Cet article fait partie de l'édition spéciale La nouvelle PAC se penche sur le changement climatique.
Edition spéciale. Les efforts pour limiter les émissions du secteur agricole, néfastes pour l’environnement et la santé humaine, risquent de faire face à une opposition féroce et à d’âpres négociations avant d’entrer dans la loi européenne.
Les révisions proposées dans la directive sur les plafonds d’émission nationaux (PEN) sont bien parties pour être mises au rebut par les gouvernements nationaux et le Parlement européen lors des négociations qui auront lieu fin février.
Les trilogues – les réunions tripartites avec la Commission européenne – devront permettre de surmonter les différends entre les États membres et les eurodéputés. Le Conseil et le Parlement doivent s’accorder sur un texte pour que la directive PEN soit entérinée.
Les gouvernements européens ont déjà réussi à exclure les émissions de méthane de leur version de la loi, déclenchant une bataille difficile avec ceux qui veulent les conserver dans le texte.
>> Lire : Les États membres refusent de limiter les émissions de méthane
« Presque tous les États membres ont salué l’ambition de la proposition de la Commission, mais lorsqu’il s’agit d’accepter ce qu’ils doivent faire pour y parvenir, ils trouvent cela très difficile », a protesté Julie Girling, eurodéputée responsable de la loi au Parlement.
L’eurodéputée s’attend à ce que les limites des émissions de méthane et d’ammoniac soient une véritable pierre d’achoppement, mais a ajouté qu’elle défendrait du mieux qu’elle pourra la position votée au Parlement.
La pollution de l’air est responsable de la mort de 400 000 citoyens européens chaque année. La loi prévoit donc la réduction des émissions de six principaux polluants : dioxyde de soufre, oxydes d’azote, composés organiques volatils, ammoniac, particules (poussières fines) et méthane.
Le méthane est un gaz certes éphémère, mais beaucoup plus polluant que le dioxyde de carbone. Il se transforme aussi en ozone, un polluant atmosphérique. Quant à l’ammoniac, il engendre la nitrification et l’acidification des sols et se transforme naturellement en de fines particules néfastes pour la santé humaine.
L’agriculture est fortement subventionnée par l’UE via la politique agricole commune (PAC), et est responsable de 40 % des émissions de méthane dans l’UE, et de 95 % de la pollution par ammoniac.
C’est la première fois que la Commission européenne tente de limiter les émissions de méthane. « Pour avancer, les secteurs qui jusqu’à présent n’ont pas fait grand chose vont devoir agir. […] Des efforts de la part de tous les secteurs sont nécessaires, dont l’industrie agricole. Nous voulons poursuivre une agriculture plus saine et de qualité », a déclaré Karmenu Vella, commissaire européenne à l’environnement, aux eurodéputés en octobre.
Mieux légiférer
La Commission avait d’abord prévu de retirer la loi par peur que les divisions ne soient insurmontables, mais a finalement annulé sa décision.
La Commission jouera un rôle important lors des négociations, puisque les différentes limites fixées nécessiteront une expertise technique officielle pour expliquer les conséquences d’un changement.
Malgré le spectre du « mieux légiférer » qui hante la directive, les divisions persistent, même au sein du Parlement. Certains gouvernements, dont le Royaume-Uni, ont encouragé leurs eurodéputés à s’y opposer.
La commission environnement (ENVI) du Parlement européen a renforcé les objectifs de la proposition originale de la Commission. L’exécutif appelle à une réduction de 30 % des émissions de méthane d’ici à 2030, ce qui a été soutenu par la commission parlementaire, et à une réduction de 27 % pour l’ammoniac, que la commission ENVI a rehaussé à 29 %. Finalement, lors de la séance plénière du Parlement en octobre, c’est l’objectif initial de 27 % qui l’a emporté.
>> Lire : Les eurodéputés limitent les émissions agricoles, mais pas les rots des vaches
Des eurodéputés PPE, le plus grand groupe du Parlement, se sont opposés à l’objectif de 29 % pour l’ammoniac, le jugeant trop irréaliste.
Les eurodéputés ont voté pour inclure l’ammoniac et le méthane dans la loi et pour des objectifs 2025 contraignants afin de s’assurer que les pays sont sur la bonne voie pour 2030.
Ils ont toutefois fait une exception pour le méthane entérique, principalement produit par les éructations et les pets des vaches. Le méthane entérique ne faisait pas non plus partie de la proposition de la Commission. Pourtant, selon le Bureau européen de l’environnement (BEE), il représente une grande part des émissions de méthane du secteur agricole.
Avant le vote, la commission agriculture du Parlement avait quant à elle appelé à l’abandon des objectifs méthane et ammoniac.
Lobbys agricoles et environnementaux
Les défenseurs de l’environnement ont accusé le lobby agricole de tout faire pour mettre les objectifs méthane et ammoniac à la trappe.
« Le lobby agricole fait fortement pression pour supprimer les limites liées au méthane et réduire celles d’ammoniac », a affirmé Louise Duprez, du BEE. « Le méthane et l’ammoniac contribuent à des concentrations nocives d’ozone et de particules fines, provoquant des morts prématurées, des allergies, des maladies respiratoires et cardiovasculaires, et par conséquent, des coûts élevés en soin de santé.
Avant le vote du Parlement, l’association des agriculteurs Copa-Cogeca a écrit aux eurodéputés afin de les prévenir qu’ils quitteraient l’Union européenne s’ils décidaient de limiter les émissions de gaz agricoles.
>> Lire : Les agriculteurs menacent les eurodéputés de délocaliser
« Les amendements pour exempter les agriculteurs favoriseront les géants de l’agroalimentaire qui sont les plus pollueurs et n’agissent certainement pas dans l’intérêt public », a confirmé Pieter de Pous, directeur des politiques au BEE.
Le 26 janvier, la Copa-Cogeca a affirmé qu’en supprimant les limites pour le méthane, la position du Conseil allait dans la bonne direction.
« Toutefois, certains pays ont encore de grandes difficultés pour mettre en place les objectifs pour l’ammoniac », a déclaré Pekka Pesonen, secrétaire général de la Copa-Cogeca. « Ce n’est bon ni pour l’économie, ni pour la société, ni pour l’environnement », a-t-il poursuivi.