Donner un prix au carbone, une équation à multiples inconnues

La tarification du carbone gagne du terrain dans le monde [Banque Mondiale]

La tarification du carbone fait consensus en tant qu’outil de lutte contre le changement climatique. Mais à quel prix, et selon quelles modalités ? Les interrogations restent nombreuses.

Au Forum de Davos, François Hollande, Ban Ki-Moon ou encore Jim Yong Kim, le président de la Banque Mondiale ont tous insisté sur l’urgence de donner un prix au carbone. Les outils pour lutter contre le changement climatique ont largement évolué depuis une quinzaine d’années. Mais un consensus se dégage aujourd’hui autour de la tarification du gaz à effet de serre.

Au-delà du slogan, les avis restent partagés sur la façon de le faire. « A New-York au sommet de l’ONU au septembre, un vrai consensus s’est dégagé sur le prix du carbone ; mais il n’y a pas eu d’appel à faire émerger des marchés du carbone » constate Emilie Alberola, chef de pole recherche sur les marchés du carbone chez CDC Climat.

Les débuts difficiles du premier marché du carbone

Les marchés du carbone ont plutôt mauvaise presse auprès du grand public. A la COP 20 de Lima, c’est plutôt l’appel des tribus indigènes à ne pas développer de marchés de carbone, pour éviter la spéculation foncière qui nuit aux plus pauvres, qui a fait mouche. Et en Europe, la crédibilité du marché du carbone n’est pas au beau fixe.

Le marché du carbone a traversé de nombreuses tempêtes, y compris une fraude massive à la TVA, des vols de quotas, diverses arnaques de type Ponzi et des critiques provenant des environnementalistes. Il est aussi entré en concurrence avec les autres politiques énergétiques de l’UE, notamment le soutien massif aux énergies renouvelables, responsables de plus de la moitié des réductions d’émissions de CO2 depuis 2008. Si le but du marché, qui était de réduire les émissions de gaz à effet de serre, a bien été atteint, sa propre contribution n’est pas évidente : d’aucuns attribuent le recul des émissions à la crise, d’autres aux panneaux solaires…

>>Lire : Factchecking : Croissance et climat, le divorce inattendu

Si son évaluation est compliquée, le marché du carbone a toutefois des défenseurs.

« Le marché du carbone n’a pas dit son dernier mot : il représente une des façons de faire émerger un prix explicite, qu’il s’agisse de quota ou de taxe le mécanisme est proche. L’autre attitude consiste à faire émerger un prix implicite par le biais de nouvelles normes. Dans tous les cas, il faut savoir que l’efficacité de ces dispositifs n’est pas totale » reconnaît Emilie Alberola, responsable de la recherche sur le marché du carbone chez CDC Climat.

Une solution adoptée par la majorité

Au niveau international, l’idée du marché du carbone est aujourd’hui largement majoritaire, notamment parce que l’acceptabilité politique de nouvelles taxes est compliquée à mettre en place. La Chine a ainsi mis en place pas moins de 6 marchés du carbone, une expérience qui porte déjà sur une population de plus de 300 millions de personnes ; la Corée du Sud vient de lancer son marché du carbone, et aux États-Unis deux marchés principaux sont en place, sur la côte Ouest et sur la côte Est.

Ce qui n’empêche pas certains gouvernements de mettre en place des taxes, en parallèle, comme c’est déjà le cas en Suède ou au Royaume-Uni, où elles permettent de sécuriser un prix minimal.

Réforme en cours en UE

« La réforme prend du temps, c’est vrai. Mais les derniers développements sont encourageants. Au Parlement européen, même  la commission Industrie, recherche et énergie ne s’oppose pas à la réduction programmée de l’offre de quotas » constate Juliette de Granpre, d’Oxfam à Berlin.

Jeudi 22 janvier, les élus de la commission ITRE ont échoué à adopter une résolution commune sur la réforme du marché du carbone, alors que les élus allemands du Parti populaire européen votaient avec les Verts et les sociaux-démocrates pour avancer plus rapidement sur la question de la réserve de stabilité, un mécanisme destiné à retirer des quotas du marché devrait permettre au prix de la tonne de CO2 de remonter.

Au Parlement européen, la commission environnement (ENVI) qui doit se prononcer en février aura désormais les coudées franches pour sortir les quotas du marché à partir de 2017, et non pas 2021 ; un premier pas pour redresser le cours du carbone.

Le futur mode d’allocation des quotas, qui serait géré finement plutôt qu’une attribution globale pour trois ans, devrait aussi permettre d’éviter les erreurs de débutant qu’ont représenté les surallocations systématiques de quotas depuis 2005.

Le privé à la rescousse ?

Enfin, les initiatives privées destinées à donner un prix au carbone font partie de l’éventail d’outils en réflexion. « Il est possible que les entreprises elles-mêmes prennent le sujet en main ; que l’approche tutélaire s’avère finalement la plus puissante. Celles qui parient sur un modèle décarboné et font des investissements en conséquence pourraient être récompensées sur le long terme » estime Emilie Alberola.

C’est un pari que certains sont prêts à prendre en l’absence de visibilité claire donnée par la règlementation, qui se reflète dans l’initiative entreprise par 73 Etats et 1000 entreprises sous l’égide de la Banque mondiale, et au sein de laquelle des entreprises comme Philips ou Unilever s’engagent à donner un prix au carbone au sein de leur business.

Avec un chiffre d'affaires d'environ 90 milliards d'euros en 2010, le système européen d'échange de quotas d'émission (ETS) est le premier marché du carbone au monde. Environ 80 % des quotas sont échangés sur des marchés à terme et 20 % sur des marchés au comptant.

L'ETS a pour objectif d'encourager les sociétés à investir dans des technologies peu polluantes en leur allouant ou en leur vendant des quotas pour couvrir leurs émissions annuelles. Les sociétés les plus performantes peuvent ensuite revendre leurs quotas non utilisés ou les économiser.

Si le système a été très critiqué en raison d'un nombre de défauts impressionants, le monde entier est toutefois en train de l'imiter.  La Thaïlande et le ?Viêtnam ont dévoilé des projets de lancement d'un ETS. La Chine a lancé plusieurs ; le Mexique et Taiwan envisagent également l'introduction de marchés du carbone.

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