Bien qu’officiellement introduit le 1er janvier 1999, l’euro est devenu une réalité tangible pour la plupart des Européens au 1er janvier 2002, lorsque les premières pièces et les premiers billets ont été mis en circulation.
Les six graphiques suivants sont des aperçus de l’histoire de la monnaie européenne avec quelques-uns de ses succès, de ses défauts et de ses absurdités.
1. Combien y a-t-il d’espèces en circulation ?
En novembre 2021, un total de 27 640 019 753 billets en euros d’une valeur totale de 1519 milliards d’euros étaient en circulation, selon la Banque centrale européenne (BCE). En outre, 141 milliards de pièces, d’une valeur totale de 31 milliards d’euros, ont circulé dans les portefeuilles, les caisses enregistreuses des supermarchés, les poches de pantalon et sous les coussins des canapés.
Même si les consommateurs sont de moins en moins nombreux à payer en espèces, la quantité de billets en euros en circulation a augmenté, et cette croissance s’est même accélérée au cours des deux dernières années. Les chercheurs de la Banque centrale européenne ont souligné que les billets en euros étaient de plus en plus utilisés comme réserve de valeur, tant au sein de la zone euro qu’en dehors de celle-ci, en lien notamment avec la crise provoquée par la pandémie.
« Une explication possible […] est que, pendant la crise, les gens se sont tournés vers l’argent liquide comme un outil pour gérer l’incertitude », a soutenu Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE.
« L’accélération de la numérisation ne signifie pas la fin de l’argent liquide de sitôt », a-t-il ajouté.
Même la quantité de pièces en euros en circulation continue d’augmenter. La pièce la plus nombreuse est la pièce de 1 cent, avec 38 milliards de pièces d’une valeur de 380 millions d’euros en circulation. Si elles étaient toutes empilées les unes sur les autres, cette fine tour atteindrait 63 460 km dans l’espace, soit environ un sixième du chemin vers la lune.
2. Le bilan de la BCE comme manuel
L’histoire de l’euro a été courte mais mouvementée : La grande récession de 2008, la crise de la zone euro de 2010, les pressions déflationnistes de 2015-2019 et la pandémie ont toutes laissé des traces dans le bilan de la BCE.
L’effet cumulé des réactions de la BCE à ces événements a conduit à une multiplication par neuf des actifs figurant au bilan de la BCE entre 1999 et 2021. En outre, l’évolution de la composition du bilan de la BCE montre les différentes manières dont le gardien de l’euro a réagi aux défis de l’époque.
Par exemple, la catégorie « Prêts en euros aux établissements de crédit de la zone euro » (en bleu sur le graphique) montre comment la BCE a eu recours aux opérations de refinancement à long terme (LTRO) lors des crises. En 2008, 2012 et 2020, la BCE a accordé aux banques européennes des prêts bon marché au moyen de ces opérations de refinancement à long terme afin que les banques continuent à prêter à l’économie réelle.
La hausse de la catégorie « Titres de résidents de la zone euro » (en vert sur le graphique) montre le début du programme d’assouplissement quantitatif (QE) au début de 2015.
Alors que la zone euro risquait de tomber en déflation, la BCE, sous la direction de son président de l’époque, Mario Draghi, a commencé à acheter massivement des obligations d’État et des titres d’entreprises. L’objectif était de maintenir des conditions de financement attractives pour les investissements productifs afin qu’une économie européenne plus dynamique vienne contrecarrer les pressions déflationnistes.
Les achats d’actifs s’étaient arrêtés pendant un certain temps en 2019, puis ont repris pour atteindre un total de plus de 3 200 milliards d’euros fin 2021.
3. La domination durable du dollar américain
L’un des objectifs de l’euro était de contester la domination mondiale du dollar américain en tant que monnaie de réserve. Bien que l’euro se soit rapidement imposé comme la deuxième monnaie la plus importante au monde, avec environ 21 % des réserves de change mondiales libellées en euros aujourd’hui, il est encore loin de contester le rôle du dollar américain.
Par rapport au début de son histoire, le rôle de l’euro semble aujourd’hui avoir diminué. Début 2010, l’euro représentait 27 % des réserves de change mondiales.
En outre, la majorité des échanges internationaux qui ne se font pas entre pays de l’UE sont libellés en dollars américains (USD). Les États-Unis disposent ainsi d’un levier géopolitique, puisqu’ils peuvent interdire à des pays, des entreprises ou des particuliers d’effectuer des transactions ou de détenir des actifs libellés en USD, les excluant ainsi du système commercial mondial.
