En Europe, la pression monte sur la question de la vérification de la compatibilité des portefeuilles des grands investisseurs institutionnels avec les objectifs climatiques. Une tendance qui priverait les énergies fossiles de millions d’euros d’investissement.
« Le risque climatique devrait être davantage intégré aux portefeuilles d’investissements », estime Alexis Dutertre, représentant permanent adjoint de la France auprès de l’Union européenne, à Bruxelles.
Une série de mesures d’incitation, qui permettraient de diriger l’investissement vers les technologies à faibles émissions, sont à l’étude, a-t-il expliqué lors d’un événement qu’il animait pour WWF, le 5 avril.
Les 28 ministres de l’Environnement européens discutent actuellement d’une modification des taxes, afin de favoriser les énergies propres, indique le représentant français, qui espère que ces négociations se concluront rapidement.
Un système de « bonus et malus » pour les investissements dans les énergies fossiles et renouvelables pourrait ainsi être mis en place. D’autres idées ont également été proposées, comme une élévation des réserves de capitaux obligatoires dont doivent disposer les investisseurs dans les combustibles fossiles.
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La Commission européenne reste prudente
Avant la COP 21, qui s’est déroulée en décembre à Paris, la France a pris plusieurs initiatives pour une finance plus verte.
En juillet 2015, elle est ainsi devenue le premier pays du monde à obliger les investisseurs institutionnels à rendre des comptes sur leur impact sur le climat. Dans le cadre de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, ces entités devront dorénavant déclarer la manière dont ils intègrent les considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) à leurs politiques d’investissement.
Une initiative similaire a vu le jour en Suède, où un projet de loi prévoit que les fonds de pension et autres investisseurs institutionnels fassent des rapports sur les émissions de CO2 liées à leurs placements.
Ces initiatives font monter la pression au niveau européen, puisque Bruxelles devrait harmoniser les politiques nationales afin d’empêcher la fragmentation du marché unique. La Commission semble pourtant peu disposée à agir rapidement.
« En termes de politiques, nous n’avons pas encore de solutions », a ainsi admis Niall Bohan, qui dirige l’unité chargée de l’Union des marchés de capitaux au sein de l’exécutif. « Nous avons néanmoins la volonté d’investir dans une politique qui nous fera avancer, notamment en ce qui concerne les déclarations des investisseurs et des émetteurs de titres.
C’est le domaine dans lequel nous voyons le plus de potentiel. Il s’agirait de demander aux investisseurs institutionnels d’expliquer leur engagement quant aux politiques climatiques, de nous dire comment leur bilan reflète ces considérations particulières », a précisé Niall Bohan lors de l’événement WWF, qui se déroulait à la représentation permanente française à Bruxelles.
À présent, il s’agit donc d’établir une méthode efficace. « Les différentes approches n’ont pas été beaucoup testées – voire pas du tout. Il y a donc encore beaucoup à faire pour déterminer le meilleur moyen de mettre en place un système de déclaration solide, mais nous y arriverons », poursuit-il, suggérant que certains aspects de cette mesure pourraient être inclus dans l’évaluation de l’union des marchés des capitaux, qui aura lieu en 2017.
Évaluer les risques climatiques
Pour WWF, ce discours ressemble pourtant beaucoup à de l’indécision. Les risques financiers de la transition vers une économie à faibles émissions sont dans l’ensemble prévisibles et évitables, indique l’ONG dans un document d’information. Selon les spécialistes de WWF, le meilleur moyen de minimiser le coût de la transition serait de commencer le processus immédiatement et de lui faire suivre une évolution prévisible.
« Ce qui nous inquiète, c’est que l’UE n’a pas encore fait grand-chose. Du côté de l’UE, et spécialement de la Commission, c’est le silence radio », regrette Sébastien Godinot, économiste chez WWF.
Les ONG ne sont plus les seules à lancer des avertissements dans ce sens. Certains des plus importants économistes européens se sont en effet joints aux appels pour une transition vers une économie à faibles émissions. En février, le Comité européen du risque systémique, un organe de conseil de l’UE instauré lors de la crise financière de 2008, a ainsi publié un rapport conseillant à l’UE de ne pas attendre des événements externes pour lancer sa transition.
« Une transition abrupte aurait un impact négatif sur le PIB, étant donné que les possibilités d’approvisionnement en énergies alternatives seraient limitées et plus chères », selon le rapport du comité, éloquemment intitulé « Trop tard, trop brusquement ».
Lors de l’événement du 5 avril, Jane Ambachtsheer, de la société de conseil et expertise internationale Mercer, a également présenté une étude indiquant que le risque climatique devenait un élément important pour les investisseurs.
Jane Ambachtsheer est aussi membre du groupe de travail sur les déclarations financières liées au climat mis en place par le G20 en décembre 2015 pour promouvoir les déclarations volontaires, qui feraient partie des messages des entreprises à leurs créanciers, assureurs, investisseurs et autres partenaires.
L’étude Mercer montre que les secteurs comme l’immobilier, les énergies fossiles ou les énergies renouvelables réagiraient différemment en fonction des politiques climatiques mises en place.
« Le changement climatique aura un impact, que l’accord de Paris soit appliqué ou pas », a-t-elle rappelé. « Du point de vue de l’investissement, il n’y a pas moyen de l’éviter. »
Les catastrophes liées au climat, comme la montée des eaux, auraient par exemple des conséquences énormes sur la valeur des propriétés ou infrastructures. « Cela va arriver comme ça », prévient-elle, en claquant les doigts. « Les taux d’assurance peuvent changer du jour au lendemain. »
Si les investisseurs sont aujourd’hui très pessimistes face à la chute de valeur de leurs actifs qui résulterait de la transition à une économie à faibles émissions, la situation est loin d’être sans issue.
« L’une des conclusions essentielles [de l’étude Mercer] est qu’un réchauffement de 2 °C ne sera pas nécessairement mauvais pour les investisseurs qui ont des portefeuilles d’une grande diversité », a-t-elle assuré.