L’Union européenne (UE) affiche des objectifs ambitieux en termes de transport ferroviaire, mais ces derniers restent très souvent lettre morte sur le terrain. C’est en tout cas ce qu’observe le journaliste et professeur Jon Worth, spécialiste des chemins de fer transfrontaliers.
Journaliste et blogueur spécialisé sur les chemins de fer, professeur invité au Collège d’Europe de Bruges, Jon Worth constate pour Euractiv qu’en terme de développement ferroviaire la « réalité du terrain est loin de correspondre aux objectifs [de l’UE] ».
À l’été 2022, Jon Worth avait lancé la campagne « Cross Border Rail Tours », afin de faire un audit des lignes ferroviaires en Europe, de comprendre leurs difficultés et trouver les moyens de les résoudre. À ce jour, il a emprunté 247 lignes et effectué 661 voyages en train.
La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a clairement souligné que la facilitation des voyages transfrontaliers en train serait une priorité de son nouveau mandat. Elle a notamment promis la création d’un système unique de réservation des billets pour l’ensemble de l’UE.
Une innovation déjà plébiscitée par Jon Worth, avant le discours d’Ursula von der Leyen au Parlement européen en juillet. Pour ce dernier, permettre aux passagers d’acheter un billet pour voyager dans plusieurs pays devrait être une priorité du prochain commissaire européen en charge des transports.
Pour l’heure, la réservation d’un voyage dans plusieurs pays nécessite bien souvent l’achat de plusieurs billets, auprès de différents opérateurs, et les passagers ne disposent d’aucune protection si le premier train est en retard ou annulé et qu’ils manquent leur correspondance.
Des objectifs ambitieux, mais des moyens et une volonté insuffisants ?
Au cours de la législature précédente (2019-2024), la Commission avait fixé des objectifs ambitieux pour le secteur ferroviaire. La stratégie de mobilité durable et intelligente, présentée en décembre 2020, visait à doubler le trafic ferroviaire à grande vitesse d’ici 2030 et le fret ferroviaire d’ici 2050.
Cependant, « il n’y a pas eu les moyens [financiers] nécessaires pour atteindre ces objectifs », explique Jon Worth. Ce dernier ajoute que l’UE ne disposait pas des outils politiques nécessaires pour amener « les États membres, d’une part, et les entreprises ferroviaires, d’autre part, à effectuer les réformes nécessaires ».
Au cours des cinq dernières années, plus de 9,5 milliards d’euros ont été investis au niveau européen pour la modernisation des infrastructures ferroviaires et l’achat de matériel roulant. Des fonds européens ont permis de financer divers projets ferroviaires, notamment le Fonds de cohésion et le mécanisme pour l’interconnexion en Europe.
Mais pour Jon Worth, le problème n’est pas seulement financier.
« Les politiques ne s’engagent pas dans le secteur ferroviaire, et personne n’a les capacités de mettre en œuvre les objectifs annoncés », estime-t-il.
Dans le cadre du réseau transeuropéen de transport (RTE-T) — un programme de développement des routes, chemins de fer, aéroports et infrastructures fluviales à l’échelle de l’UE —, les principales villes et nœuds de communication du continent devraient être reliés d’ici 2030. Pour Jon Worth, celui ou celle qui deviendra responsable des transports au niveau européen devra donc utiliser ce réseau comme « une opportunité pour pousser les États membres à investir dans les infrastructures ».
Selon lui, la Commission ne met pas assez de pression sur les États membres pour qu’ils opèrent les changements nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par l’Union.
Une déconnexion de la réalité
« Il y a un manque de compréhension à Bruxelles de la situation sur le terrain », estime le professeur.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la faible part du rail dans le transport transfrontalier, notamment les manques d’investissements dans les infrastructures, la complexité des réservations, les différents systèmes de signalisation et d’autres problèmes techniques d’une frontière à l’autre.
Jon Worth affirme que pour résoudre ces problèmes, les institutions européennes ont besoin d’une vision claire de la manière dont les choses fonctionnent, et de savoir quelles frontières sont desservies par quels trains.
Selon lui, le prochain commissaire européen aux Transports « devrait faire le tour de l’Europe en tant que passager pendant une semaine ou dix jours ».
Cela lui montrerait non seulement les différences entre les réseaux, les problèmes qui se posent mais aussi les manières de les résoudre.
Beaucoup considèrent que l’UE devrait en priorité s’attaquer à la modernisation des infrastructures du continent.
Jon Worth reconnaît que cela est vrai dans certains cas, comme pour les trains frontaliers allemands, qui pâtissent d’infrastructures en mauvais état. Mais « il y a beaucoup d’endroits en Europe où l’on pourrait faire beaucoup plus avec l’infrastructure existante ».
Dans certaines régions, les infrastructures sont déjà de très bonne qualité, mais il arrive que seuls quelques trains par jour y circulent. « Si vous voulez augmenter la part modale du rail, vous devez utiliser au mieux les infrastructures dont vous disposez déjà », explique-t-il encore.
Un réseau fragmenté où l’UE doit intervenir
« L’UE a beau [harmoniser] les normes techniques, si les compagnies ferroviaires et les autorités nationales et régionales ne veulent pas résoudre les problèmes, ils ne seront pas résolus », continue Jon Worth.
Les normes techniques d’interopérabilité sont harmonisées par des normes européennes, afin de garantir un trafic ininterrompu sur le système ferroviaire européen, car les différentes réglementations nationales constituent un obstacle aux voyages transfrontaliers.
Toutefois, leur adoption par les États membres a été lente et inégale.
Dans certaines situations, des mesures simples pourraient pourtant faciliter les voyages transfrontaliers, comme l’harmonisation des horaires d’arrivées et de départs des trains dans les gares qui assurent l’interface entre deux pays. « Aux frontières de l’Europe, ce type de mesures n’est pas appliqué », a-t-il déclaré.
Une plus grande coopération est aussi selon lui nécessaire entre les différents opérateurs ferroviaires, et cette coopération pourrait être poussée par l’UE, qui devrait obliger les autorités des différents pays à coopérer.
Le prochain commissaire aux Transports sera donc confronté aux mêmes défis que le précédent : la mise en œuvre du règlement RTE-T révisé et d’un nouveau règlement pour une billetterie ferroviaire unique. Si elles se concrétisent, ces propositions pourraient augmenter l’attractivité du rail.
[Édité par Laurent Geslin]