L’UE a ressenti cette domination américaine durable lorsque les États-Unis se sont retirés de l’accord nucléaire avec l’Iran et ont appliqué unilatéralement des sanctions économiques sévères. Le renforcement du rôle international de l’euro est donc l’une des conditions préalables à une plus grande autonomie stratégique de l’UE.
4. Comment l’Allemagne a obtenu ce qu’elle voulait, partie 1
Les considérations relatives aux conséquences politiques des monnaies ont toujours été au premier plan de la réflexion française sur l’euro. Le gouvernement français souhaitait être moins dépendant des États-Unis et voulait également contrer la domination allemande en Europe.
Lorsque l’Allemagne a voulu se réunifier, le gouvernement français a accepté, mais à la condition qu’une monnaie commune soit créée, afin de limiter la domination allemande.
De nombreux Allemands craignent de perdre une banque centrale indépendante comme principale institution monétaire, ce qui pourrait alors conduire à l’inflation. Le spectre de l’hyperinflation de la République de Weimar étant toujours présent dans la mémoire allemande, Berlin s’est assuré de faire de la stabilité des prix l’objectif principal d’une Banque centrale européenne indépendante.
Et cela semble avoir fonctionné du point de vue allemand, bien que l’inflation soit également restée faible en raison de facteurs autres que l’indépendance de la banque centrale. L’inflation en Allemagne est restée très faible après l’introduction de l’euro.
En 2021, une forte hausse de l’inflation (non visible sur le graphique ci-dessus) a ravivé les craintes que l’inflation puisse devenir hors de contrôle. Les politiciens allemands se sont empressés de blâmer les faibles taux d’intérêt de la BCE.
Cependant, l’inflation actuelle liée à la pandémie trouve son origine dans les prix élevés de l’énergie et d’autres difficultés de la chaîne d’approvisionnement sur lesquels la BCE n’a que peu d’emprise directe.
5. Comment l’Allemagne a obtenu ce qu’elle voulait, partie 2
Si l’Allemagne a obtenu ce qu’elle voulait en termes d’indépendance de la banque centrale et d’inflation contrôlée, la France a-t-elle au moins réussi à rééquilibrer le pouvoir économique en Europe ?
Pas vraiment.
Sans l’euro, le Deutschmark allemand aurait dû prendre en valeur suite aux bonnes performances économiques de l’Allemagne. En tant que membre de la zone euro, cependant, l’industrie exportatrice allemande a profité d’une monnaie relativement bon marché.
En même temps, d’autres industries européennes ont souffert d’une monnaie relativement chère, les rendant moins compétitives sur les marchés mondiaux.
Ce déséquilibre est le plus visible dans la balance des comptes courants des pays de la zone euro. L’Allemagne avait un excédent de la balance courante de 230 milliards d’euros même en 2020, lorsque la pandémie a perturbé le commerce mondial. Elle exportait donc beaucoup plus de biens qu’elle n’importait.
En même temps, la France affichait un déficit de sa balance commerciale de 44 milliards d’euros. Le fait que les pays moins productifs ne puissent pas dévaluer leur monnaie pour compenser leur désavantage concurrentiel a entraîné des problèmes sociaux, principalement en Europe du Sud. Ces pays de la zone euro ne pouvaient espérer rester compétitifs qu’en réduisant le coût de la main-d’œuvre, entrainant une baisse des salaires ou de la protection sociale.
Le problème est exacerbé par le fait que l’Allemagne n’a pas investi ou dépensé son excédent, ce qui aurait soutenu l’économie de l’ensemble de la zone euro.
6 — Où sont les ponts que l’on voit sur les billets en euros ?
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi vous n’avez jamais traversé les ponts représentés sur les billets en euros ?
La raison en est qu’ils sont fictifs. Ou du moins, ils l’étaient autrefois.
Initialement, le concepteur du billet avait proposé de représenter de vrais ponts, comme le pont du Rialto à Venise. Toutefois, afin d’éviter les querelles politiques sur les ponts de tel ou tel pays devant figurer sur le billet, la BCE a préféré opter pour des modèles de ponts stylisés représentant une certaine époque architecturale plutôt que de véritables exemplaires.
En 2011, cependant, la ville néerlandaise de Spijkenisse a saisi l’opportunité marketing d’être la seule ville européenne représentée sur les billets en euros en construisant réellement les sept ponts sur ses canaux.
L’effet de l’appropriation a posteriori des ponts sur les billets par Spijkenisse pourrait toutefois bientôt s’estomper. En décembre, la BCE a annoncé qu’elle était à la recherche d’un nouveau graphisme pour les billets en euros. Une décision sur le nouveau dessin est attendue en 2024.