À l’heure où se pose la question de la politique industrielle de l’Europe face à l’Inflation Reduction Act (IRA) américain, l’UE a d’ores et déjà les cartes en main pour mettre en place une politique industrielle verte, selon le président de la commission Environnement du Parlement européen, Pascal Canfin.
Pascal Canfin est un eurodéputé français du groupe centriste Renew Europe au Parlement européen, où il préside la commission environnement (ENVI). Il s’est confié à Frédéric Simon pour EURACTIV.
L’UE est sur le point de conclure sa directive sur les batteries. Quels sont les points-clés de cette directive et en quoi peut-elle apporter une réponse à l’Inflation Reduction Act américain ?
Cette directive batterie est un élément important de la séquence industrielle dans laquelle l’Europe se trouve : c’est la bataille pour la localisation des chaînes de production industrielles zéro-carbone qui est enclenchée.
Et cette compétition internationale, au fond, est très positive, car c’est la condition pour que nous gagnions la bataille du climat. C’est donc une bonne chose que cela arrive. Et dans cet univers, bien évidemment, il y a de la concurrence – avec les Chinois et les Américains notamment.
Pour l’Europe, le fait d’avoir une réglementation sur les batteries, qui est un objet industriel clé de la transition écologique – pour les voitures, mais aussi les vélos et le stockage d’électricité – c’est une pièce essentielle pour construire la souveraineté industrielle de l’UE, tout en faisant progresser notre transition écologique.
Ce texte doit-il permettre de localiser une partie de la production en Europe ?
Oui. En fait, sur les batteries, nous jouons à la fois sur le réglementaire et le financier.
Sur le réglementaire, en accroissant la performance environnementale des batteries – en renforçant les exigences de circularité, de recyclabilité et de recyclage – ce qui fait que nous captons plus de valeur ajoutée en Europe. Car si le potentiel de l’Europe est limité sur l’aspect minier, sur l’aspect circularité et réutilisation, la valeur ajoutée peut être très largement localisée chez nous.
Cela, c’est un premier élément de la localisation de la chaîne de valeur. Le deuxième élément, c’est l’Alliance européenne pour les batteries, qui est selon moi un excellent exemple de réussite industrielle au niveau européen.
À l’heure où se pose la question de la politique industrielle de l’Europe face à l’IRA américain, je pense que l’Alliance sur les batteries est le modèle à suivre et à dupliquer pour d’autres technologies – par exemple la nouvelle génération de panneaux solaires, les électrolyseurs pour l’hydrogène décarboné, etc.
Donc ce texte batteries, c’est un élément de notre stratégie industrielle verte.
Sur la taxe carbone aux frontières, un accord est également visé dans les prochaines semaines. Quels sont les grands sujets qui restent à aborder ?
Le trilogue décisif doit avoir lieu lundi (12 décembre). Et je pense que nous avons de bonnes chances d’atterrir.
C’est une première mondiale, l’Union Européenne sera la première zone commerciale au monde à mettre un prix carbone sur ses importations – le même que celui en vigueur sur notre marché domestique, afin d’être OMC-compatible.
Ce texte va forcément générer des modifications de comportement en dehors de l’Europe, et c’est le but recherché : on veut utiliser la puissance du marché unique européen pour mettre en place une politique commerciale verte et des conditions de concurrence adaptées à l’enjeu climatique.
Y a-t-il un accord sur les secteurs qui seront couverts par ce nouveau mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ?
Le cœur du sujet lundi prochain, c’est de décider dans quelle proportion on étend le champ d’application défini par la Commission européenne dans sa proposition initiale. Sachant que le Parlement veut un MACF plus large.
Plus large, c’est-à-dire étendu à des secteurs supplémentaires ?
Oui, en y intégrant l’hydrogène, une partie des polymères, et d’autres produits transformés.
Il y a selon moi un chiffre important à avoir en tête : dans la proposition initiale de la Commission, le MACF couvre des secteurs qui représentent 55% des émissions industrielles de l’Europe. Et dans le trilogue, la question est de savoir si on va aller jusqu’à 60, voire 65%. Donc même si le nombre de secteurs couverts par le MACF est limité, l’impact en termes d’émissions de CO2 est important.
