La Commission européenne va proposer d’ici la fin de l’année une « certification carbone », première étape vers la rémunération des agriculteurs et forestiers qui contribuent au stockage de carbone. Ce projet de certification soulève des débats et des inquiétudes. Pour l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), l’Union européenne peut y répondre et développer une certification ambitieuse en s’appuyant sur l’expérience des Etats membres en la matière.
L’I4CE est une association d’intérêt général, à but non lucratif, fondée par la Caisse des Dépôts et l’Agence Française de Développement, experte de l’économie et de la finance dont la mission est de faire avancer l’action contre les changements climatiques.
Nous avons besoin d’une certification carbone pour inciter les agriculteurs et forestiers à agir
L’objectif européen de neutralité carbone vise à équilibrer les émissions de gaz à effet de serre et les absorptions, en diminuant drastiquement les émissions d’une part et en augmentant les puits de carbone d’autre part. Il donne ainsi un rôle décisif à l’agriculture et à la forêt, à même de capter le carbone de l’atmosphère et de le stocker dans les sols et la biomasse.
Mais comment inciter les agriculteurs et les forestiers à adopter des pratiques qui stockent plus de carbone, à l’image de l’agroforesterie ? En les rémunérant pour ce carbone stocké. C’est ce que prévoit la Commission européenne.
Évidemment, il faudra rapidement clarifier qui paiera, qui rémunèrera ces acteurs. Si la Commission semble privilégier à l’heure actuelle de faire payer le secteur privé via la compensation carbone volontaire, cela ne suffira pas et d’autres sources de financement devront inévitablement être explorées : le marché carbone européen, un éventuel futur marché de quotas pour l’industrie agro-alimentaire, et bien sûr les financements publics au premier rang desquels la Politique agricole commune (PAC).
Ce qui importe, pour l’instant, est de se mettre d’accord sur un système européen de certification carbone pour garantir l’impact sur le climat et plus généralement sur l’environnement des projets qui seront financés. Pour flécher plus efficacement les financements, qu’ils soient privés ou publics, vers les pratiques les plus durables.
La Commission travaille actuellement à ce projet de certification carbone et fera une proposition de règlement d’ici la fin de l’année. La phase de consultation publique et les discussions organisées dans les différentes instances européennes depuis le début de l’année ont fait émerger de nombreux points de débats voire des inquiétudes légitimes. Nous pouvons les dépasser.
Nous pouvons trouver des solutions pragmatiques à ces problèmes pour construire une certification carbone ambitieuse, en nous inspirant des réussites – et des échecs – des certifications développées depuis de nombreuses années à l’international ou dans certains Etats membres, à commencer par le Label Bas-Carbone français qu’I4CE a contribué à construire.
Faut-il limiter la certification européenne au stockage de carbone ?
Commençons avec le premier débat qui agite les acteurs européens : celui du périmètre de la certification. Faut-il certifier seulement les absorptions de carbone, ou aussi prendre en compte les réductions d’émissions ?
Limiter la certification aux seules absorptions aurait des effets pervers en agriculture. Cela pourrait par exemple conduire à certifier un projet de production de biomasse ayant fortement recours à des engrais azotés, sans aucune incitation à réduire l’utilisation de ces engrais et les émissions de gaz à effet de serre associées.
De nombreux leviers d’action concernent majoritairement la réduction d’émissions pour le secteur agricole, il serait dommage de ne pas inciter les agriculteurs à mettre en place des pratiques favorisant les deux objectifs : absorptions et réduction d’émissions.
Si des pays comme la France souhaitent adopter un périmètre élargi, la Commission se dirige pourtant vers est un cadre de certification limité aux absorptions. Elle répond ainsi à une crainte de pays, comme l’Allemagne, et des ONG environnementales.
Quelle est cette crainte ? Que mélanger absorptions et émissions permette de masquer les émissions d’une exploitation, de réduire l’ambition climatique.
Mais il y a d’autres manières de répondre à cet enjeu. Le Label Bas-Carbone comptabilise à la fois les émissions et les absorptions, afin d’avoir une vision complète du bilan des gaz à effet de serre des exploitations, tout en gardant deux comptabilités distinctes. Ce faisant, il permet de garantir la transparence sur les deux volets et de ne rien cacher sous le tapis.
Comment prendre en compte les autres enjeux environnementaux ? Et comment éviter un mécanisme trop complexe ?
Le second débat qui agite la sphère européenne est celui de la prise en compte, dans la certification carbone, des autres défis environnementaux. L’agriculture et la forêt ne sont pas que des puits de carbone ! Il existe plusieurs options pour garantir l’intégrité environnementale, dont certaines sont déjà testées par les labels existants.
Il y a tout d’abord l’instauration de garde-fous pour éviter les impacts négatifs majeurs, comme l’interdiction du labour en forêt ou la définition d’une densité maximale de bétail par hectare.
Pour aller plus loin, on peut aussi évaluer les impacts positifs sur l’eau et la biodiversité, comme le fait le Label Bas-Carbone. Et l’on peut établir des critères pour garantir la cohérence du projet avec une trajectoire globale : par exemple, pour le secteur agricole, privilégier la comptabilisation des émissions par hectare plutôt que sur la base de la quantité produite et ainsi favoriser le passage d’une agriculture intensive à une agriculture plus extensive.
De telles solutions pragmatiques, il en existe aussi pour répondre à un troisième point de débat qui est apparu dans les discussions sur le futur cadre de certification européen : son coût administratif et financier.
Plus la certification serait ambitieuse, rigoureuse, robuste, plus son coût pour les agriculteurs et forestiers serait élevé. Avec le risque de les décourager, avec un mécanisme trop complexe. Pour répondre à cette tension entre coût et qualité de la certification, le Label Bas-Carbone a fait le choix de recourir au principe du « rabais ».
En échange d’une décote sur les absorptions (et les émissions) certifiées, l’exploitant peut choisir des modalités de certification plus simples, ce qui permet de conserver un mécanisme accessible tout en limitant les effets d’aubaine.
Afin d’inciter les agriculteurs et les forestiers à agir pour le climat, l’Union européenne va devoir se doter de nouvelles politiques publiques. Elle doit évidemment continuer à verdir la PAC mais elle doit aussi construire de nouveaux dispositifs, et la certification carbone européenne est une étape essentielle.
Ne ratons pas cette étape.
Et n’hésitons pas à piocher dans l’expérience acquise par les systèmes de certification internationaux et nationaux pour trouver des solutions pragmatiques et construire un cadre européen ambitieux.