Lundi (4 décembre), la commission des Affaires économiques (ECON) du Parlement européen a suggéré dans un rapport d’étendre la portée du règlement européen sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA), encadrant les géants du numérique, aux secteurs du cloud et de l’intelligence artificielle.
Le règlement européen sur les marchés numériques est une loi européenne qui règlemente les entreprises désignées comme des « contrôleurs d’accès » aux marchés numériques, sur lequel le rapport 2023 sur la concurrence de la commission ECON s’appuie. Le rapport met en exergue les marchés où il est nécessaire de conduire des enquêtes de concurrence plus approfondies et a souligné l’importance d’engager les autorités nationales en charge de la concurrence dans le processus de construction du rapport sur la concurrence.
« Le Parlement européen met en lumière les défis actuels de la politique de concurrence, à savoir la mise en œuvre de nouveaux outils tels que le DMA, mais aussi l’interaction des règles de concurrence avec d’autres règlementations telles que la protection des données, ainsi que l’avenir des conditions en matière d’aides d’État », a déclaré à Euractiv Stéphanie Yon-Courtin, l’eurodéputée centriste (Renew) à la tête du dossier.
Concurrence sur les marchés numériques
Dans leur rapport, les législateurs européens ont salué la désignation de six entreprises comme « contrôleurs d’accès » dans le cadre du DMA, soulignant que la Commission devrait consulter des tiers et veiller à évaluer la pertinence de la mise en conformité de ces entreprises.
Ils plaident également en faveur de la désignation de l’application iMessage d’Apple en tant que « services de plateforme essentiels ».
En ce qui concerne le marché du cloud, les auteurs du rapport « regrettent » qu’aucun fournisseur de services cloud n’ait été désigné « contrôleur d’accès », alors que ce marché est très concentré et soumis à des pratiques anticoncurrentielles.
Les eurodéputés de la commission ECON pressent la Commission européenne d’ouvrir une enquête de marché dans ce secteur.
Les eurodéputés souhaitent également qu’une enquête de marché soit menée afin de déterminer si les technologies émergentes qui n’entrent pas dans les catégories existantes, telles que l’IA générative, devraient être incluses dans le champ d’application du DMA.
Selon eux, l’IA générative risque en effet renforcer les positions dominantes existantes sur le marché des services numériques, ce qui pourrait être le cas, par exemple, en intégrant cette technologie directement dans les moteurs de recherche en ligne.
« L’essor de l’IA et l’augmentation des problèmes de concurrence seront la prochaine bataille. Étant donné la quantité massive de données nécessaires aux IA, les contrôleurs d’accès actuels pourraient utiliser leur position dominante pour devenir un leader de l’IA », a ajouté Mme Yon-Courtin.
La Commission est invitée à se montrer « vigilante » en ce qui concerne le partenariat entre les géants du numérique et les start-ups de l’IA « afin de s’assurer que ces accords de coopération ne soient pas des concentrations cachées ou des acquisitions prédatrices ».
Le texte comprend une référence au marché de la publicité numérique, voulue par le législateur néerlandais Paul Tang, soulignant la nécessité d’analyser les options pour de futures interventions législatives afin de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles.
Les eurodéputés ont fait référence à l’affaire Meta contre l’Office allemand de lutte contre les cartels (Bundeskartellamt), qui montre la relation intriquée entre données personnelles et abus de position dominante. L’enquête de l’autorité allemande de la concurrence contre Google est également citée.
Bien qu’il ne fasse pas explicitement référence à l’acquisition d’iRobot par Amazon, le rapport mentionne les robots aspirateurs comme des sources de données importantes, soulignant de manière générale que les données devraient être considérées comme un actif traditionnel lors de la prise de décision sur les concentrations numériques.
Les références au principe de « péage numérique » européen (fair share, ou sender-pay principle) ont été supprimées, car cette initiative n’est plus attendue avant le prochain mandat. À la place, les législateurs ont souligné que la consolidation du marché des télécommunications était potentiellement « le seul moyen d’éviter de vendre les infrastructures [télécoms] pièce par pièce à des entreprises étrangères non européennes et d’être compétitif dans un scénario mondial ».
Le rapport demande également que les entreprises engagées dans des pratiques d’évasion fiscale au sein de pays tiers soient exclues des procédures de marchés publics et ne puissent plus bénéficier d’aides d’État.
Une référence explicite à Booking.com, entreprise qui n’a pas atteint les seuils définis d’utilisateurs actifs pour être désignée « contrôleurs d’accès », à cause d’une baisse d’activité due aux confinements lors de la crise du Covid-19 a été retirée du rapport.
Contrôle des concentrations
Les eurodéputés ont invité la Commission européenne à prêter une attention particulière au phénomène des « acquisitions prédatrices » dans le secteur du numérique. Un concept que Mme Yon-Courtin a également défendu tout au long des négociations sur le DMA.
Le rapport souligne l’importance des mesures correctives structurelles dans les décisions relatives aux concentrations. Il examine les effets impactant négativement la concurrence des concentrations sur des marchés adjacents, renforçant la position dominante de l’entreprise acquéreuse sur son marché principal.
Dans le même temps, les législateurs soulignent la nécessité d’une « approche plus dynamique », en particulier sur les marchés numériques, car ils considèrent que les entreprises européennes ont parfois été privées de la possibilité de rivaliser efficacement à l’échelle internationale en raison d’une perspective trop étroite.
Pratiques anticoncurrentielles
Le rapport invite la Commission à mieux utiliser les mesures provisoires pour stopper toute pratique portant atteinte à la concurrence, notamment sur les marchés numériques qui évoluent rapidement, et à accélérer les enquêtes de pratiques anticoncurrentielles en fixant des délais appropriés aux procédures.
Les eurodéputés ont cité en exemple la plainte déposée par Spotify en 2019, qui n’a débouché sur aucune action concrète de la part de la Commission, bien qu’opposée à cette pratique, qui aurait remédié aux restrictions imposées par Apple aux développeurs d’applications, les empêchant de communiquer directement avec leurs utilisateurs.
Dans une référence implicite à l’affaire GoogleAds, où le département des pratiques anticoncurrentielles de l’UE a émis pour la première fois l’idée de briser les pratiques commerciales d’une entreprise, les eurodéputés ont exprimé leur soutien à cette approche, en particulier pour les cas où les pratiques anticoncurrentielles sont courantes.
Une référence à une affaire en cours contre Microsoft, accusée par Slack de proposer à un prix anticoncurrentiel dans une même offre Teams et son package de logiciels Office365, a été supprimée en faveur d’une formulation plus vague demandant à la Commission d’évaluer rigoureusement ce type de plaintes.
Les eurodéputés notent que les affaires passées contre les contrôleurs d’accès n’ont pas conduit à des changements de comportement efficaces, en particulier en ce qui concerne l’autoréférencement sur les marchés numériques. Ainsi, la Commission devrait faire un « meilleur usage » des remèdes structurels de dernier recours.
Le rapport invite également la Commission à supprimer les géoblocages injustifiés et autres restrictions sur les ventes transfrontalières en ligne, un problème de longue date dans le secteur de l’audiovisuel.
[Édité par Paul Messad/Théophane Hartmann]