La deuxième question, c’est de déterminer dans quelle mesure le MACF va couvrir les produits transformés. C’est un point important pour le Parlement européen : il faut selon nous établir un échéancier clair sur les produits transformés pour que ces produits soient couverts par le MACF.
Il est évident qu’on ne peut pas décider la semaine prochaine d’une liste exhaustive de produits transformés parce que cela demande énormément d’analyse technique de la part de la Commission européenne. Mais il faut que le calendrier soit clair.
De quels types de produits parle-t-on ?
Prenons un exemple : si un fabriquant automobile importe de l’acier en Europe depuis la Turquie, il paiera le MACF. Mais s’il importe en Europe une voiture fabriquée au Maroc avec de l’acier Turc, il ne le paiera pas. C’est un problème qu’il faut impérativement traiter.
Il s’agit donc d’éviter une délocalisation de la production par le biais des produits transformés ?
Exactement. Maintenant, il est évident que la localisation des sites de production ne dépend pas que des prix du carbone sur une seule matière première, en l’occurrence l’acier pour les voitures.
Il faut donc d’abord déterminer précisément quel est le risque réel, quelle est la part du produit transformé qui contient des matériaux couverts par le MACF – comme l’aluminium, l’acier, ou le ciment. Et une fois que cette part est déterminée, on peut estimer la part du produit transformé qui doit être couvert par le MACF.
C’est un des gros sujets qui reste à aborder lors du trilogue. Et c’est une priorité pour le Parlement, précisément pour éviter, à terme, le scénario de délocalisation que je viens d’évoquer.
Quels sont les autres sujets qui restent à aborder dans le règlement MACF ?
Il y en a deux, qui sont liés avec la réforme du marché du carbone : d’abord, comment traite-t-on les exportations ? Et ensuite, que fait-on des quotas qui sont actuellement distribués gratuitement aux industriels dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE).
Le MACF a été conçu pour neutraliser la question des émissions de CO2 liées aux importations. En revanche, si nous enlevons aux industriels les quotas gratuits sur le marché carbone, alors ils se retrouvent potentiellement pénalisés à l’export, à cause d’un surcoût lié au SEQE.
Il y a dès lors deux réactions possibles. La première consisterait à octroyer des subsides à l’exportation. Mais cette option a été écartée par la Commission européenne, qui considère que ça contreviendrait aux règles de l’OMC, ce qui est très probablement vrai. C’est une solution qui pourrait fonctionner mais qui mettrait en péril l’existence même du MACF.
L’autre option, qui est dans le mandat du Parlement européen, consisterait à octroyer des allocations gratuites réservées à la part des exportations couvertes par les investissements décarbonés.
Par exemple, un industriel pourrait recevoir des quotas gratuits à hauteur de sa production d’acier ou de ciment zéro-carbone, afin de compenser le surcoût de production lié à ces technologies vertes qui demandent des investissements importants. Et là, il me paraît totalement légitime d’avoir un système de compensation.
Ce système de compensation que nous défendons, lié à des investissements verts, me semble conforme à l’article 20 du GATT, et donc OMC-compatible. Je pense qu’il faut explorer cette piste jusqu’au bout. Parce qu’on est aujourd’hui face à une Commission Européenne qui est idéologiquement bloquée sur ce sujet.
Le but, c’est d’éviter des délocalisations dans trois ou quatre ans, ce qui nuirait beaucoup à nos politiques climatiques et à notre politique industrielle verte.
Il s’agirait donc de quotas gratuits ?
Ce que le Parlement demande, c’est d’avoir quelque chose pour les exports. Et ce n’est pour l’instant ni dans la proposition de la Commission, ni dans le mandat du Conseil.
Au regard de la situation de concurrence internationale dans laquelle nous nous trouvons, notamment avec l’IRA américain, l’Europe se doit de mettre en place des politiques pour protéger et promouvoir ses industries vertes.