Le nouveau gouvernement italien projette de laisser filer son déficit, ce qui inquiète déjà Bruxelles.
Pierre Moscovici, commissaire en charge des affaires économiques, dit souvent que les représentants politiques doivent être populaires et non populistes. Avec l’accord entre le Mouvement 5 étoiles de Luigi Di Maio et la Ligue du Nord de Matteo Salvini, le commissaire risque de devoir faire face à la seconde option à la tête de l’Italie. Et les conséquences économiques vont vite s’annoncer sérieuses.
Certes, certaines des propositions les plus controversées, comme l’effacement de 250 milliards d’euros de la dette italienne et la possibilité pour le pays de quitter l’euro, ont été supprimées de l’accord de gouvernement. Et la revendication d’une « souveraineté monétaire » a finalement laissé place à une demande vague de « renégociation des traités européens », faisant ainsi écho à la révision du pacte de stabilité et de croissance déjà réclamée par Matteo Renzi par le passé.
Mais les deux partis entendent maintenir un taux d’imposition uniforme (15 % pour les entreprises et pour les familles, avec quelques exceptions) et un salaire minimum de 780 € par mois, deux mesures qui pourraient contribuer à creuser le trou budgétaire projettté à 100 milliards d’euros par an.
Or l’Italie est déjà dans l’impasse. Sa dette publique (132 % du PIB) et son faible taux de croissance (en moyenne -0,6 % entre 2006 et 2016) talonnent la Grèce. Son système bancaire est celui qui détient le plus de créances douteuses (173 milliards d’euros en décembre dernier) dans la zone euro.
Bruxelles fourbit ses armes, à commencer par des avertissements. Le premier pourrait avoir lieu rapidement, lorsque Pierre Moscovici présentera l’avis de la Commission sur les budgets nationaux.
L’exécutif européen n’a pas eu le temps d’évaluer en détail le programme économique du nouveau gouvernement puisque celui-ci a été finalisé après la date butoir.
Les dirigeants européens ont déjà montré jusqu’où ils étaient prêts à aller face à l’Italie pour sauver l’euro. À Cannes en novembre 2011, alors que la Grèce était à deux doigts de quitter l’euro, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy s’étaient mis d’accord sur le renflouement de l’Italie. Toute autre issue « aurait été catastrophique », avait alors commenté José Manuel Barroso, président de la Commission à l’époque. Le calme avait été rétabli quand l’UE avait imposé la démission de Silvio Berlusconi et l’adoption d’un programme d’austérité.
Cette fois-ci, le gouvernement italien risque non seulement de déstabiliser l’économie de la zone euro au moment où sa croissance montre des signes de faiblesse, mais il montre aussi que la dynamique politique à l’égard d’un renforcement de l’union économique et monétaire est terminée.
Les discours ambitieux et les promesses des sommets de Bratislava, Rome et Bruxelles n’ont débouché sur aucune action concrète. L’élan d’Emmanuel Macron n’a même pas réussi à leur donner vie.
Le président français a donné de l’espoir mais encore peu de résultats.
Le principe d’une union encore plus intégrée est mort et enterré », a déclaré le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, lors du forum de Davos en janvier de l’année dernière.
La décision des Britanniques de quitter l’UE aurait dû déclencher l’alarme en Europe. Pourtant, cet avertissement a été ignoré dans d’autres coins où des batailles cruciales étaient en cours. « Vous sous-estimez l’importance du Brexit », répétait Bill Clinton aux responsables de campagne de sa femme Hillary, à quelques semaines des élections américaines.
« On pourrait faire de la domestication en utilisant la carotte et le bâton, et je pense que cette dernière solution sera la plus utilisée », estime une source européenne.
Le cas grec montre cependant qu’apprivoiser un nouveau gouvernement peut être compliqué. La situation est même plus critique pour l’Europe qu’en 2015, lors de la conclusion du troisième accord de sauvetage de la Grèce. Dans les quelques mois à venir, les États membres devront faire face à la fin des négociations du Brexit et au bouclage du prochain budget à long terme, ainsi qu’à la campagne électorale pour les européennes, qui auront lieu en mai 2019.
Au Parlement, la situation italienne est envisagée avec « inquiétude », selon un représentant, qui exclut cependant la possibilité d’une victoire des partis eurosceptiques et xénophobes aux prochaines européennes. Et ce, malgré le triomphe de Marine Le Pen en 2014, la montée en puissance de l’AfD lors des élections allemandes de septembre dernier et la multiplication des forces eurosceptiques et populistes au nord et à l’est de l’Europe.
« Il y aura un Parlement plus ouvert et pluraliste, avec probablement un seul grand groupe, le PPE ; la chute des socialistes, notamment à cause du départ des travaillistes britanniques ; une augmentation possible du nombre d’élus libéraux, grâce à Emmanuel Macron et à Ciudadanos en Espagne ; et il reste à voir ce qu’il arrivera à l’extrême droite, vu qu’il n’y aura plus ni Marine Le Pen ni Nigel Farage », explique-t-il.