Les députés ont adopté jeudi soir (10 juin) la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. Par voie d’amendement, le gouvernement a réussi à réintroduire la redevance « copie privée » pour les appareils reconditionnés, point de discorde principale dans le texte, du reste, plutôt consensuel.
La question fait couler beaucoup d’encre depuis plusieurs mois : faut-il assujettir les produits reconditionnés à la redevance « copie privée » ? S’ils n’étaient pas concernés jusqu’alors, Copie France, l’organisme en charge de la collecte avec le soutien du ministère de la Culture, comptait bien mettre fin à cette exemption.
Concrètement, la redevance copie privée (RCP) permet de dédommager tous les auteurs, artistes et éditeurs pour l’utilisation massive et gratuite de leurs œuvres (musiques, films, livres, etc.) que les appareils tels que les téléphones ou tablettes par exemple permettent de stocker. Elle a représenté 273 millions d’euros en 2020.
Deux visions s’affrontaient : une exonération totale, défendue par les acteurs de l’industrie du reconditionnement et le secrétariat d’État au Numérique, de concert avec le ministère de la Transition écologique, ou un barème indifférencié avec les produits neufs, soutenu par le ministère de la Culture, les artistes — qui l’ont fait savoir récemment dans une tribune du Journal du Dimanche — et les ayant-droits.
Fin février, EURACTIV avait appris que l’arbitrage était revenu au Premier ministre Jean Castex qui s’est prononcé en faveur d’un barème réduit, sur lequel a travaillé la Commission pour la rémunération de la copie privée et qu’elle a présenté début juin.
Mais c’était sans compter sur les sénateurs, à l’initiative de cette proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique, qui ont souhaité inscrire dans la législation que la « rémunération pour copie privée n’est pas due non plus lorsque les supports d’enregistrement sont issus d’activités de préparation à la réutilisation et au réemploi de produits ayant déjà donné lieu à une telle rémunération » (article 14 bis).
Une disposition pas au goût du gouvernement qui a ainsi déposé un amendement, finalement adopté en plénière, qui réinstaure cette redevance et précise que « la rémunération due doit être spécifique et différenciée de celle établie pour les supports d’enregistrements neufs de même nature ».
Le gouvernement a par ailleurs avancé que ne pas prévoir de redevance pour copie privée pour les produits reconditionnés contreviendrait l’impératif de compensation équitable des titulaires de droits prévue dans le droit européen (directive 2001/29/CE du 22 mai 2001).
Dans les faits, le barème spécifique retenu pour les produits reconditionnés prévoit une décote de 35 % sur les tablettes et de 40 % sur les smartphones. Un smartphone reconditionné avec 64 Go de mémoire, par exemple, sera assujetti à hauteur 7,20 euros contre 12 euros pour un appareil équivalent neuf.
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S’il s’agit du point le plus controversé, dans un texte globalement très consensuel, c’est que « l’impact environnemental du numérique est à 70 % représenté par le renouvellement des terminaux », comme l’a rappelé le rapporteur pour la Commission du développement durable Vincent Thiébaut (La République en marche) en début de séance. Sans compter que les enjeux économiques sont importants.
« Il ne s’agit pas d’opposer culture et écologie », a souligné en amont de la discussion le député Yannick Haury (La République en marche) tandis que Virginie Duby-Muller (Les Républicains) appelait ses collègues à faire preuve de « bon sens », arguant qu’on « ne taxe pas deux fois un produit ». « Le reconditionné fonctionne bien en France et permet de faire fonctionner des pépites numériques comme BackMarket », a-t-elle ajouté.
Petite victoire pour les opposants à l’amendement du gouvernement, les députés ont adopté un sous-amendement qui prévoit d’exclure les appareils reconditionnés issus de l’économie sociale et solidaire de son champ d’application.
De nombreuses mesures plus consensuelles
Mais le texte va bien au-delà de la seule question de la RCP. Il fait notamment échos aux axes présentés en février dernier dans la feuille de route du gouvernement à ce sujet : mesurer, sensibiliser et innover.
L’article 1 prévoit par exemple que les écoles incluent dans leur programme « une sensibilisation à l’impact environnemental des outils numériques ainsi qu’un volet relatif à la sobriété numérique ».
« Une fois que les habitudes sont là, c’est difficile de s’en défaire », explique Thomas Mesplede, chargé de mission Alliance Green IT, un groupement de professionnels « pour un numérique éco-responsable ». « On ne voit pas tous les déchets, tout ce qui a été nécessaire à la fabrication d’un smartphone ou d’un ordinateur », précise-t-il à EURACTIV, se réjouissant ainsi que la loi souhaite davantage éduquer à ces enjeux. L’association avait par ailleurs été auditionnée par les législateurs et avait défendu cette sensibilisation et, plus largement une certaine sobriété numérique. « Le numérique est aujourd’hui la seule industrie pour laquelle les consommations de données sont illimitées », note M. Mesplede.
La loi prévoit également la création d’un « Observatoire des impacts environnementaux du numérique » rattaché à l’Agence de la transition écologique (Ademe) et à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ainsi que plusieurs mesures pour inciter les centres de données et des réseaux à devenir moins énergivores.
Enfin, l’État veut montrer l’exemple. Les achats de produits numériques pour ses services et pour les collectivités territoriales devront prendre en compte l’indice de réparabilité (à partir de 2023) et l’indice de durabilité (à partir de 2026). Le matériel informatique dont les administrations veulent se séparer devra également être « orientés » vers le réemploi et la réutilisation.