La Commission européenne estime qu’une libéralisation plus poussée du transport routier de courtes distances serait bénéfique. Mais la lutte contre le dumping social dans le fret routier s’avère compliquée.
Parlementaires, ministres européens des transports et représentants des organisations patronales et syndicales du transport routier de marchandise se sont retrouvés à Paris le 16 avril à l’occasion d’une grande conférence sur les pratiques d’optimisation sociale qui minent ce secteur en Europe.
Organisée sous la houlette du secrétaire d’État en charge des Transports, Frédéric Cuvillier, la conférence internationale devait permettre à la France de fédérer d’autres États membres autour de sa lutte contre le dumping social dans le transport routier.
« Nous souhaitons que les abus soient pleinement pris en compte pour que nous puissions faire évoluer les choses » a affirmé le secrétaire d’Etat devant ses homologues danois, britannique, polonais, roumain et tchèque lors de son discours d’ouverture.
Conducteurs routiers à bas coût
En ligne de mire, l’ouverture partielle du marché européen des transports routiers en 2009, qui permet entre autres à un transporteur européen d’effectuer plusieurs livraisons dans un autre Etat membre au cours du même trajet, dans un délai de sept jours.
Avec la libéralisation de cette pratique – le cabotage – Bruxelles espérait limiter le nombre de transporteurs routiers roulant à vide, faire baisser les prix du transport et réduire le trafic ainsi que la pollution.
Mais une utilisation abusive du cabotage routier et les différences de salaires et de législations sociales et fiscales en Europe ont engendré une concurrence déloyale entre États membres, selon les participants. Et un effet d’aubaine dont certaines sociétés ont profité en créant des filiales en Pologne ou la Roumanie, où coût de l’emploi est moins élevé.
La tentation du « low cost » a d’ailleurs poussé certaines entreprises françaises à développer « des filières en Roumanie ou en Pologne […]. En jouant avec les règles du cabotage, ces chauffeurs restent un mois en France, rémunérés aux conditions du pays d’envoi » détaille un rapport d’information du sénateur Éric Boquet.
Face à cette libéralisation, le constat est sévère du coté de certains Etats membres, notamment la France, dont les entreprises de transport ont été durement touchées. « L’application de la réglementation, la lutte contre la fraude fiscale et sociale ne doivent pas être un accompagnement mais un préalable à la libéralisation du marché des transports » a estimé Frédéric Cuvillier. « Si nous avions pu, il y a quelques années, accompagner cette réforme européenne, nous n’en serions pas là aujourd’hui » a-t-il poursuivi.
L’inquiétude française est forte, d’autant que le marché n’est pas négligeable en terme d’emploi. Selon la Commission européenne, il représentait environ trois millions de personnes en 2011 et reste le principal mode de transport terrestre dans l’Union.
Dumping social
En renforçant la concurrence entre les Etats membres malgré les disparités sociales, la pression sur les salaires et les droits sociaux s’est accentuée, selon Roberto Parrillo, président de la section transport routier de la Fédération européenne des travailleurs des transports (FET). « Dans le transport routier, c’est le salaire, qui représente environ 45% du prix de revient.
Le reste – entretien du véhicule, assurance, carburant – est sensiblement au même prix » détaille-t-il. « Les entreprises acceptent des marchés en dessous du prix normal et doivent ensuite s’attaquer à la variable d’ajustement qu’est le salaire » poursuit-il
« Il faut que les conditions sociales soient bonnes mais que l’activité soient rentables » souligne Michael Nielsen, délégué général de la représentation permanente de l’Union internationale des transports routiers. Sans quoi, « nous allons avoir une pénurie de chauffeurs dans 15 à 20 ans » prédit-il
Traduction simultanée
Autre problème récurrent : celui de la langue des documents officiels des routiers, souvent inconnue des forces de contrôle. « En France quand on contrôle un chauffeur polonais ou slovaque on va parfois préférer le laisser partir » explique le député Gilles Savary, soulignant que « les administrations de contrôle routiers » étaient « très inégales selon les pays».
Au Royaume-Uni, le problème a trouvé un début de solution. « Nos contrôleurs disposent d’un système de traduction simultané par téléphone mobile, donc les chauffeurs qui ne parlent pas anglais n’échappent plus au contrôle » explique de son côté Robert Goodwill, sous-secrétaire d’État britannique aux Transports
Désaccords à l’Est
Si le constat sur la faiblesse de la législation européenne est largement partagé par les pays d’Europe de l’ouest ainsi que les organisations patronales et syndicales, le ton est tout autre du côté des pays de l’Europe centrale et orientale.
La République Tchèque estime qu’il n’y a pas de besoin de légiférer davantage. « Nous avons les moyens d’appliquer cette législation en vigueur » a affirmé le vice-ministre aux transports du pays, Kamil Rudolecký.
Du côté de la Commission, un rapport sur l’état du marché du transport routier publié le 14 avril prend le contrepied de la demande française, en appuyant sur la volonté de l’exécutif européen « d’aller plus loin dans la libéralisation du marché des transports », afin de limiter les trajets à vide encore trop nombreux au goût de Bruxelles.
Sur le volet du dumping social, la Commission appelle les autorités de contrôle des États membres à « intensifier leurs efforts dans le sens d’une application plus efficace et homogène de la législation en vigueur »
Autre constat, l’écart de salaires entre les différents pays de l’UE « se réduit progressivement », souligne la Commission, qui estime que les salaires des chauffeurs roumains dans les transports internationaux atteignent aujourd’hui des niveaux comparables à ceux des transporteurs espagnols – soit 4 à 5 euros/heure.