Alors que les institutions européennes s’apprêtent à réglementer l’industrie des cryptomonnaies, les législateurs européens sont sujets à un niveau sans précédent de harcèlement en ligne. Deux députées européennes sont particulièrement visées par les défenseurs majoritairement masculins des cryptomonnaies.
Si le cyberharcèlement par les prétendus « crypto bros » a déjà posé problème auparavant, il a atteint un nouveau degré de fièvre la semaine dernière, lorsque la Commission des Affaires économiques et la Commission des Libertés civiles du Parlement européen ont discuté d’une modification des règles de lutte contre le blanchiment d’argent afin de rendre plus difficile l’utilisation des cryptomonnaies dans le but de contourner ces règles.
« Toute ma vie, j’ai travaillé pour lutter contre le crime et j’ai reçu beaucoup de menaces », a déclaré à EURACTIV Assita Kanko, co-rapporteure du Parlement européen sur cette question. « Mais cela n’a rien à voir avec ce que j’ai déjà vu auparavant », a-t-elle ajouté.
Le harcèlement comprenait des insultes sexistes et racistes ainsi que des menaces de violence, a indiqué Mme Kanko, mentionnant que son enfant avait vu certains des messages et en était très bouleversé.
« Je suis choquée. Ils essaient de m’enlever ma légitimité en tant que personne compétente sur la base de mon genre et de la couleur de ma peau », a indiqué Mme Kanko?
Mme Kanko, qui fait partie du groupe de droite des conservateurs et réformistes européens au Parlement européen, ne se considère pas comme une détractrice des cryptomonnaies. « Les cryptomonnaies ne sont pas nécessairement une mauvaise chose. Les gens sont libres d’utiliser ce qu’ils veulent », a-t-elle déclaré.
Cependant, elle a fait valoir que les cryptomonnaies ne devraient pas être utilisées pour des activités criminelles, et c’est pourquoi des règles sont nécessaires.
De nouvelles exigences de vérification pour lutter contre le blanchiment d’argent
Selon les nouvelles exigences convenues par les deux commissions parlementaires le 31 mars, les transferts de crypto-actifs devront inclure des informations sur la source de l’actif ainsi que sur son bénéficiaire. Ces informations doivent également être mises à la disposition des autorités publiques compétentes.
En outre, ces règles couvriraient également les portefeuilles dits « non hébergés », ce qui signifie que les exigences de vérification s’appliqueraient également aux crypto-actifs stockés localement, par exemple sur l’ordinateur du propriétaire.
La communauté des cryptomonnaies craint que les sociétés de cryptomonnaies ne soient obligées de refuser des transactions avec des portefeuilles non hébergés, car elles n’auront aucun moyen de vérifier leur identité. Même si elles le pouvaient, les exigences en matière de déclaration et de vérification sont jugées disproportionnées.
L’eurodéputée socialiste Aurore Lalucq a en revanche soutenu que la réglementation était nécessaire.
« Les flux financiers entre les banques sont pistés. On sait qui est derrière eux. Pour les actifs en cryptomonnaies, ce n’est pas encore le cas », a-t-elle déclaré à EURACTIV, affirmant qu’il restait beaucoup à faire dans la réglementation du marché des cryptomonnaies puisque tout grand marché a besoin de règles.
Elle aussi a été la cible de harcèlement en ligne depuis qu’elle a appelé à la régulation du marché de la cryptomonnaie dans un tweet l’année dernière. Un compte Twitter qui semble avoir été créé uniquement l’été dernier pour l’attaquer sur la base de ses positions politiques en matière de réglementation des cryptomonnaies a déjà rassemblé plus de 11 000 abonnés.
Traitée de terroriste pour avoir proposé une régulation financière
Mme Lalucq subit régulièrement ce qu’elle appelle des « raids » de la part d’enthousiastes des cryptomonnaies qui la critiquent et l’insultent souvent de manière très coordonnée, en utilisant le même type d’éléments textuels.
Depuis que certains influenceurs de la cryptomonnaie ont critiqué Mme Lalucq pour certains amendements qu’elle avait proposés à la réglementation la semaine dernière, l’acharnement à son encontre s’est intensifié.
Selon elle, le contenu et la quantité d’attaques qu’elle reçoit de la part de la communauté des cryptomonnaies sont différents des critiques ou du lobbying dont elle a fait l’objet dans d’autres domaines politiques.
Certains tweets l’ont qualifiée de « fasciste », d’autres l’ont comparée à un terroriste, d’autres encore l’ont insultée dans un langage extrêmement vulgaire et sexualisé.
« C’est massif », a-t-elle déclaré, soulignant que c’était un environnement très masculin.
« Il y a très peu de femmes, et vous pouvez le voir dans les commentaires. Ils sont très sexistes, pour ne pas dire misogynes », a déclaré Mme Lalucq à EURACTIV.
Un débat pour toute la société, pas uniquement pour les experts.
L’un des points de critiques formulés à l’encontre des législateurs était que le sujet était trop complexe pour que les législateurs le comprennent. Mme Lalucq a toutefois maintenu que la complexité technique n’était pas une raison pour fuir le débat. « Nous ne devrions pas exclure la société de ce débat », a-t-elle déclaré.
L’envie de fermer ce débat essentiel par certains amateurs de cryptomonnaie est également constatée et regrettée par Mme Kanko. « J’aime discuter des implications politiques de l’industrie de la cryptomonnaie en personne. Mais eux se cachent derrière leurs écrans », a-t-elle déclaré à EURACTIV.
Alors que le secteur des crypto-monnaies se développe, l’attention du public ainsi que celle des régulateurs ne peut qu’augmenter également à son égard. À côté des préoccupations relatives au blanchiment d’argent, certains s’inquiètent également des risques pour la stabilité financière posés par l’émergence des cryptomonnaies. L’ancien Directeur général de la BCE, Aurel Schubert, a par exemple comparé le bitcoin à une Pyramide de Ponzi, en mars dernier.
Les mesures approuvées par les deux commissions parlementaires la semaine dernière doivent encore être validées par l’ensemble du Parlement européen et par les gouvernements des États membres pour pouvoir entrer en vigueur.