La Commission légifère sur la pollution plastique

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La Commission européenne a présenté sa proposition sur les plastiques à usage unique, qui a pour but de limiter la pollution marine et côtière, le 28 mai.

Près de 85 % des déchets qui polluent les océans sont en plastique, et la moitié provient de produits jetables. Face à ce constat alarmant, la Commission a adopté une stratégie pour le plastique en janvier. Elle vient de présenter la première proposition législative dans ce cadre, qui vise les plastiques à usage unique : pailles, cotons-tiges ou couverts jetables.

Ces produits, tout comme les assiettes en plastique, les touillettes ou les tiges supportant les ballons gonflables, ont été identifiés comme ceux pour lesquels « des alternatives adaptées et plus durables sont déjà disponibles ». Ils seront donc soumis à des restrictions.

Un rapport de l’ONG Seas at risk montre que la consommation européenne de produits jetables est sur le point d’échapper à tout contrôle, en l’absence de toute limite. Tous les ans, les Européens jettent ainsi 580 milliards de mégots de cigarettes, 46 milliards de bouteilles en plastique et 36,4 milliards de pailles.

Les « filtres des produits du tabac » ne seront cependant pas limités, mais soumis à un régime de responsabilité du producteur de type « pollueur payeur » et à des initiatives de sensibilisation du public.

L'UE prépare ses adieux aux plastiques à usage unique

Bruxelles va révéler son plan d’attaque contre les plastiques non réutilisables, dont la première version avait reçu un accueil mitigé.

La proposition contient aussi des mesures plus légères, comme l’obligation de mieux informer les consommateurs grâce aux étiquettes, des normes de conception plus strictes et la promotion de régimes de responsabilité plus sévères pour les producteurs, qui seront obligés de financer une partie des coûts de recyclage.

La pêche occupe également une place  particulière dans le texte. Les filets et les pièges représentent en effet 27 % des déchets plastiques qui étouffent les océans. L’exécutif européen espère que la sensibilisation convaincra les pêcheurs et les chalutiers à récupérer leur équipement à la fin de son cycle de vie.

Les pays de l’UE devraient également parvenir à une « réduction significative » de la consommation des produits pour lesquels il n’y a pas d’alternative disponible. Une formulation critiquée par les ONG, qui avertissent qu’elle laisse trop de marge d’interprétation aux États membres.

Avant la présentation d’aujourd’hui, Meadhbh Bolger, militante des Amis de la Terre Europe, a estimé que l’absence « d’objectifs de réduction spécifiques à l’échelle de l’UE pour les conteneurs de produits alimentaires et de boissons » posait problème et qu’une révision du texte devrait être faite après trois ans et non après les six ans prévus.

Le vice-président de la Commission, Jyrki Katainen, a expliqué lors de la publication de la proposition qu’un objectif de collecte séparée pour les bouteilles à usage unique s’appliquera effectivement en 2025, égal au « niveau moyen du taux de collecte des systèmes existants [….] de remboursement du dépôt de bouteilles dans l’UE (90 %) ».

Les membres du Parlement européen et du Conseil de l’UE seront désormais en mesure de modifier le texte dans le cadre d’un processus qui durera presque certainement jusqu’à ce que le Royaume-Uni quitte le bloc, ce qui signifie qu’il ne sera pas transposé en droit britannique.

Le ministre britannique de l’Environnement, Michael Gove, a été invité à suivre l’exemple de Bruxelles et à veiller à ce que la Grande-Bretagne s’attaque également à la pollution plastique. La députée verte Caroline Lucas a déclaré au Guardian que « les plastiques à usage unique doivent être éradiqués », mais a averti que le gouvernement britannique n’avait jusqu’à présent fait que des promesses « vagues ».

Influence de l’industrie

Une nouvelle recherche de l’Observatoire de l’Europe industrielle (CEO) juge que les intérêts des industriels ont monopolisé une trop grande partie du temps de la Commission durant la préparation de la stratégie plastique. Selon les données publiées par l’organisation, 92 réunions avec des lobbys ont eu lieu en 2017 sur la stratégie plastique. 76 % d’entre elles impliquaient des représentants des intérêts des entreprises, 17 % des ONG et les 7 % restants d’autres organisations.

La Commission n’a jamais tenté de cacher le fait que la restriction des plastiques à usage unique nécessiterait un engagement fort de la part de l’industrie, mais elle n’aurait pas dû tenter d’obtenir des engagements volontaires des lobbys, estime le CEO.

Une opinion partagée par l’ONG Zero Waste Europe, qui souligne que les mesures volontaires des entreprises « ne devraient en aucun cas remplacer une action politique ».

Ces engagements ont toutefois été consentis. L’association de producteurs Plastics Europe a notamment promis de viser un objectif de 60 % de recyclage des emballages en plastique d’ici 2030.

