Le recours à la dette commune par l’Union européenne (UE) — sur le modèle du fonds de relance post-pandémie NextGenerationEU doté de 806,9 milliards d’euros — n’est pas « essentiel » pour que l’Europe reste compétitive face à la Chine et aux États-Unis, a déclaré Mario Draghi lundi 30 septembre.
Peut-être dans l’optique de rassurer les partisans de la rigueur budgétaire, le technocrate italien a exprimé lundi sa consternation quant au fait que la plupart des discussions autour de son récent rapport sur la compétitivité de l’UE se sont concentrées sur sa proposition de renouvellement de financement grâce à l’émission d’une dette commune, un modèle basé sur le programme de relance post-pandémie NextGenerationEU.
Pour rappel, avec le programme NextGenerationEU, les 27 États membres de l’Union se mettaient pour la première fois d’accord sur l’émission d’une dette commune afin de financer un mécanisme d’investissement à l’échelle européenne.
« Cette proposition [pour une succession au programme NextGenerationEU] a été la toute première chose à laquelle les gens ont réagi » , a déploré Mario Draghi lors d’un évènement organisé par le think tank Bruegel.
« Je dois dire que même si j’affectionne ce concept, ce n’est pas l’élément principal du rapport », a insisté l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), ajoutant qu’« il y a beaucoup de bonnes raisons de l’avoir, [mais] ce n’est pas un ingrédient essentiel ».
Le rapport de Mario Draghi, publié au début du mois, appelait au recours plus généralisé à l’émission par l’UE de dettes communes afin de « permettre des projets d’investissement [européens] communs » et d’« aider à intégrer les marchés de capitaux », en s’appuyant sur le modèle de NextGenerationEU.
Cependant, il notait également que l’émission d’un plus grand nombre de dettes communes ne pourrait avoir lieu que si les conditions politiques et institutionnelles étaient « en place ».
Cependant, la proposition de généralisation du recours à la dette commune a été rejetée par les Pays-Bas et l’Allemagne, deux États membres traditionnellement « frugaux », qui s’opposent fermement au renouvellement du programme de financement post-pandémie au-delà de son expiration, prévue pour août 2026.
À l’inverse, l’idée a reçu un fort soutien en Espagne — l’un des plus grands bénéficiaires du financement de NextGenerationEU — ainsi que de la France, Emmanuel Macron ayant souligné à plusieurs reprises la nécessité de disposer de tels instruments pour financer des investissements clés, en particulier dans le domaine de la défense.
Bien que la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) — le programme phare du programme de relance post-Covid — ait été entachée d’allégations de retards de paiement, de mauvaises utilisations des fonds et d’irrégularités, son renouvellement au-delà de 2026 a également reçu le soutien de responsables politiques influents au niveau de l’UE.
Par exemple, le commissaire européen à l’Économie Paolo Gentiloni a appelé à transformer la FRR en « modèle » pour les futurs programmes d’investissement de l’Union.
Le président de l’Eurogroupe, Paschal Donohoe, a également décrit NextGenerationEU comme « la pièce du puzzle » qui permettra aux États membres de se conformer aux nouvelles règles budgétaires strictes de Bruxelles tout en accordant « une plus grande priorité aux investissements en capital que dans le passé ».
Dans son rapport sur la compétitivité, Mario Draghi a lui-même présenté la poursuite de l’émission de dette commune comme un catalyseur important de la liquidité du marché privé.
« Comme plusieurs des projets [nécessaires de l’UE] sont envisagés à long terme — tels que le financement de la recherche et de l’innovation et les marchés publics de la défense —, l’émission [d’une dette] commune devrait, avec le temps, produire un marché plus approfondi et plus liquide pour les obligations de l’UE, permettant ainsi à ce marché de soutenir progressivement l’intégration des marchés de capitaux européens ».
Une estimation des besoins d’investissement « relativement conservatrice »
Lundi, l’économiste italien a également souligné que l’estimation du rapport d’un « minimum » de 750 à 800 milliards d’euros par an en investissements supplémentaires dans les domaines de l’écologie, du numérique et de la défense pourrait être un chiffre « relativement conservateur ».
En particulier, il a fait remarquer que ce chiffre — qui représente environ 5 % du PIB annuel de l’UE — n’inclut pas de financement supplémentaire pour l’éducation ou la protection du climat.
Il a également indiqué que les simulations de la Commission européenne et du Fonds monétaire international (FMI) suggèrent que la somme proposée pourrait devenir plus réalisable économiquement et politiquement avec des gains de productivité minimes — de l’ordre de 0,2 % par an pendant 10 ans, selon le FMI.
« Même avec une faible augmentation de la productivité, le montant global est réaliste. Et le financement public [nécessaire] est moindre », a affirmé Mario Draghi.
Relocalisation des industries à forte intensité énergétique
Le technocrate italien a également défendu son appel à l’octroi de subventions pour maintenir en Europe les industries à forte consommation d’énergie, dont une grande partie est basée en Allemagne, la grande puissance industrielle de l’Europe.
Il a fait remarquer que des secteurs tels que l’acier, l’aluminium et les produits chimiques produisent des biens qui se retrouvent « partout dans nos économies » et sont utilisés dans les produits de consommation et de défense.
« Nous ne pouvons pas simplement [laisser ces industries partir] dans un autre pays en dehors [de l’UE]. Nous voulons conserver les scientifiques », a-t-il expliqué.
« [Elles] sont également, comme d’autres [industries], en concurrence inégale avec les pays étrangers. Les arguments en faveur de leur soutien sont donc, je pense, indiscutables. »
Mario Draghi a suggéré qu’à l’avenir, les responsables politiques pourraient contribuer à faciliter la « relocalisation » de ces industries dans d’autres régions d’Europe afin de profiter des coûts moins élevés de l’énergie verte.
Par ailleurs, il a déclaré que l’État-providence solide de l’Europe devrait atténuer l’impact d’une telle délocalisation sur les citoyens, ce qui signifie qu’un tel changement ne sera pas ressenti aussi vivement qu’aux États-Unis dans les années 1990.
« Nous sommes dans une meilleure position que les États-Unis. Nous disposons d’un système de protection sociale solide… Il n’y a donc pas de risque que nous abandonnions les gens », a-t-il soutenu.
[Édité par Anne-Sophie Gayet]