La Commission européenne a annoncé qu’elle adopterait une double approche pour aider le marché européen du carbone en difficulté. Des crédits carbone seront dans un premier temps reportés, puis de nouvelles propositions pour une modification structurelle à long terme seront présentées avant la fin de l’année.
Comme l'a révélé EURACTIV hier, la Commission propose de réduire le nombre de crédits inclus dans le système d'échange de quotas d'émission (ETS) en difficulté, en repoussant l'émission de 400 millions, 900 millions ou 1,2 milliard de crédits au début de la prochaine phase du programme, en 2013.
« L'ETS européen présente de plus en plus de crédits excédentaires qui se sont accumulés ces dernières années », a déclaré Connie Hedegaard, la commissaire européenne à l'action pour le climat. « Il n'est pas prudent de continuer délibérément à inonder un marché déjà saturé. »
Certains États membres comme la Pologne avancent que le marché du carbone n'a aucun problème et n'a pas besoin d'être corrigé, dans la mesure où l'Europe est en bonne voie pour atteindre son objectif de réduire de 20 % ses émissions de dioxyde de carbone d'ici 2020 (par rapport aux niveaux de 1990).
Plusieurs fonctionnaires de l'UE soutiennent cependant que ce marché visait également à rendre plus attractifs les investissements faibles en carbone, ce qui est impossible avec un prix du carbone deux fois moins élevé qu'il y a un an.
Les investissements stagnent pour des technologies naissantes mais prometteuses, comme le captage et stockage du dioxyde de carbone, des éléments centraux du plan de décarbonisation de l'UE à l'horizon 2050.
La Commission estime que d'ici 2030, le captage du carbone pourrait représenter 15 % de l'obligation de réduction des émissions. Bruxelles considère donc que sur le long terme, une réforme structurelle de l'ETS est nécessaire.
Option à court terme
« Ce que nous avons proposé aujourd'hui est une option à court terme », a déclaré Isaac Valero-Ladrón, un porte-parole de Mme Hedegaard, suite à une question posée par EURACTIV lors d'une conférence de presse.
Après les congés d'été et avant la fin de l'année, la Commission devrait présenter un rapport sur le marché du carbone avec des propositions de réforme structurelle.
« Cela pourrait impliquer un report permanent des ventes ou d'autres options visant à renforcer le marché du carbone », a-t-il déclaré. « Nous y travaillons. »
Malgré l'annonce de ces initiatives pour renforcer le marché, le prix du carbone a encore baissé de 5 % dans les heures suivant la déclaration de l'UE, passant de 7,2 à 6,77 euros par tonne. En 2008, ce prix s'élevait à 20 euros par tonne.
« Je pense que nous allons vivre un été difficile », a déclaré à EURACTIV un influent observateur du marché.
L'industrie divisée
La question du soutien au marché européen du carbone divise le secteur industriel. Les entreprises qui investissent dans des technologies faibles en carbone ont rompu les rangs avec BusinessEurope, une organisation qui plaide contre toute « interférence » dans le marché.
Une coalition d'entreprises énergétiques regroupant Shell, General Electric, GDF Suez, Dong Energy et Alstom a rapidement salué l'initiative de l'UE et exprimé son souhait d'aller encore plus loin.
Le report de crédits « devrait refléter la position de la commission Environment au Parlement européen, qui souhaite que 1,4 milliard de ces crédits soient mis de côté », peut-on lire dans un communiqué publié par cette coalition.
Les lobbies de l'industrie européenne énergivore clament pourtant depuis longtemps qu'augmenter les coûts de l'acier, du ciment et des usines métallurgiques entraverait la compétitivité et entraînerait une « fuite du carbone » en poussant les entreprises à délocaliser leurs activités.
« Nous appelons les États membres, le Parlement européen et la Commission à tenir leurs promesses et à mettre un terme aux politiques unilatérales, car d'autres pays ne se sont pas du tout engagés », a déclaré Gordon Moffat, le directeur général de l'association des sidérurgistes européens, Eurofer.
« Cette politique menace la base industrielle de l'Europe et sa prospérité économique », a-t-il poursuivi avant d'ajouter qu'aucune technologie actuelle ne permettrait aux sidérurgistes de réduire leurs émissions de 20 % à l'horizon 2020.
Surplus
Les défenseurs de l'environnement rétorquent que l'année dernière, 69 % des crédits carbone excédentaires provenaient des secteurs européens de l'acier et du ciment.
En 2010, ces deux secteurs ont cumulé des crédits excédentaires estimés à 3,4 milliards d'euros, l'équivalent de la somme totale que l'Europe alloue chaque année au secteur des énergies renouvelables, selon l'organisation verte Sandbag.
En 2011, les géants de l'acier Arcelor Mittal et Tata Steel ont à eux deux reçu 62,4 millions de crédits carbones gratuits en plus de ceux qu'ils utilisent.
Peter Botschek, le directeur du Conseil européen de l'industrie chimique, a toutefois insisté sur le fait que le prix actuel du carbone prouvait le bon fonctionnement du système, selon les signes de l'offre et de la demande.
« Nous sommes inquiets quant à la volonté de la Commission européenne d'obtenir un chèque en blanc pour pouvoir interférer dans les ventes aux enchères de ces permis », a-t-il affirmé.
« Pour entamer une réforme, il faut régler les problèmes structurels, et non chercher à manipuler le marché », a-t-il ajouté.