La grande inconnue du coût de la modernisation de la défense européenne

Des mois après que la Commission ait rendu public le chiffre de 500 milliards d’euros, « nous ne savons toujours pas d’où vient ce chiffre », a déclaré un diplomate de l’UE à Euractiv, reflétant un sentiment général. [Aitor Diago]

Fonctionnaires et diplomates s’efforcent de déterminer le coût de la réforme de la défense de l’Union européenne (UE), tout comme les industriels et les gouvernements nationaux, alors que les négociations budgétaires des prochains mois s’annoncent houleuses.

La Lituanien Andrius Kubilius, candidat désigné au poste de commissaire européen à la Défense, a été chargé d’améliorer la coopération des pays de l’Union en matière de production et d’approvisionnement, et de trouver une série de financements pour soutenir ces mesures.

Le budget de 1,5 milliard d’euros proposé pour le programme industriel de défense de l’UE 2025-2027 (EDIP), qui vise à rendre le complexe militaro-industriel de l’Union « prêt pour la guerre », n’est pas suffisant, explique-t-il.

Difficile pourtant de chiffrer le coût de la modernisation de l’industrie de la Défense européenne. Selon la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, 500 milliards d’euros seraient nécessaires durant la prochaine décennie. Un peu plus tôt dans l’année, l’ancien commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, parlait pour sa part de 100 milliards d’euros.

Ni les fonctionnaires européens ni les industriels ne sont pourtant convaincus que ces chiffres constituent une base à partir de laquelle se projeter.  « Nous ne savons toujours pas d’où vient ce chiffre [de 500 milliards] », explique ainsi un diplomate de l’UE. « C’est un chiffre rond qui sonne bien », souligne encore un représentant de l’industrie de la Défense.

Il n’est pas non clair si cet argent doit être affecté à l’acquisition de matériel pour les forces armées des États de l’Union, à la recherche et au développement de projets européens, à l’augmentation de la production, ou s’il comprend un soutien direct aux entreprises ukrainiennes.

Pour l’eurodéputée Nathalie Loiseau (Horizons, Renew Europe), 500 milliards d’euros « devraient être le chiffre que nous devrions avoir à l’esprit, compte tenu du fait que nous avons été dépassés par les États-Unis et la Chine et que nous devons être présents à la fois dans les technologies de rupture et dans les armes conventionnelles ».

Un certain nombre de voix, en particulier dans les pays baltes, plaident pour que les membres européens de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) consacrent au moins 2 % de leur PIB à la défense — idéalement en dépassant ce montant — afin de combler un déficit de financement annuel qui s’élève à 56 milliards d’euros.

À titre de comparaison, les gouvernements européens consacraient environ 3,5 % de leur PIB aux dépenses de défense pendant la guerre froide.

Le ministre lituanien de la Défense appelle à porter les dépenses militaires à hauteur de 4% du PIB

Le ministre lituanien de la Défense, Laurynas Kasčiūnas, appelle à une augmentation des dépenses de défense à hauteur de 4 % du PIB, avec pour objectif d’acquérir des systèmes de défense aérienne à longue portée et d’autres équipements militaires.

Comptes et calculs

Le besoin de clarté sur les investissements à prévoir est d’autant plus urgent que plusieurs États membres, en particulier les plus frugaux, ont refusé d’explorer les options de financement sans une évaluation du montant des fonds nécessaires et sur leur affectation.

L’imprécision des estimations actuelles de la Commission s’explique par les nombreuses variables qui n’ont pas encore été résolues dans l’équation globale du financement.

Les coûts de fabrication varient considérablement en fonction des modèles de chars, des systèmes de défense aérienne, des munitions etc. Le volume des commandes potentielles a également une incidence sur le nombre des nouvelles lignes de production ou des usines que les entreprises devront ouvrir, ce qui se répercute, entre autres, sur les investissements dans les machines, le personnel, la formation, ou les équipements de protection.

Le nombre de gouvernements et de secteurs désireux de collaborer sur des projets déterminera dans quelle mesure l’UE devra participer aux coûts administratifs.

Malgré la complexité de la question, Burkard Schmitt, directeur de la défense de l’Association des industries aérospatiales et de défense de l’Europe (ASD), estime qu’il existe un point de départ évident.

