble jouer la montre avant les élections allemandes qui auront lieu fin septembre.

L’électricité nucléaire est-elle une source d’énergie verte ou présente-t-elle un « préjudice important » pour l’environnement  ?

Ce débat apparemment simple, qui divise les responsables politiques européens depuis deux ans, est sur le point d’atteindre son point culminant avec une décision attendue dans les prochains mois.

Suite aux évaluations positives d’experts soumises à la Commission européenne avant la pause estivale, l’exécutif européen devrait désormais reconnaître l’énergie nucléaire comme une technologie « verte » dans le cadre de la taxonomie de la finance durable de l’UE.

Il est très compliqué aujourd’hui de démontrer scientifiquement que les déchets nucléaires posent un problème environnemental « significatif qui ne peut être surmonté », a déclaré Thomas Pellerin-Carlin, chercheur et directeur du centre de l’énergie de l’Institut Jacques Delors.

L’organe scientifique interne de la Commission, le Centre commun de recherche, a publié le 2 avril un rapport très attendu sur l’énergie nucléaire. Ses conclusions sont claires : l’énergie nucléaire est une source d’énergie sûre, à faible émission de carbone, comparable à l’énergie éolienne et à l’hydroélectricité, et, à ce titre, elle peut bénéficier du label « investissement vert » dans le cadre de la taxonomie financière verte de l’UE.

Ces conclusions ont ensuite été soutenues par deux autres organes de l’UE, le groupe d’experts de l’article 31 d’Euratom et le Comité scientifique des risques sanitaires, environnementaux et émergents (SCHEER).

« Au vu de ces éléments, ce qui me semble le plus probable, c’est que la Commission fasse une proposition en faveur de l’intégration de l’énergie nucléaire dans le cadre de la taxonomie », a déclaré M. Pellerin-Carlin.

« Cela serait cohérent avec la dynamique de ces derniers mois », a-t-il déclaré à EURACTIV lors d’un entretien.

Les diplomates et les lobbyistes du secteur consultés par EURACTIV sont d’accord : le résultat le plus probable est que la Commission européenne dépose une proposition dans les mois à venir, peut-être même en novembre ou décembre, après la formation du nouveau gouvernement allemand.

« D’après ce que nous comprenons, la [proposition] elle-même sortira probablement autour d’octobre-décembre de cette année », a déclaré Jessica Johnson, directrice de la communication chez Foratom, l’association professionnelle représentant l’industrie nucléaire à Bruxelles.

Un diplomate européen a, quant à lui, parlé de « septembre-novembre ».

Pellerin-Carlin : Bruxelles se prépare à reconnaître le nucléaire comme une énergie « verte »

Selon toute vraisemblance, la Commission européenne devrait dans les prochains mois faire une proposition pour inclure l’énergie nucléaire dans la taxonomie verte européenne, selon Thomas Pellerin-Carlin, chercheur à l’institut Jacques Delors.

Obstacles politiques allemands

La reconnaissance de l’énergie nucléaire en tant que source d’énergie « verte » n’est pas pour autant acquise, et la décision pourrait encore pencher dans un sens ou dans l’autre en raison de l’opposition persistante au nucléaire en Allemagne et dans quatre autres États membres de l’UE.

En juillet, la ministre allemande de l’environnement, Svenja Schulze, a envoyé une lettre à la Commission — également signée par ses homologues autrichiens, danois, luxembourgeois et espagnols — pour demander que le nucléaire ne soit pas pris en compte dans la taxonomie financière verte de l’UE.

Le sujet est politiquement sensible en Allemagne, qui est sur le point d’achever sa sortie du nucléaire l’année prochaine. Toute initiative de la Commission européenne visant à qualifier cette source d’énergie de « verte » risque de polluer le débat politique avant les élections du 26 septembre.

« En Allemagne, le mouvement antinucléaire est profondément enraciné et radical », a déclaré M. Pellerin-Carlin, qui a cité les manifestations des années 1970 et 1980, qui ont parfois tourné à la violence.

