L’UE doit recourir aux dépenses publiques pour relancer les activités transfrontalières stratégiques et « soulager » les investissements privés qui pourraient autrement être considérés comme trop risqués, a plaidé Eva Maria Poptcheva, eurodéputée et vice-présidente de la commission des Affaires économiques et Monétaires (ECON) du Parlement européen.
Lors d’un entretien accordé à Euractiv, Mme Poptcheva (membre du parti espagnol Ciudadanos), candidate du Parti populaire européen (PPE) de centre droit aux élections européennes de juin après avoir été eurodéputée pour le groupe libéral Renew sous la présente législature (2019-2024), a souligné la nécessité pour l’UE d’augmenter les financements publics afin d’attirer les investissements dans la recherche et le développement ainsi que dans d’autres domaines stratégiques.
« Les véritables investissements stratégiques sont transfrontaliers », a affirmé l’eurodéputée espagnole d’origine bulgare. « Si nous voulons avoir de très grandes usines pour les microprocesseurs, faisons-le. Mais il doit s’agir d’une décision stratégique européenne, et peu importe que ce soit aux Pays-Bas, en France ou ailleurs. »
« Nous croyons en une véritable économie de marché », a-t-elle ajouté. « Ce que nous voulons, c’est que l’investissement public atténue ce problème, de sorte qu’il soit plus facile d’attirer l’investissement privé. »
S’appuyant sur les estimations des hauts fonctionnaires de l’UE et des groupes de réflexion, Mme Poptcheva a suggéré que le « déficit d’investissement » actuel de l’Europe — c’est-à-dire les fonds nécessaires pour faciliter les transitions écologique et numérique et stimuler de manière adéquate les dépenses de défense — s’élève à plus de 750 milliards d’euros par an, soit près de 5 % du PIB annuel de l’UE.
« [Cela] équivaudrait essentiellement à avoir besoin d’un Next Generation EU par an », a-t-elle expliqué, en référence au plan de relance post-pandémie de l’Union doté de 723,8 milliards d’euros.
Mme Poptcheva a toutefois critiqué le fonctionnement actuel du plan de relance, qui devrait expirer en 2026, reprochant le fait que les fonds soient alloués au niveau national plutôt qu’européen. Cela implique que les États membres demandent des financements pour des projets nationaux et se chargent ensuite de leur mise en oeuvre exclusivement sur leurs territoires.
« Il n’est pas possible de contracter une dette commune que l’on répartit entièrement au niveau national, car ce n’est pas stratégique », a-t-elle soutenu.
Elle a également déclaré que, malgré son importance « historique », la Facilité pour la reprise et la résilience « n’a pas modernisé les économies [européennes] comme elle était censé le faire ».
Par ailleurs, l’Espagne, deuxième bénéficiaire national de ces fonds de relance après l’Italie, aurait très certainement encore besoin de l’aide financière d’autres États membres si elle était frappée par une autre crise.
« Je pense que l’on oublie oublie parfois que [le programme] n’intègre pas seulement la notion de « reprise », mais aussi »résilience » », a-t-elle déclaré, ajoutant qu’elle pense que « la partie résilience a été négligée ».
Faire les choses « à l’européenne »
Mme Poptcheva a souligné à plusieurs reprises que pour combler le déficit d’investissement de l’Europe, une grande contribution du secteur privé sera nécessaire.
De plus, elle a souligné que l’intégration plus poussée de l’Union des marchés de capitaux (UMC) — qui a fait l’objet d’une attention accrue de la part des dirigeants de l’UE ces derniers mois — sera essentielle pour mobiliser les flux de financement privé nécessaires.
« Il est impossible de combler ce type de déficit d’investissement uniquement grâce à l’investissement public », a-t-elle déclaré. « [Avec] l’investissement privé, il n’y a pas de solution magique. Nous savons tous que nous n’avons fondamentalement pas d’Union des marchés capitaux [mais aussi que c’est] la seule et unique solution. »
L’eurodéputée a toutefois condamné le « manque de volonté politique » et de « vision » des dirigeants européens qui n’ont pas réussi à faire avancer l’UMC depuis son annonce en 2015.
Elle a également critiqué les États membres qui tentent de « s’accrocher au passé » plutôt que d’essayer de nouvelles approches.
Mme Poptcheva a fait remarquer qu’elle a été témoin de l’inertie bureaucratique lorsqu’elle a travaillé en tant que rapporteure fictive de Renew sur la législation sur la cotation en bourse. Cette mesure intégrée au paquet sur l’UMC, vise à simplifier l’accès au financement privé pour les petites et moyennes entreprises (PME) en facilitant leur introduction en bourse.
L’une des préoccupations majeures des décideurs politiques concernant l’UMC est la tendance durable des start-ups européennes à chercher des capitaux à l’étranger pour leur expansion.
Ces dernières affirment : « Nous avons toujours fait ainsi ou nous avons peur de faire comme les Européens », a expliqué l’eurodéputée.
Elle s’est toutefois montrée optimiste quant aux perspectives de collaboration avec ses nouveaux collègues du PPE après les élections de juin, dans le cadre d’un mandat législatif qui devrait être fortement favorable aux entreprises.
Son changement de groupe, a-t-elle expliqué, a été déclenché par sa récente décision et celle de deux autres eurodéputés espagnols de passer du parti libéral Ciudadanos au Partido Popular de centre droit.
« Nous avons travaillé ensemble sur beaucoup de choses », a-t-elle indiqué. « Il était donc très clair pour nous qu’il s’agissait d’une coopération qui pouvait fonctionner, car nous avons très bien travaillé ensemble ces cinq dernières années. Il était donc tout à fait naturel pour nous de nous unir. »
Concernant la situation politique interne en Espagne, où elle a vu une tendance « autoritaire » croissante de la part du gouvernement de gauche du Premier ministre Pedro Sánchez (Parti socialiste-ouvrier espagnol, PSOE), Mme Poptcheva voit plus de valeur dans la participation à une opposition proactive formée par « tous les constitutionnalistes espagnols ».
« Compte tenu du contexte [actuel], il est extrêmement important que nous construisions un front constitutionnel fort […] et que nous soyons très unis. Et cela sera également extrêmement important au sein de l’Union européenne. »
[Édité par Anne-Sophie Gayet]