Après deux ans de travaux et d’intenses tractations, les États membres épinglent 17 paradis fiscaux dans une liste noire succinte.
Ils sont 17 pays à avoir été retenus sur la liste noire des pays qui ne coopèrent pas avec l’UE sur les questions fiscales et qui seront donc considérés comme des paradis fiscaux. Cette série est complétée d’une « liste grise » de 47 pays dont la fiscalité n’est pas conforme aux normes européennes, mais qui se sont engagés à la changer, d’ici fin 2018 pour les pays développés et d’ici fin 2019 pour les pays en développement.
L’objectif de la liste est d’encourager « la bonne gouvernance dans le monde entier, afin de maximiser les efforts visant à prévenir la fraude et l’évasion fiscales », dans le cadre de la stratégie extérieure du Conseil en matière de fiscalité.
L’initiative, menée de concert avec l’OCDE et le G20, a déjà fait ses preuves, assure Toomas Tõniste, ministre estonien des Finances, puisque « de nombreux pays se sont efforcés de respecter le délai fixé pour prendre des engagements sur la base de nos critères ».
« Il ne s’agit pas d’un processus ponctuel », poursuit-il. « Nous réviserons et mettrons régulièrement à jour la liste dans les années à venir. Notre objectif est de faire en sorte que la bonne gouvernance fiscale devienne la nouvelle norme. »
Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission, assure que l’exécutif suivra de près les progrès des pays de la liste grise. Et s’ils ne respectent pas leurs engagements, « ils finiront sur la liste noire ».
Le commissaire ne cache pas lui aussi une certaine déception quant à la décision du Conseil. Sur twitter, il indique qu’il aurait préféré des mesures plus fortes et espère que celles-ci verront le jour en 2018.
La décision de publier cette liste noire a été prise en novembre 2016, suite aux multiples scandales des Luxleaks et des Panama papers, par exemple, et aux appels à plus de justice fiscale. Le Conseil avait alors établi trois critères : la transparence (échange automatique d’information), l’équité (absence de mesures préférentielles nuisibles) et l’application des mesures de l’OCDE contre l’optimisation fiscale agressive.
Il a ensuite fallu un an d’enquêtes et de tractations entre pays pour aboutir à cette liste. Elle est bien plus fournie que celle qui avait été publiée cet été par l’OCDE et qui ne contenait qu’un nom : Trinidad-et-Tobago. Pourtant, elle ne fait pas encore l’unanimité.
Sue la liste de l’UE, on retrouve le Bahreïn, la Barbade, la Corée du Sud, les Émirats arabes unis, Grenade, Guam, Macao, les îles Marshall, la Mongolie, la Namibie, les Palaos, Panama, Sainte-Lucie, les îles Samoa et les Samoa américaines, Trinité-et-Tobago et la Tunisie.
Critères de sélection
Les militants pour la justice fiscale s’indignent en effet qu’aucune enquête n’ait porté sur les États membres. Pour eux, le Luxembourg, l’Irlande, Malte et les Pays-Bas ne respectent en effet pas les règles européennes et devraient de ce fait figurer au rang des paradis fiscaux.
« La liste ne peut pas se limiter à des pays tiers, mais doit comprendre certaines juridictions européennes », déclare ainsi Markus Ferber, vice-président de la commission économique du Parlement européen, dans un communiqué de presse.
Alain Lamassoure, eurodéputé PPE, pense aussi que la liste est un peu courte. Mais pour lui, « la grande nouvelle du jour est l’accord de l’Irlande pour faire payer 13 milliards d’arriérés d’impôts à Apple. C’est une victoire majeure dans la lutte contre les folies de l’optimisation fiscale mondiale ».
De son côté, l’ONG Transparency International regrette que les critères de sélection des pays épinglés et les tractations entre États pour savoir ce qui constituait ou non une pratique à condamner aient été aussi secrets.
« Pour que cette liste noire soit efficace, le Conseil doit faire preuve de transparence sur le processus de sélection en divulguant la manière dont il a sélectionné les juridictions, ainsi que les procès-verbaux et documents des négociations entre l’UE et les territoires qui ont été soumis au processus de sélection », assure Elena Gaita, chargée de mission pour la responsabilité des entreprises au sein de Transparency International Europe.
Principe de sanction
Pour que cette liste ait des effets pratiques, il est nécessaire de changer la manière dont l’UE traite ces États. Les pays figurant sur la liste noire pourraient se voir privés de fonds européens, et d’autres sanctions pourraient venir, a annoncé Bruno Le Maire, ministre français des Finances.
« Le principe des sanctions est acquis », a-t-il assuré, après la réunion. « J’ai également demandé ce matin à la Commission […] que nous définissions maintenant rapidement quelles sont les sanctions qui vont concerner ces 17 États. »
Pour lui, « ces sanctions sont aussi une question de crédibilité pour l’Union européenne ».
Une opinion partagée par Pierre Moscovici, commissaire aux affaires financières et économiques. « L’adoption de la toute première liste noire des paradis fiscaux de l’UE marque une victoire décisive pour la transparence et l’équité, mais le processus ne s’arrête pas là », a-t-il souligné. « Nous devons intensifier la pression sur les pays inscrits sur la liste pour qu’ils changent de voie. Les juridictions inscrites sur les listes noires doivent faire face aux conséquences sous la forme de sanctions dissuasives, tandis que celles qui ont pris des engagements doivent en assurer un suivi rapide et crédible. Il ne doit pas y avoir de naïveté : les promesses doivent être transformées en actes. »