« En supposant que la Commission sache déjà qu’elle va proposer d’inclure le nucléaire dans la taxonomie, elle aurait en effet tout intérêt à attendre le résultat des élections allemandes », a-t-il déclaré à EURACTIV.

L'arrivée des Verts allemands au gouvernement serait bien accueillie à Paris et Bruxelles, selon un chercheur

Mouvement radical devenu parti sérieux, les Verts allemands sont aujourd’hui aux portes d’une coalition gouvernementale. Sébastian Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors, explique comment leur arrivée au pouvoir serait accueillie à Paris et Bruxelles.

Du point de vue de la Commission, l’élection allemande n’est peut-être pas la plus grande source d’inquiétude.

Dans le camp pro-nucléaire, les positions sont peut-être encore plus ancrées, la France étant à la tête d’une coalition de sept pays favorables à l’énergie nucléaire, qui comprend également la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie.

« La France se battra pour que le nucléaire soit considéré comme une source d’énergie décarbonée en Europe », a déclaré le ministre de l’Économie du pays, Bruno Le Maire.

« Je ne veux pas qu’il y ait de doutes à ce sujet. Nous mènerons ce combat avec la plus grande détermination », a-t-il déclaré en avril.

« Nous avons besoin du nucléaire pour réussir la transition écologique. Nous avons besoin du nucléaire pour disposer d’une électricité décarbonée à bas coût », a souligné le ministre français.

L’heure de la décision

L’exécutif européen devra cependant tôt ou tard se décider et présenter une proposition. Et les seuls critères objectifs auxquels il pourra se référer sont les études scientifiques qu’il a confiées à ses groupes d’experts scientifiques.

Celles-ci sont sans ambiguïté : « Les analyses n’ont révélé aucun élément scientifique prouvant que l’énergie nucléaire nuit davantage à la santé humaine ou à l’environnement que d’autres technologies de production d’électricité », indique le Centre commun de recherche (CCR) dans son rapport.

Pour les partisans de l’énergie nucléaire, cela devrait suffire à clore le débat.

« L’évaluation scientifique est désormais terminée et tous les doutes ont été levés », a déclaré Erkki Maillard, premier vice-président chargé des affaires européennes chez EDF, la compagnie d’électricité publique française.

« La Commission doit maintenant aller de l’avant et aborder l’énergie nucléaire avec des critères techniques objectifs et éviter toute approche discriminatoire », a déclaré M. Maillard à EURACTIV.

Les partisans insistent également sur le fait que, malgré les inquiétudes liées aux déchets radioactifs, l’énergie nucléaire reste une source d’énergie à faible émission de carbone, qui représentait 25 % de la production d’électricité de l’UE en 2020. Sans le nucléaire, l’UE se tirerait une balle dans le pied en rendant son objectif de neutralité climatique beaucoup plus difficile à atteindre, affirment-ils.

Cet argument gagne également du terrain au Parlement européen. Le 8 juillet, un groupe multipartite de 86 députés européens a écrit une lettre à la Commission européenne pour lui demander d’encourager les investissements dans l’énergie nucléaire dans le cadre de la taxonomie.

« Nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer les sources d’énergie qui présentent les conditions préalables pour apporter une contribution positive sur la voie de la neutralité climatique », ont écrit les députés européens.

« Que l’énergie nucléaire soit un tel type de source d’énergie est, pour nous, évident ».

Mais le camp antinucléaire n’a pas encore baissé les bras. La critique la plus virulente est celle du ministère allemand de l’environnement, qui a nommé son propre groupe d’experts pour examiner l’étude du CCR de l’UE.

Dans leurs conclusions, publiées le 14 juillet, les experts allemands reprochent au rapport du CCR d’ignorer des domaines entiers comme la possibilité d’un accident nucléaire.