La plus grande multinationale alimentaire, Nestlé, a pour sa part annoncé le mois dernier qu’elle tenterait de rendre tous ses emballages recyclage ou réutilisables d’ici 2025. Le groupe Hilton a aussi promis d’éliminer les pailles en plastique de ses 650 hôtels d’ici la fin de l’année 2018.

À elle seule, la chaîne Hilton permettra donc d’empêcher que 5 millions de pailles et 20 millions de bouteilles en plastique ne se retrouvent dans les déchets tous les ans. « Mis bout à bout, les pailles ainsi éliminées chaque année en [Europe, au Moyen-Orient et en Afrique] formeraient un trajet plus long que celui de la Seine », assure le groupe.

Gaspillage

La proposition de la Commission s’ajoute aux règles de gestion des déchets qui ont été approuvées par le Conseil le 22 mai. Il s’agit de l’étape finale de la révision des lois existantes, qui comprennent un objectif de recyclage des déchets municipaux de 60 % d’ici 2030 et de 65 % d’ici 2035.

D’autres dispositions comprennent un objectif de réduction des décharges de 10 % pour les déchets ménagers et une obligation pour les États membres de veiller à ce que toutes les matières recyclables ou valorisables ne se retrouvent pas à la décharge. Les règles mises à jour entreront en vigueur 20 jours après leur publication au Journal officiel de l’UE.

La tâche herculéenne du recyclage du plastique

Le plastique neuf est toujours plus utilisé que le recyclé, faute au manque de demande, à un taux de collecte trop bas et à un marché trop fluctuant.

 

Paris s’est félicité de la proposition de la Commission. Brune Poirson, secrétaire d'État à l’Environnement, a assuré que ces propositions étaient « loin d’être anodines » et qu’elles permettront « de mettre fin à l’utilisation du plastique à usage unique pour lequel nous manquons aujourd’hui de solutions. La France, à travers la feuille de route pour l’économie circulaire, s’est engagée dans cette voie. Nous nous réjouissons de prolonger cette ambition à l’échelon européen et travaillons avec la Commission et nos partenaires européens pour éradiquer le fléau des pollutions plastiques, notamment en milieu marin ».

« L’Europe va dans le bon sens et montre aujourd’hui sa capacité à engager des combats structurants. Il n’est plus acceptable de voir émerger un nouveau continent de plastique qui menace tant l’Homme que la biodiversité. Travaillons à l’aboutissement de ces mesures et à l’engagement de chaque pays européen pour les mettre concrètement en œuvre », a renchéri Nicolas Hulot, ministre à l’Environnement.

« Nous nous félicitons de la réponse politique de l'UE à la récente protestation de l'opinion publique sur l'impact des déchets marins sur l'océan. Cependant, le plastique dans nos océans est un problème mondial qui exige également une solution mondiale. Nous encourageons l'UE et ses États membres à soutenir le processus de l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement (UNEA) afin d'éliminer les fuites de plastique dans l'océan et leur demandons d'adopter un ‘Accord de Paris’ pour l’océan », a déclaré Samantha Burgess, responsable de la politique maritime au Bureau des politiques européennes du WWF.

Monica Frassoni et Reinhard Bütikofer, coprésidents du Parti Vert européen, ont indiqué : « Nous saluons le plan de la Commission européenne visant à restreindre sévèrement les plastiques à usage unique et à réduire la pollution plastique en mer.  Nous devons développer une réponse cohérente qui s'attaque aux plastiques au niveau de la production ainsi qu'à la gestion efficace des déchets.  L'ampleur du problème signifie que nous ne pouvons pas compter sur les différents pays européens pour agir et que nous devons plutôt trouver une réponse à l'échelle européenne. »

« La décision de réduire les plastiques est susceptible de recevoir un fort soutien au Parlement européen et nous exhortons les pays membres à suivre et à soutenir les propositions.  Mais l'action exécutive seule ne suffit pas.  Il faut lancer un mouvement citoyen de base capable d'intervenir et de conduire le changement.  Nous croyons que le soutien est là et qu’il ne nous reste plus qu’à nous organiser efficacement », concluent-ils.

Pour Alexandre Dangis, directeur de l'European Plastics Converter, « le moment est mal choisi. Alors que la Commission européenne demande à l'industrie de s'engager à utiliser davantage de matières plastiques recyclées, elle demande également d'interdire certains produits recyclables. Il s'agit d'un signal erroné, qui maintiendra les niveaux de mise en décharge dans l'UE dont nous disposons aujourd'hui si la législation européenne en matière de déchets n'est pas correctement mise en œuvre. On pourrait alors se demander si la Commission est en mesure d'influencer les États membres sur un comportement environnemental approprié, conformément aux directives existantes. Au lieu de cela, la Commission européenne s'attaque à une partie de l'industrie en interdisant des produits. »

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