Cet article fait partie de l'édition spéciale Le plan de relance Européen et le secteur agricole.
Le Plan Stratégique National (PSN) de la France est en cours d’examen par la Commission européenne. Mais alors que la nouvelle PAC va entrer en vigueur l’année prochaine après de longues négociations au Parlement européen, les avis divergent sur son ambition environnementale.
Sur les 40 milliards d’euros que va recevoir la France au titre du plan de relance européen NextgenerationEU, seule une petite partie est consacrée directement au secteur agricole. Deux stratégies vont être soutenues : le plan Protéine à hauteur de 200 millions d’euros et le plan Reforestation pour un montant de 100 millions d’euros.
« En terme de montant, c’est relativement bas puisqu’on est autour d’1 % du plan de relance environ, jusqu’à 5 à 6 % si on inclut le développement rural, » souligne Carole Labbé, analyste de données économiques à la représentation de la Commission européenne en France.
Première explication : l’hexagone est le premier bénéficiaire de la Politique Agricole Commune (PAC). Le plan de relance a d’ailleurs accordé à cette politique une rallonge en 2020 et 2021. En tout, 8 milliards d’euros pour le développement rural dont la France a perçu 10 %.
La PAC repose sur deux piliers. Le premier vient en soutien aux revenus agricoles et représente plus de 70 % du budget de cette politique ; le second est tourné vers l’aide au développement rural.
« C’est le second pilier qui aurait été affecté si le plan de relance n’avait pas été là alors que c’est ce pilier qui aide à soutenir les transitions écologiques » avance Benoît Biteau, eurodéputé, membre de la commission de l’Agriculture et de Développement durable (AGRI). « Mais maintenant, la question, c’est de savoir si on relance ou si on transforme ? Je ne peux pas m’empêcher de regarder ce que nous disent les derniers rapports de la Cour des comptes qui sont plutôt accablants sur l’utilisation qu’on fait de la PAC. »
Relance agroécologique
Durement négociée, la nouvelle PAC va entrer en vigueur en 2023. Eleveur laitier en Vendée, Mathieu Courgeau, préside également la plateforme « Pour une autre PAC » qui milite pour une politique agricole plus ambitieuse sur le plan écologique. « Nous ce qu’on constate, c’est que le plan de relance a plus servi à boucher les trous qu’à accélérer la transition écologique, » assène-t-il. « La dotation est insuffisante sur le deuxième pilier. »
Mais pour ce qui est du premier pilier, la réforme de la PAC introduit une mesure environnementale nouvelle : les fameux éco-régimes. Il s’agit d’une aide au revenu censée rémunérer les agriculteurs pour la mise en œuvre de pratiques vertueuses.
« Le choix français fait par l’éco-régime va exclure dans un premier temps un quart des agriculteurs qui ne pourront pas avoir les aides de la PAC comme avant » avance Arnold Puech d’Alissac, membre du syndicat agricole FNSEA. « Ce n’est pas une révolution. Malgré tout, c’est une PAC qui fait évoluer. »
Sur ce point, les avis divergent. En 2014, la PAC avait été verdie. Mathieu Courgeau estime que le nouveau système en vigueur à partir de l’année prochaine va léser les agriculteurs qui étaient déjà engagés dans des pratiques plus écologiques.
« C’est vraiment vécu comme une injustice dans les campagnes, pour tous les agriculteurs qui sont engagés depuis des années pour faire efforts environnementaux. Ceux-là ne seront pas récompensés, ils auront juste l’éco-régime mais au même titre que tout le monde. En particulier pour les agriculteurs bio qui avaient avant une aide au maintien pour reconnaissance des services environnementaux rendus. »
La nouvelle PAC introduit aussi plus d’autonomie pour les Etats-membres dans la distribution des aides. Pour cela, chaque pays a déposé un Plan Stratégique National (PSN) à la Commission européenne. Le plan français est en cours d’examen.
Pour les critères verts, la Commission peut s’appuyer sur les deux stratégies « de la ferme à la table » et sur la biodiversité. « Mais ces stratégies n’ont pas de valeur juridique, » analyse Benoît Biteau. « Alors que la Commission Européenne et du Parlement Européen ont une volonté écologique avec le Green deal notamment, on risque de mobiliser à nouveau une PAC avec des orientations qui ne vont pas dans le sens de l’urgence climatique. On risque de rater ce rendez-vous avec l’histoire ! ».
Vers une souveraineté protéinique
Un autre problème, c’est la dépendance européenne aux importations de protéagineux. Dans l’UE, la demande s’élève à environ 45 millions de tonnes de protéines brutes par an, dont un tiers est déjà couvert par le soja notamment venu des Etats-Unis. Une culture dont l’impact sur l’environnement est important.
Mais difficile pour l’UE de réduire sa dépendance car l’accord de Blair House signé en 1992 lui impose de limiter ses surfaces en protéines à 5,2 millions d’hectares alors qu’il lui faudrait exploiter de 15 à 18 millions d’hectares pour être autonome.
« Relançons des discussions multilatérales pour faire sauter cet accord de Blair house. Il y a des tractions diplomatiques à engager », estime Benoît Biteau.
Mais encore faudrait-il en avoir les moyens. « Pour avoir un poids protéagineux demain avec de bons rendements, il faut se doter de nouvelles techniques de sélection végétales » souligne Arnold Puech d’Alissac de la FNSEA. « Moi je veux utiliser moins de produits phytosanitaires mais il faut avoir des variétés plus résistantes. »