« Par exemple, les effets d’accidents graves sur l’environnement ne sont pas pris en compte lors de l’évaluation de l’opportunité d’inclure l’énergie nucléaire dans le registre taxonomique — alors qu’ils se sont produits à plusieurs reprises au cours des dernières décennies », note le rapport. « Cela soulève la question de savoir si le CCR n’a pas choisi un cadre d’observation trop étroit », ajoute le rapport.

Les experts allemands ont également remarqué que le CCR mentionne des sujets tels que l’élimination des déchets radioactifs, mais ne les examine pas plus en détail.

« Le CCR lui-même affirme que la première et la meilleure stratégie de gestion des déchets consiste à ne pas générer de déchets radioactifs en premier lieu. Toutefois, cette évaluation n’est pas appliquée de manière cohérente dans le rapport », ont écrit les experts allemands.

Selon eux, « le rapport du CCR est donc incomplet et ne parvient pas à évaluer de manière exhaustive la durabilité de l’utilisation de l’énergie nucléaire. »D

Une Commission pro-nucléaire

Dès lors, que va faire la Commission  ?

Selon M. Pellerin-Carlin, les différents rapports scientifiques ont clairement ouvert la voie à la Commission pour qualifier le nucléaire d’« énergie verte ».

« La dynamique actuelle me pousse à penser que la Commission fera une proposition dans ce sens », a-t-il déclaré à EURACTIV. « Selon les rapports d’experts qui ont été publiés, il n’y a pas suffisamment de preuves que les déchets sont un problème qui cause des dommages “significatifs” à l’environnement », a-t-il ajouté.

En outre, la Commission européenne elle-même est considérée comme largement pro-nucléaire. « Au sein de la Commission, la présidente Ursula von der Leyen n’est pas connue pour prendre des positions antinucléaires, contrairement à de nombreux politiciens allemands », a souligné M. Pellerin-Carlin.

« En fait, en regardant le collège des commissaires, je ne vois personne qui soit farouchement anti-nucléaire », a-t-il ajouté, estimant qu’une majorité de commissaires « ont accepté le nucléaire comme une source d’énergie de transition, et en tout cas comme un mal nécessaire » dans la transition énergétique, alors que le charbon est en train de disparaître.

« Et puis au sein de la Commission, il y a Thierry Breton, qui est un personnage de premier plan sur ce sujet, et qui outrepasse un peu ses prérogatives de commissaire au marché intérieur en militant publiquement en faveur du nucléaire. »

Le gaz dans la balance

L’issue de la réflexion de la Commission pourrait cependant être légèrement différente, et pourrait également s’intéresser au gaz naturel plus en détail.

Dans sa communication d’avril sur la taxonomie, l’exécutif européen a déclaré qu’il « adoptera un acte délégué complémentaire » qui couvrira l’énergie nucléaire sous réserve de l’achèvement des diverses évaluations scientifiques de l’UE. « Cet acte délégué complémentaire couvrira également le gaz naturel et les technologies connexes en tant qu’activité transitoire », a ajouté la Commission.

L’Allemagne et la Pologne souhaitant que le gaz soit inclus dans la taxonomie en tant que technologie de « transition », un grand marché pourrait être en train de se préparer, qui verrait le nucléaire et le gaz obtenir une certaine reconnaissance dans la transition de l’UE vers la neutralité climatique.

Kadri Simson, commissaire européen à l’énergie, y a fait allusion dans sa réponse écrite à une question d’un eurodéputé allemand, Engin Eroglu.

« Toute nouvelle décision concernant l’énergie nucléaire dans la taxonomie de l’UE(…) pourrait potentiellement faire partie d’un acte délégué complémentaire du règlement sur la taxonomie de l’UE ou d’une proposition législative distincte reconnaissant les activités notamment dans le secteur de l’énergie pour leur importante contribution à la décarbonisation et à la neutralité climatique tout au long de la décennie actuelle », a-t-elle écrit.

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