Pour la seconde fois en moins de dix ans, le président Xi Jinping est en visite en Serbie, où la Chine est de plus en plus active économiquement. L’occasion pour son homologue Aleksandar Vučić de réaffirmer l’indépendance de la politique étrangère serbe, alors que les négociations sur la « normalisation des relations » avec le Kosovo sont à l’arrêt et que l’intégration du pays dans l’UE reste bien incertaine.
C’est à l’occasion d’un anniversaire très symbolique que le président chinois Xi Jinping fait escale en Serbie, après sa visite en France et avant de se rendre en Hongrie. Il y a tout juste 25 ans, le 7 mai 1999, alors que les combats faisaient rage au Kosovo, un bombardier furtif de l’OTAN ciblait l’ambassade de Chine à Belgrade, causant la mort de trois journalistes. L’administration américaine plaida pour une « erreur », alors que les autorités chinoises dénoncèrent un acte « barbare ».
La lumière n’a jamais été faite sur les causes du drame, mais celui-ci a durablement marqué les relations entre Pékin et Washington. « C’est l’un des éléments sur lesquels se basent les Chinois pour construire un récit anti-occidental depuis 25 ans. Ils ont le sentiment que les Américains “leur doivent” quelque chose », souligne Stefan Vladisavljev, analyste au Belgrade Fund for Political Excellence (BFPE). « Se rendre à Belgrade à cette occasion est une façon pour le président Xi Jinping d’affirmer les liens qui unissent la Chine et la Serbie, mais surtout le nouveau rôle de Pékin dans l’ordre mondial. »
Les ruines du bâtiment ont été depuis longtemps déblayées et seule une plaque commémore le drame, devant le cube de l’immense institut culturel chinois Confucius édifié en lieu et place de l’ambassade détruite. L’influence de Pékin en Serbie est de plus en plus visible, alors que ses investissements dans le pays ont dépassé les 5,1 milliards d’euros entre 2014 et 2023. Ils se concentrent dans des secteurs stratégiques comme l’automobile, les mines de cuivre et d’or de la région de Bor, rachetées par le géant chinois Zijin Mining Group en 2018, ou encore l’aciérie de Smederevo, passée en 2016 sur le contrôle du groupe chinois HBIS, pour la modeste somme de 46 millions d’euros.
De nouveaux contrats seront probablement annoncés à l’occasion de la visite de Xi Jinping en Serbie, en lien avec la construction du métro de Belgrade et l’exposition internationale de 2027 dans la capitale serbe. Le président Aleksandar Vučić avait aussi signé un accord de libre-échange avec son homologue chinois le 17 octobre 2023, portant sur des milliers de produits des deux pays, notamment le miel et le vin serbe.
Cet accord devrait entrer en vigueur le 1er juillet et est censé prendre fin lorsque la Serbie rejoindra l’Union européenne (UE), mais la date de cette intégration reste bien incertaine. Aleksandar Vučić n’avait d’ailleurs pas manqué de signaler, en paraphant le document, qu’il fallait « penser à notre pays, nos enfants et notre avenir ».
En 2009, Belgrade avait déjà conclu avec Pékin un accord-cadre sur la coopération en matière d’infrastructures, exemptant les entreprises chinoises de passer par de contraignants appels d’offre pour répondre à des marchés publics. Cette disposition a été dénoncée par la société civile serbe, qui souligne l’opacité des contrats signés par les Chinois – souvent financés par des prêts accordés par des banques elles-aussi chinoises – et des atteintes répétés contre l’environnement, par exemple lors de l’agrandissement de la mine de lignite de Drmno, qui alimente la centrale de Kostolac, à proximité du Danube.
Balayant les craintes des écologistes, le gouvernement serbe ne cesse de réaffirmer les liens qui unissent la petite Serbie de 7 millions d’habitants aux « frères chinois ». Il faut dire que Pékin est devenu le second partenaire commercial de Belgrade. En 2021, les importations chinoises en Serbie atteignaient 3,6 milliards d’euros (+26,9% par rapport à 2020), même si l’UE concentre toujours 60% des échanges commerciaux du pays des Balkans.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, de plus plus en plus de voix s’élèvent pourtant à Bruxelles pour que l’UE recommence à peser sur sa périphérie. Un « plan de croissance » de 6 milliards d’euros pour les Balkans occidentaux avait en ce sens été débloqué à la fin de l’année dernière.
Reste que ces promesses peinent à convaincre l’opinion publique en Serbie, alors que le pays végète à la porte de l’UE depuis deux décennies, en attendant une hypothétique « normalisation des relations » avec le Kosovo. Selon une étude récente, les Serbes seraient au contraire plus de 75% à considérer la Chine comme « amicale » et 64% à estimer que les relations serbo-chinoises vont s’améliorer.
Des chiffres en hausse constante depuis l’épidémie de Covid-19, lorsque l’UE avait interdit toute exportation de matériel paramédical vers les pays candidats à l’intégration, alors que des avions chinois livraient sur le tarmac de l’aéroport de Belgrade des masques et des gants chirurgicaux. Les murs de la Serbie confinée s’étaient alors couverts de grands panneaux proclamant « Merci, frère Xi ! ».
L’invasion de l’Ukraine en février 2022 a davantage accéléré la convergence sino-serbe. La rhétorique politique chinoise, basée sur le principe de l’intégrité territoriale des États, n’a pas manqué de trouver une oreille attentive en Serbie, alors que Belgrade conteste toujours l’indépendance proclamée par le Kosovo en février 2008 et que la Russie, traditionnellement alliée serbe, ne semble que peu se soucier des frontières internationales.
Belgrade n’applique pas les sanctions économiques de l’UE contre la Russie, conservant une politique étrangère autonome héritière du non-alignement yougoslave. La Serbie a malgré tout condamné l’agression russe en Ukraine aux Nations Unies, mais soutient surtout toutes les positions chinoises au sein des instances internationales. Le pays refuse ainsi de s’aligner sur les résolutions de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE, notamment sur la répression menée à Hong Kong après les manifestations de 2019 et 2020.
En février 2024, Aleksandar Vučić expliquait lors d’une interview à la télévision chinoise CGTN : « Pour nous, c’est très simple. […] Taiwan, c’est la Chine. Et c’est à vous de voir quoi, quand et comment vous allez faire ».
[Édité par Anna Martino]