« La première question ne s’adresse pas à l’industrie, mais aux forces armées des États membres. De quoi ont-elles besoin, et dans quels délais ? », explique-t-il quand on lui a demandé de combien d’argent l’industrie a besoin.

Pour lui, il faut donc « faire le point sur ce qui est nécessaire à chaque État membre pour atteindre les objectifs de l’OTAN, puis calculer les besoins d’investissement ».

Les objectifs de l’OTAN sont confidentiels, tout comme la question de savoir si chacun des 32 membres de l’Alliance militaire les atteint.

« Que faudrait-il pour se préparer à une guerre de grande ampleur ? Avoir toutes ses unités de combat entièrement équipées est une chose, mais si l’on veut être vraiment prêt, il faut être capable de réparer et de remplacer tout cet équipement, et ce dans les plus brefs délais », explique-t-il.

Même si les carnets de commandes sont pleins, suite à l’augmentation de la demande liée à la guerre en Ukraine, bon nombre des plus grandes entreprises européennes de défense expliquent que des engagements politiques à court terme se suffisent pas pour ouvrir de nouvelles lignes de production.

L’Institut Kiel dresse un tableau très sombre des tentatives européennes de réarmement, citant le cas de l’Allemagne. « Compte tenu du désarmement massif de l’Allemagne au cours des dernières décennies et de la vitesse d’acquisition actuelle de certains systèmes d’armes clés, l’Allemagne n’atteindra pas les niveaux d’armement de 2004 avant une centaine d’années », est-il expliqué dans une étude.

L’UE et le G7 réfléchissent à la manière de répondre aux besoins énergétiques et militaires de l’Ukraine avant l’hiver

Selon le chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE) Josep Borrell, les partenaires occidentaux de l’Ukraine doivent intensifier la livraison de défenses aériennes pour l’effort de guerre de Kiev, car la Russie va probablement tenter d’anéantir l’infrastructure énergétique du pays avant l’hiver.

L’avantage des fonds européens

Pour les représentants de l’industrie avec lesquels Euractiv s’est entretenu, il est évident que les fonds de l’UE ou les solutions de financement à l’échelle européenne n’augmenteront pas la production du jour au lendemain et n’élimineront pas les barrières à la coopération transfrontalière.

Mais « un petit peu, c’est déjà mieux que rien », selon un représentant de l’industrie bénéficiant du Fonds de recherche et de développement pour la défense (FED) de l’UE.  Même avec un modeste montant de 500 millions d’euros, le plan de la Commission visant à augmenter la production de munitions (ASAP) a attiré plusieurs entreprises intéressées par un soutien pour le coût de leur collaboration avec d’autres pays de l’UE.

Selon Thierry Breton, la production de munitions en Europe aura augmenté pour atteindre un minimum de 2 millions d’obus en 2025, un succès qu’il attribue en partie à l’ASAP.

L’industrie européenne de la défense dans son ensemble « a augmenté sa capacité industrielle de 50 % depuis le début de la guerre », a déclaré Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE, en mars.

De même, les fonds de l’UE ont eu un impact positif sur la recherche et le développement
transfrontaliers, ont déclaré plusieurs grandes entreprises dans un rapport sur le FED consulté par Euractiv. Néanmoins, elles ont souligné que 76 milliards d’euros supplémentaires en dépenses annuelles étaient nécessaires pour atteindre les objectifs convenus en matière d’investissement dans les équipements de défense.

Andrius Kubilius devra présenter dans les 100 premiers jours de son manda présenter un livre blanc sur l’avenir de la défense européenne.

Après les rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi sur le marché intérieur et la compétitivité, et avec un troisième rapport attendu de Sauli Niinisto sur l’état de préparation militaire et civile de l’UE, le livre blanc d’Andrius Kubilius devrait fournir une vision plus concrète des domaines dans lesquels les États membres et leurs armées estiment que des lacunes doivent être comblées.

Giada Santana a contribué à la rédaction de cet article.

Les États-Unis accordent un prêt direct à la Roumanie pour moderniser son armée et produire des munitions d’artillerie

Les États-Unis et la Roumanie ont signé ce mercredi 25 septembre un accord de prêt direct de 920 millions de dollars au titre du financement militaire étranger (FMF). La Roumanie utilisera ces fonds pour moderniser ses forces armées et augmenter sa production de munitions.

[Édité par Anna Martino et Laurent Geslin]

Inscrivez-vous à notre newsletter

S'inscrire