L’importance croissante accordée par les décideurs politiques à la création de « champions européens » pourrait conduire les entreprises à obtenir des avantages monopolistiques qui finiraient par nuire à l’économie de l’UE. Telle est l’analyse de Damian Boeselager, le nouveau premier vice-président de la commission des Affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen.
Damian Boeselager (Verts/ALE), co-fondateur du parti fédéraliste Volt, a confié à Euractiv lors d’un entretien que l’accent mis par les fonctionnaires de l’UE sur l’encouragement des entreprises à « changer d’échelle », risque de pousser la politique de concurrence de l’Union « dans la mauvaise direction ».
L’eurodéputé allemand a expliqué qu’il donnerait la priorité aux dossiers liés à la concurrence lors du prochain mandat, afin de stimuler la compétitivité du marché européen de l’Internet et, à terme, la compétitivité mondiale de l’Union qui faiblit.
« On ne peut être compétitif au niveau mondial que si l’on dispose de marchés compétitifs au sein de l’Union européenne », a affirmé Damian Boeselager, qui vient d’être réélu pour un second mandat.
Il a également mis en garde contre les risques d’une dérive des discussions politiques « vers le fait de dire qu’il y a tous ces acteurs mondiaux qui sont créés grâce à l’argent public en Chine. [Et que] nous devons [donc] injecter de l’argent public dans les grandes entreprises et autoriser les fusions de grandes sociétés en Europe ».
« Pour moi, cela ressemble à une mainmise du gouvernement, et je n’aime pas cela du tout ».
Une ambition d’échelle mal définie
Le premier vice-président de la commission ECON a ajouté que la décision attendue du gouvernement danois de ne pas renommer Margrethe Vestager pour un troisième mandat n’augurait rien de bon pour l’avenir de l’élaboration des politiques.
Margrethe Vestager, fervente partisane des marchés concurrentiels, a souligné à plusieurs reprises qu’une grande partie de la rhétorique actuelle de l’UE sur la concurrence est fondée « sur la mauvaise prémisse », à savoir que les entreprises doivent bénéficier d’une protection nationale pour être compétitives à l’échelle mondiale.
Le vice-président de la commission ECON a critiqué le point de vue du commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, avec lequel Margrethe Vestager a souvent été en désaccord au cours des cinq dernières années.
Le Français Thierry Breton, ancien PDG de la multinationale numérique française Atos et fervent partisan de la création de « leaders européens » capables de rivaliser avec les multinationales américaines, a récemment été nommé pour un second mandat par le président français Emmanuel Macron. Il devrait obtenir un portefeuille clé lié à l’économie lors de cette nouvelle mandature.
« La grande bataille de ces cinq dernières années a opposé Thierry Breton et Margrethe Vestager sur la manière dont la compétitivité devrait être atteinte », a expliqué Damian Boeselager.
« Thierry Breton estime que le problème avec Google est que la société n’est pas française. Si Google était une société française, il n’y verrait absolument aucun inconvénient. Moi, j’aurais toujours un problème avec eux s’ils étaient Français — non pas parce qu’ils sont Français, mais parce que la concentration du marché est si élevée qu’elle crée d’énormes barrières à l’entrée. »
La prétendue nécessité d’augmenter la taille des entreprises européennes a été soulignée par certains hauts fonctionnaires de l’Union européenne au cours des dernières semaines.
Dans le discours qu’elle a prononcé devant le Parlement européen avant sa réélection à la présidence de la Commission le mois dernier, Ursula von der Leyen a déclaré que l’Europe avait besoin d’une « d’une politique en matière de concurrence qui aide les entreprises à se développer ».
L’agenda stratégique de l’UE, qui a été approuvé par les États membres en juillet et devrait fortement façonner les politiques au cours des cinq prochaines années, insiste également sur la nécessité de permettre des économies d’échelle au sein du marché unique.
L’accent mis par les décideurs politiques sur les économies d’échelle a été reflété dans le récent rapport de l’ancien Premier ministre italien, Enrico Letta, sur le marché unique. Il a déploré le « déficit de taille impressionnant » des entreprises de l’UE comparé à celles des États-Unis et de la Chine.
Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, qui devrait présenter un rapport sur la compétitivité de l’Union en septembre, a exhorté les dirigeants de l’UE à mettre davantage l’accent sur la « création d’échelles », en particulier dans les secteurs de la défense, des télécommunications et des soins de santé.
Stimuler l’afflux de main-d’œuvre qualifiée
Damian Boeselager, ardent défenseur des droits des migrants et très critique à l’égard de la politique migratoire de l’UE actuelle, s’est dit favorable à un autre paquet de mesures européennes visant à encourager la main-d’œuvre qualifiée extracommunautaire à venir travailler en Europe.
Il a notamment mis l’accent sur une proposition récente de la Commission, qu’il soutient lui-même depuis longtemps. A savoir, créer une réserve de talents de l’UE, un programme destiné à simplifier les procédures de recrutement transfrontalières et à mettre en relation les employeurs européens et les demandeurs d’emploi internationaux.
« Le développement des compétences est important. Mais nous n’y parviendrons pas sans les ressortissants de pays tiers », a-t-il soutenu, ajoutant que la recherche de talents à l’étranger est « absolument cruciale » pour garantir la compétitivité.
Permettre à de ressortissants de pays tiers qualifiés de travailler en Europe est une proposition également soutenue par Mario Draghi, qui a déclaré dans un discours en juin que « la requalification de notre main-d’œuvre nécessitera […] de faciliter l’entrée de travailleurs hautement qualifiés provenant de l’extérieur de l’Union européenne ».
L’accent mis par le co-fondateur de Volt et l’ancien président de la Banque centrale européenne sur l’attraction des travailleurs qualifiés devrait cependant se heurter à une forte résistance au cours du prochain mandat.
Le récent virage à droite du Parlement ayant également été motivé par l’adhésion d’une part croissante de l’électorat européen à des positions plus dures en matière de lutte contre l’immigration.
La Hongrie, qui assure actuellement la présidence tournante du Conseil de l’UE, a déclaré à plusieurs reprises que les pénuries de compétences de l’Union devaient être résolues en mobilisant la main-d’œuvre inexploitée de l’UE.
[Édité par Anna Martino et Sarah N’tsia]