Des chercheurs exhortent l’Europe à « épouser » la désindustrialisation

L’étude a montré que dans certains pays, où un mélange d’énergie éolienne et solaire fonctionne de manière optimale, les prix de l’électricité seront systématiquement inférieurs à ceux de l’Europe de 40 euros le mégawattheure (MWh), ce qui rendra certains processus industriels respectueux de l’environnement jusqu’à 37 % moins chers. [Shutterstock/Geoff Sperring]

Face à la concurrence mondiale sur le marché des énergies renouvelables, l’UE devrait opter pour une désindustrialisation partielle plutôt que de subventionner des industries non compétitives, selon un nouveau rapport de l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique publié mercredi (24 avril).

La désindustrialisation et la compétitivité économique sont au cœur des débats à l’approche des élections européennes de juin. Et les choses peuvent s’envenimer rapidement : lorsque la crise énergétique a frappé en 2022, la production européenne d’ammoniac, une étape dans la fabrication d’engrais, a chuté de 70 % et est restée faible en 2023, poussant les groupes de pression à prévenir du danger de désindustrialisation.

Cependant, alors que les responsables politiques de l’UE souhaitent maintenir les chaînes d’approvisionnement nationales existantes et en créer de nouvelles qui soient respectueuses de l’environnement face à la concurrence internationale, les chercheurs mettent en garde contre la création d’industries qui dépendent des subventions pour exister.

L’Europe devrait donc épouser ces changements structurels, que les associations industrielles qualifient de désindustrialisation ?

« Oui, tout à fait, ou au moins envisager la relocalisation écologique partielle de produits de base tels que l’ammoniac », a répondu Falcko Ueckerdt, scientifique à l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique, basé à Berlin, qui a coécrit un article sur les perspectives de l’industrie mondiale de l’énergie propre dans la revue Nature Energy.

Selon lui, c’est inévitable. L’étude a montré que dans certains pays, où un mélange d’énergie éolienne et solaire fonctionne de manière optimale, les prix de l’électricité seront systématiquement inférieurs de 40 euros le mégawattheure (MWh) par rapport à ceux de l’Europe, ce qui rendra certains processus industriels respectueux de l’environnement jusqu’à 37 % moins chers. Un obstacle probablement insurmontable.

Aujourd’hui, les capitales européennes, Berlin en tête, subventionnent la transformation des processus industriels. Les aciéries peuvent passer à l’hydrogène, les papeteries peuvent acheter de grandes pompes à chaleur et les cimenteries peuvent capturer leurs inévitables émissions de CO2 — tout cela grâce à de généreuses subventions gouvernementales.

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Tout cela pour se rendre compte dans les années 2030 « que [ces industries] ne sont pas compétitives en raison de la pression exercée par les marchés mondiaux », parce que les produits écologiques peuvent être produits à moindre coût ailleurs, a prévenu M. Ueckerdt.

« Ensuite, après avoir dépensé des milliards d’euros, soit vous maintenez les subventions, soit vous laissez ces industries s’effondrer lentement », a-t-il déploré.

Avec des budgets serrés « après les multiples crises » qui ont ébranlé l’UE, l’expert allemand a affirmé qu’il restait une autre solution : « épouser les importations ».

Selon le document, en déplaçant toutes les étapes de la production d’acier — de la réduction du minerai de fer à la sidérurgie — à l’étranger dans des sites optimaux, la production de l’acier pourrait être 18 % moins chère que si toutes les étapes étaient maintenues sur le sol européen.

Le coût de l’urée, un engrais chimique, baisserait de 32 %, tandis que l’éthylène, un produit chimique aux multiples applications industrielles, serait 38 % moins cher.

La production de ces produits à l’étranger serait moins coûteuse pour deux raisons.

Premièrement, le transport des produits finis coûte moins cher que le transport de l’énergie — en particulier le transport de l’hydrogène, qui n’a pas encore été testé et risque de s’avérer coûteux.

Deuxièmement, certains pays disposent de ressources éoliennes et solaires qui permettraient de produire de l’énergie de manière exceptionnellement peu chère.

« L’Australie a beaucoup de potentiel », estime Philipp Verpoort, un postdoctorant qui a dirigé l’étude, car « c’est un pays développé qui maintient des coûts de financement bas » et son « industrie du minerai de fer existante » lui permet de répondre à la demande mondiale d’acier durable.

« Il en va de même pour le Brésil et l’Afrique du Sud », a-t-il expliqué, mais bien que ces pays disposent d’une industrie du minerai de fer, leur instabilité politico-économique signifie qu’« ils pourraient être confrontés à certains problèmes de développement ».

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[Édité par Anna Martino]

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