La militante suédoise Greta Thunberg a rejoint à Bruxelles la grève scolaire organisée tous les jeudis par les étudiants belges depuis deux mois. Elle a vertement tancé les dirigeants européens.
Euractiv ne publie généralement pas de discours. Nous avons cependant décidé de faire une exception cette fois-ci, à cause de la nature extraordinaire du discours de Greta Thunberg. Son allocution est retranscrite ci-dessous.
Des dizaines de milliers d’écoliers font la grève pour le climat dans les rues de Bruxelles. Ils sont des centaines de milliers partout dans le monde. Nous faisons la grève parce que nous avons fait nos devoirs. […] Les gens nous disent toujours qu’ils ont beaucoup d’espoir. Ils espèrent que les jeunes sauveront le monde. Nous ne sauverons pas le monde. Nous n’avons tout simplement pas le temps de grandir et de prendre le pouvoir, parce que d’ici 2020, nous devons avoir complètement inversé les émissions de gaz à effet de serre. 2020, c’est l’année prochaine.
Nous savons que la plupart des politiques ne veulent pas nous parler. Bien. Nous ne voulons pas leur parler non plus. Nous voulons qu’ils parlent aux scientifiques, qu’ils les écoutent. Nous ne faisons que répéter ce que la science dit depuis des décennies.
Nous voulons que vous respectiez l’accord de Paris et les rapports du GIEC. Nous n’avons pas d’autre programme ou exigence. Tout ce que nous voulons c’est qu’on écoute la science, ensemble.
Quand la plupart des politiques parlent des grèves scolaires pour le climat, ils parlent de tout, sauf de la crise climatique. Ils sont nombreux à vouloir faire de ces grèves une question de discipline, à chercher à savoir si nous ne devrions pas retourner à l’école. Ils inventent toutes sortes de complots et nous appellent des marionnettes qui ne pensent pas par elles-mêmes.
Ils ont désespérément besoin de détourner l’attention de la crise climatique. Ils ne veulent pas en parler parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas gagner sur ce tableau. Ils savent qu’ils n’ont pas fait leurs devoirs. Nous, nous les avons faits. Quand on fait ses devoirs, on réalise qu’il faut de nouvelles politiques.
Il faut une économie entièrement basée sur notre budget carbone, très limité et qui décline extrêmement vite. Et ce n’est pas tout. Nous avons besoin d’une toute nouvelle mentalité. Le système politique que vous avez créé est fondé sur la compétition. Vous trichez dès que vous pouvez parce que tout ce qui vous importe est de gagner, d’avoir le pouvoir. Cela doit cesser.
Nous devons cesser de lutter les uns contre les autres. Nous devons coopérer, travailler ensemble pour partager les ressources de cette planète justement. Nous devons commencer à vivre selon les limites de la planète, nous concentrer sur l’équité, retourner un peu en arrière, pour le bien de toutes les espèces vivantes.
Nous devons protéger la biosphère, l’air, les océans, le sol, les forêts. Ça peut sembler naïf, mais si vous aviez fait vos devoirs, vous sauriez que nous n’avons pas d’autre choix. Nous devons concentrer chacune de nos actions sur le changement climatique. Si nous n’y parvenons pas, tous nos progrès et réussites n’auront mené à rien. L’héritage de nos dirigeants sera le plus monumental échec de l’Histoire de l’humanité. Ils entreront dans l’Histoire comme les méchants les plus ignominieux de tous les temps, parce qu’ils ont choisi de ne pas écouter, de ne pas agir.
Tout cela peut être évité. Nous avons encore un peu de temps. Selon le rapport du GIEC, nous sommes à 11 ans de déclencher une réaction en chaine irréversible et échappant à tout contrôle humain. Pour éviter cela, des changements inédits doivent avoir lieu dans les dix ans à venir. Notamment une réduction d’au moins 50% des émissions de CO2 d’ici 2030.
Notez que ces chiffres ne tiennent pas compte de l’équité, qui est essentielle pour faire fonctionner l’accord de Paris au niveau mondial. Ils n’incluent pas non plus les points de rupture ou les boucles de réaction telles que la libération du méthane, un gaz très puissant, lié au dégel du permafrost arctique.
Par contre, ils incluent des techniques de capture des émissions sur une échelle planétaire qui n’ont pas encore été inventées. De nombreux scientifiques craignent qu’elles ne soient pas disponibles à temps, et qu’il sera impossible de les mettre en place à l’échelle nécessaire.
On nous dit que l’UE veut améliorer ses objectifs de réduction des émissions. Le nouvel objectif serait de réduire ses émissions de 45 % par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030. Certaines trouvent ça bien, ambitieux. Cet objectif ne permettra pas de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Cet objectif ne suffit pas à protéger l’avenir des enfants qui grandissent aujourd’hui. Si l’UE veut vraiment contribuer à limiter le réchauffement à 2°C, elle doit se mettre comme objectif minimum 80 % de réduction d’ici 2030, y compris les émissions de l’aviation et du transport. Il faut donc être environ deux fois plus ambitieux que prévu.
Les actions nécessaires vont au-delà des programmes ou partis politiques. À nouveau, les dirigeants comptent sur notre génération pour corriger leurs erreurs. Certains disent que nous luttons pour notre avenir. Ce n’est pas vrai. Nous ne luttons pas pour notre avenir, nous luttons pour l’avenir de tout le monde.
Et si vous pensez que nous ferions mieux d’aller à l’école, nous vous proposons de prendre notre place dans la rue, en faisant la grève au lieu de travailler. Ou, encore mieux, de nous rejoindre pour accélérer le processus.
Je suis désolée, mais dire que tout ira bien en continuant à ne rien faire, ça ne nous laisse aucun espoir. C’est l’inverse de l’espoir. Mais c’est exactement ce que vous continuez à faire. Vous ne pouvez pas attendre passivement que l’espoir arrive. Ça, c’est ce que font les enfants gâtés irresponsables. Vous ne semblez pas comprendre que l’espoir se mérite. Et si vous dites encore que nos perdons un temps d’apprentissage précieux, je vous rappelle que nos politiques ont perdu des décennies à cause de leur déni et de leur inaction.
Le temps presse, nous avons décidé d’agir. Nous avons commencé à réparer vos erreurs. Nous ne nous arrêterons que lorsque nous aurons terminé.
Merci.