En Grèce, la tragédie ferroviaire de mardi (28 février) qui a coûté la vie à au moins 57 personnes — principalement des jeunes et des étudiants — a entraîné une vague de manifestations à travers le pays et pourrait bien mettre le parti au pouvoir, Nouvelle Démocratie (Néa Dimokratía, ND), en mauvaise posture avant les prochaines élections prévues pour le 9 avril.
Dans de nombreuses villes grecques, des jeunes ont manifesté pour réclamer justice concernant la collision d’un convoi de marchandises et d’un train reliant Athènes à Thessalonique, une grande ville universitaire située dans le Nord du pays. Le drame a suscité la colère des citoyens grecs, qui déplorent notamment la vétusté du réseau ferroviaire, divers problèmes dans le système de signalisation et de sécurité des chemins de fer.
Le dernier rassemblement en date, qui a eu lieu dimanche (5 mars) à Athènes, a dégénéré en affrontements entre la police et les manifestants, et les forces de l’ordre ont été critiquées pour avoir utilisé des gaz lacrymogènes sur la foule.
Selon la presse grecque, la tragédie ferroviaire pourrait bien avoir un coût politique important pour le Premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis (ND), dont le gouvernement a été pointé du doigt par les manifestants. Cela se reflètera lors des prochaines élections, le 9 avril prochain — une date qui coïncidera avec la cérémonie de 40 jours de commémoration des victimes de l’accident.
Le parti au pouvoir, Nouvelle Démocratie (Parti populaire européen, PPE), était jusqu’à présent en tête de tous les sondages.
Des excuses tardives et un recrutement « illégal »
Face aux vives critiques soulevées par une précédente déclaration attribuant la tragédie « principalement à une erreur humaine », M. Mitsotakis s’est finalement « excusé » dimanche dans un message sur Facebook.
« Je m’excuse personnellement mais aussi au nom de tous ceux qui ont gouverné le pays pendant des années car, effectivement, dans la Grèce de 2023, il est impossible que deux trains circulent en sens inverse sur la même ligne, et que personne ne le remarque », a-t-il déclaré.
Il a également promis de présenter prochainement de nouvelles mesures de sécurité des chemins de fer et de solliciter des fonds européens pour moderniser le réseau ferroviaire du pays.
Dans un communiqué, le parti Syriza (La Gauche), explique que les excuses du Premier ministre « ont été présentées avec cinq jours de retard ». Le principal parti d’opposition ajoute également que même en ce moment tragique, M. Mitsotakis essaye de rejeter la responsabilité sur les gouvernements précédents.
Les journalistes se sont eux aussi excusés, estimant qu’ils portent une part de responsabilité dans l’accident. En effet, dans une déclaration, le Syndicat des journalistes des quotidiens d’Athènes a présenté ses excuses pour avoir insuffisamment relayé les avertissements des cheminots et a promis de changer d’attitude à l’avenir.
« Cette tragédie met en lumière, de la manière la plus douloureuse cette fois, les problèmes structurels qui affectent les médias grecs », a déclaré le syndicat.
Dans le classement mondial de 2022 sur la liberté de la presse, la Grèce se place à la 109e position et est l’État membre de l’UE qui se trouve le plus bas dans le classement.
Par ailleurs, le chef de gare qui aurait commis l’erreur qui a entraîné cet accident ferroviaire sans précédent a été inculpé et placé en détention dimanche.
L’homme, âgé de 59 ans, doit répondre de l’accusation pénale de perturbation de la sécurité de circulation, passible d’une peine pouvant aller jusqu’à la prison à perpétuité.
Le parti Syriza a dévoilé des documents indiquant qu’au départ, il avait été embauché illégalement, puisque les documents suggèrent que la limite d’âge pour son poste était de 48 ans, et qu’il avait déjà dépassé cet âge lorsqu’il a été embauché.
« La seule chose que le gouvernement doit encore expliquer au peuple grec est quel facteur politico-gouvernemental a poussé et imposé l’embauche illégale du chef de gare », a déclaré l’opposition dans un communiqué.
En outre, vendredi dernier (3 mars), EURACTIV a révélé que le Parquet européen (EPPO) avait ouvert une enquête sur un contrat portant sur la mise à niveau du système de signalisation des trains grecs et le contrôle à distance. Si ce système avait été fonctionnel, une telle tragédie aurait pu être évitée.
« Bien arrivé.e ? »
Alors que les responsables politiques se chamaillent pour savoir qui est coupable, la colère gronde dans la société grecque.
Des milliers de jeunes sont descendus dans les rues des grandes villes du pays au cours du week-end pour réclamer justice.
La colère est encore montée d’un cran lorsque les médias ont rapporté que la police avait fait usage de gaz lacrymogènes dimanche lors de la manifestation à Athènes.
Νομίζω δε χρειάζεται σχόλιο pic.twitter.com/UuwwmNqC0e
— Nikolas Georgiou (@mpodil) March 5, 2023
« Bien arrivé ? », pouvait-on lire sur de nombreuses pancartes lors des manifestations, un slogan faisant référence au message envoyé par un parent à un étudiant qui n’est jamais arrivé à destination.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux messages contre le gouvernement ont été publiés.
« Ces jeunes […] sont montés dans le train pour aller étudier. Ceux qui ont survécu sont allés protester pour ceux qui sont morts et [la police] a fait usage de la violence contre eux », explique par exemple un parent.
« Nous assurons la sécurité »
Il y a quelques semaines, Kostas Karamanlis, qui a démissionné de son poste de ministre des Transports après l’accident, avait assuré que les chemins de fer grecs étaient sûrs.
À une question de l’opposition sur la sécurité des trains, il avait répondu : « C’est une honte que vous souleviez des problèmes de sécurité et je voudrais que vous retiriez immédiatement ce que vous avez dit […] nous assurons la sécurité. »
Par ailleurs, les médias grecs ont publié des documents soumis par l’association des cheminots à l’Organisation ferroviaire hellénique (OSE) plusieurs mois avant la tragédie. Dans ces documents, ils soulignaient les lacunes en matière de sécurité et le risque d’accident.
L’OSE avait alors répondu par un avis juridique indiquant que les accusations étaient « sans fondement ».
[Édité par Anne-Sophie Gayet]