Exclusif. Le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, Matthias Fekl, a transmis le 2 juin à Bruxelles une proposition de réforme des mécanismes d’arbitrages, pour créer une cour européenne en matière de règlement des différends.
Vous avez soumis aujourd’hui à la Commission européenne une proposition française visant à remplacer le mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs actuels. Pourquoi ?
La proposition française est une réponse aux préoccupations très fortes qui s’expriment envers l’arbitrage. Nous souhaitons inventer quelque chose d’entièrement neuf : les modalités de règlement des différends adopté au 21e siècle.
Il est inacceptable que des États puissent voir remis en cause des choix démocratiques et souverains remis en cause par des juridictions privées. Il est inacceptable qu’il puisse y avoir des conflits d’intérêts, qu’on puisse être un jour arbitre demain avocat, alors que les mêmes entreprises sont en cause. Et il faut rétablir l’équilibre en faveur de la puissance publique.
Quelles sont les propositions concrètes de la France ?
La France propose donc la création d’une cour internationale de règlement de différends en plusieurs étapes. La première est une étape européenne. Nous proposons qu’une telle cour puisse être mise en place et devenir compétente pour tous les futurs traités commerciaux de l’UE.
À partir de là, cette cour pourrait devenir la préfiguration d’une cour permanente internationale et multilatérale. La France en ça est fidèle à sa tradition diplomatique attachée au multilatéralisme. La méthode a semblé s’essouffler, notamment à l’Organisation mondiale du commerce; mais nous considérons qu’un retour au multilatéralisme est indispensable.
Quels seraient les pouvoirs de cette cour européenne de règlement de différends ?
Cette cour permettra la création d’un nouveau cadre institutionnel. Elle aurait pour mission de gérer une liste de personnalités seules habilitées à régler les différends entre les investisseurs et les États, en les soumettant à des contrôles, mais aussi à des règles en matière de déontologie et de transparence. Nous proposons par exemple la mise en place d’une période de « quarantaine » de 5 ans, – avant et après-, pendant laquelle les juges de cette cour ne pourront pas reprendre un rôle d’avocat privé afin d’éviter les conflits d’intérêt, fréquent sous le système actuel.
La cour aurait également un rôle proprement judiciaire puisqu’elle serait compétente pour réexaminer l’ensemble des sentences pouvant être portées devant elle.
Comment seraient encadrées les possibilités de recours à l’arbitrage ?
Il faut aussi qu’un investisseur réfléchisse à deux fois avant d’attaquer un État : d’où l’idée de sanctions et d’amendes pour plaintes abusives, qui pourraient atteindre un montant très élevé. Nous proposons que les dommages infligés par la future cour puissent aller jusqu’à 50% des demandes en dommage portées par les investisseurs.
Par ailleurs, un simple changement de loi, qui fait varier, même très fortement les profits d’une entreprise ne sont jamais un motif suffisant pour attaquer un État. L’idée est de préserver le droit d’un État à mettre en œuvre souverainement des politiques publiques sans être trainé devant une juridiction.
Sur l’expropriation indirecte, nous souhaitons encadrer de manière extrêmement forte cette notion, et il faut également que ce soit les États, et les États seuls qui puissent interpréter les traités lorsqu’il y a des ambigüités.
Enfin, nous proposons aussi un paragraphe spécifique sur la souveraineté financière des États en excluant clairement les questions de dette souveraine de la possibilité du recours à l’arbitrage. C’est une préoccupation très présente, en particulier depuis la crise financière de 2008. Ce sont des choix d’État.
On ne peut accepter que les États se fassent attaquer devant des tribunaux arbitraux dans des cas de mise en œuvre de mécanismes de résolution bancaire ou de restructuration négociée de dette souveraine.
La question de l’arbitrage est devenue centrale dans le débat au cours des derniers mois sur le traité commercial en cours de négociation entre les États-Unis et l’Union européenne. L’Union européenne est-elle prête à le réformer entièrement ?
L’ambiance en Europe sur le sujet de l’arbitrage au sein du traité transatlantique a effectivement changé. Au départ, j’étais à peu près seul avec Sigmar Gabriel [ministre de l’Économie et de l’Énergie allemand] à dire qu’il y avait des problèmes sur ce thème. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les positions que nous avons défendues sur la clause d’arbitrage sont aujourd’hui au centre du débat européen.
Si l’on porte cette proposition, c’est parce que l’on souhaite que cela se fasse et que cela se fasse sans tarder. Et nous sommes là-dessus très proches de l’Allemagne qui propose également la mise en place d’un mécanisme de cour permanente.
Ce n’est pas quelque chose qui se fera du jour au lendemain. Mais cette piste-là me semble très importante et elle est réaliste. Nous souhaitons que cette cour voie le jour rapidement.
La commissaire européenne au commerce, Cécilia Malmström, s’est déjà exprimée au sujet de l’idée d’une cour internationale, affirmant que cela ne pouvait pas être une solution à court terme. Les États-Unis ont pas ailleurs exprimé clairement leur opposition à un tel système. Pensez-vous malgré tout que la proposition française puisse trouver un écho ?
Les Américains sont opposés au multilatéralisme ! Ce n’est pas un secret. C’est une des constantes de leur diplomatie, là-dessus à l’évidence il y a une divergence de vues.
Aujourd’hui, nos propositions sur l’arbitrage, qui étaient perçues comme extravagante il y q quelques mois, sont maintenant au cœur du débat européen. Les choses évoluent et les esprits changent. Nous faisons aujourd’hui des propositions très ambitieuses. Elles ont pour vocation de faire bouger les lignes.
Tout le monde parle maintenant de la possibilité d’une cour. Certains veulent la reporter à la Saint-Glinglin, ce n’est pas acceptable.
Y a-t-il d’autres sujets sur lesquels les négociations transatlantiques pourraient achopper ?
Si au bout du compte, l’objectif des négociations est d’imposer en Europe des normes au rabais, de la nourriture que nous ne voulons pas consommer, des choix énergétiques ou environnementaux qui ne sont pas les nôtres, et qu’en retour, nous ne puissions ni accéder aux marchés publics américains, ni voir reconnaitre nos indications géographiques, alors évidemment le compte ne peut pas y être. À l’évidence nos demandes doivent être prises en compte. La négociation est certes engagée, mais le calendrier ne doit pas l’emporter sur la substance. Nous jugerons sur pièces pour voir si l’accord final est acceptable et correspond aux intérêts de la France.
Sur tous ces sujets, s’il n’y a pas d’avancés, l’intérêt même des négociations est posé.