Ursula von der Leyen l’a promis : l’Union européenne, face à la menace russe et la guerre en Ukraine, aura son commissaire à la Défense. Mais pour quoi faire ?
La réponse à cette question va dépendre à la fois de la personnalité du futur commissaire européen, et du portefeuille qu’il lui sera finalement attribué, jugent plusieurs experts.
Il n’y a ni armée, ni ministre de la Défense en Europe, mais Bruxelles s’occupe néanmoins d’industries de défense, particulièrement depuis le renforcement de la menace russe après l’annexion de la Crimée en 2014.
Ce domaine est actuellement sous la responsabilité de Thierry Breton, commissaire au marché intérieur, chargé des industries de défense. Ce dernier a cependant démissionné ce lundi 16 septembre matin.
L’arrivée d’un commissaire à la Défense pourrait donc se limiter à lui transférer les services actuellement gérés par l’ancien ministre français.
« C’est le modèle le plus vraisemblable parce qu’il n’y a pas de débats de compétence », remarque de ce point de vue Camille Grand, expert des questions de défense auprès du Conseil européen pour les Affaires étrangères (ECFR).
Une deuxième option : on lui confie d’autres responsabilités comme la cyber-sécurité, la lutte contre la désinformation, les attaques hybrides, « pour épaissir » son portefeuille, explique encore Camille Grand.
Enfin, on va encore plus loin en lui attribuant certaines des compétences actuellement entre les mains du chef de la diplomatie européenne, ce qui est très loin d’être simple.
Le Haut représentant pour les Affaires étrangères, l’Espagnol Josep Borrell — et bientôt l’Estonienne Kaja Kallas nommée pour le remplacer avant la fin de l’année —, est également compétent pour les questions de défense.
L’Agence européenne de Défense, qui soutient entre autres l’innovation dans le secteur de l’armement, tombe sous la responsabilité du haut représentant, le HRVP en jargon bruxellois.
« Se battre »
Mme Kallas sera-t-elle prête à y renoncer au profit du futur commissaire à la Défense ? On l’imagine mal de la part de cette ancienne Première ministre de l’Estonie, un des plus solides alliés de l’Ukraine en Europe, jugent les experts.
Quelle que soit l’option finalement retenue, « il va devoir se battre », juge ainsi M. Grand en évoquant ce qui attend le futur commissaire à la Défense. « Il va avoir du mal à exister » entre Mme von der Leyen, ancienne ministre de la Défense, Mme Kallas, et M. Breton s’il devait conserver la haute main sur l’industrie en Europe, assure-t-il.
D’autant plus s’il est issu d’un « petit » pays de l’UE. « Je pense qu’il serait très difficile pour quelqu’un provenant d’un petit pays, même s’il est compétent, de mobiliser les ressources nécessaires pour faire de son poste un succès », prévient ainsi Ian Lesser, expert auprès du German Marshall Fund à Bruxelles.
Aucun « grand » pays n’a jusqu’à présent publiquement affiché son intérêt pour le poste. Un moment évoqué, le ministre polonais des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski a finalement jeté l’éponge.
« Besoin urgent »
Le candidat pressenti est l’ancien Premier ministre lituanien Andrius Kubilius.
« Il y a clairement un besoin urgent de la part de la présidente de la Commission européenne de définir [son] rôle », juge Guntram Wolff, expert auprès de l’institut Brugel et auteur d’un « mémo » adressé au futur commissaire à la Défense.
Il faudra aussi lui donner les moyens d’agir.
Mme von der Leyen a évoqué le chiffre de 500 milliards d’euros sur dix ans pour muscler la défense de l’Europe. Un chiffre qui a provoqué une levée de boucliers de la part de certains États membres.
L’ancien Premier ministre Mario Draghi a recommandé lundi dernier à Bruxelles que les Européens s’endettent — comme ils l’avaient fait lors de la pandémie du Covid-19 — pour mieux financer, entre autres, le secteur de la défense.
L’idée d’un nouvel emprunt commun, soutenue par la France, reste cependant une ligne rouge pour de nombreux pays du nord de l’Europe tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas.
« D’énormes investissements dans le secteur de la défense restent nécessaires sur le très long terme pour remédier aux lacunes européennes en matière de capacités de défense », explique pourtant, à titre personnel, Burkard Schmitt, directeur Défense auprès de l’ASD, le lobby à Bruxelles des industries de l’espace et de la défense.
Et si les États membres ne sont pas prêts à payer, et à changer radicalement dans leur façon de coopérer entre eux, alors, « l’impact sera limité, quelles que soient les initiatives prises par l’UE », assure-t-il.