La popularité de Vladimir Poutine, 18 ans après son arrivée au pouvoir, ne laisse planer aucun doute sur l’issue du scrutin en Russie le 18 mars prochain. Un engouement lié à une communication étudiée qui passe par la décrédibilisation systématique de tous les opposants.
Alea jacta est. Le second tour des élections présidentielles russes est un dispositif qui sert rarement, et qui ne servira sans doute pas mi-mars. Avec une côte de popularité qui dépasse les 80 %, et 71,5 % d’intentions de vote, Vladimir Poutine sera sans doute réélu pour un quatrième mandat, pour 6 ans, lors du premier tour des élections présidentielles, le 18 mars prochain.
Une date qui n’a pas été choisie au hasard : il s’agit du quatrième anniversaire de l’annexion de la Crimée. Violation territoriale pour les Occidentaux, cette annexion a pourtant redoré le blason de Vladimir Poutine aux yeux de Russes à une époque, 2014, où l’économie battait de l’aile et où les sondages d’opinion à son égard chutaient dangereusement.
Vladimir Poutine doit surtout sa popularité à une politique de communication très efficace. « Il se présente comme un homme très fort, très sportif, qui correspond bien à l’idée que la population russe se fait du chef », explique Claude Blanchemaison, ancien ambassadeur de France à Moscou et auteur de Vivre avec Poutine. « Par ailleurs, avec les affaires ukrainiennes et syriennes, il a fait preuve d’une certaine capacité militaire » soutient le spécialiste.
Contrôle extrême
Son image d’homme de la situation, il la construit aussi grâce à un contrôle extrême de tout ce qui l’entoure. À commencer par ses adversaires, puisque c’est l’administration présidentielle qui sélectionne les candidats. Or sur les sept candidats autorisés à se présenter, aucun ne risque de lui faire de l’ombre. Premier pressenti derrière Vladimir Poutine, le candidat du parti Communiste, Pavel Groudinine, n’est crédité que de 7,3 % des voix, selon un sondage réalisé par le centre de sondage contrôlé par l’État, VTsIOM.
Le Centre Levada, l’un des grands instituts de sondage indépendants du pays, est considéré par le Kremlin comme un « agent de l’étranger » et n’a donc pas le droit de publier ses enquêtes d’opinion durant la campagne présidentielle, qui ne dure qu’un mois.
La mainmise du président sur les médias lui permet aussi de discréditer ses concurrents à la télévision, comme sur cette vidéo publiée par la chaine RT d’un débat pour la présidentielle, où l’on voit le nationaliste Vladimir Jirinovski insulter de manière virulente la seule candidate femme, Ksenia Sobtchak, et la traiter de « prostituée ».
La multiplication des candidats ne représente ainsi aucun risque pour lui, mais lui permet de donner l’apparence d’une démocratie. Le seul candidat qui aurait pu lui faire de l’ombre, Alexeï Navalny, a été écarté pour cause de condamnations judiciaires.
Cet avocat de 41 ans est connu pour ses enquêtes poussées sur la corruption du gouvernement, qu’il publie sur son blog, et pour les manifestations d’ampleur qu’il a organisées. Derrière cette image d’alternative tant attendue à Vladimir Poutine, se trouve toutefois un personnage controversé, qui a coorganisé pendant des années les « marches russes », des manifestations anti-Poutine certes, mais aussi nationalistes, et avec le soutien de groupes racistes et d’extrême droite.
« Son programme est en réalité très populiste. Il promet ni plus ni moins ce que Vladimir Poutine promet. […] Il ne représente pas une alternative viable, il ne serait qu’un autre président populiste centriste, défendant les mêmes idées que Poutine. Je me fiche d’avoir deux candidats représentant les mêmes valeurs qui luttent pour le pouvoir, ce qui m’intéresserait, c’est de voir des valeurs différentes », assure Ivan, 30 ans, mathématicien vivant à Moscou.
Absent de tout débat, Vladimir Poutine ne s’efforce que d’une chose durant cette campagne : décrédibiliser et « fractionner ses adversaires à droite et à gauche pour les maintenir dans une position minoritaire », explique Claude Blanchemaison.
Alexeï Navalny appelle quant à lui à un boycott des élections et demande aux électeurs de ne pas aller voter.
Un seul risque : l’abstention
Décriée par certains car elle apporterait une supériorité numérique encore plus importante à Vladimir Poutine, la stratégie de l’opposant est pourtant ce que redoute le plus le président russe : l’abstention. Qu’ils soient pour ou contre Poutine, les électeurs vont-ils se déplacer pour une élection sans enjeu ? « Je ne vais pas voter car je considère que je n’ai pas le choix et je ne veux pas légitimer cette élection. D’ailleurs ce n’est pas une élection », estime Elya, 27 ans, journaliste à Saint Petersbourg.
Ces élections ayant surtout pour but de légitimer son régime, Vladimir Poutine doit s’assurer un taux de participation élevé et veut donc attirer les électeurs par tous les moyens. Dans un article du 1er mars, RFI rapporte que dans certaines régions, des concours de selfies vont même être organisés dans les bureaux de vote, avec à la clé, des iPhone, iPad ou voitures à gagner.
Jeunesse prise en étau
Face aux problèmes économiques du pays, Vladimir Poutine sait qu’il est désormais urgent de réformer l’économie, rendre l’industrie russe plus compétitive, multiplier les investissements.
« Vladimir Poutine est conscient du fait que ‘l’effet Crimée’ ne peut pas être répété, et que la légitimité du gouvernement et la survie du régime dépendront de sa capacité à satisfaire les besoins matériels basiques de la population », soutient l’ECFR dans un nouveau rapport intitulé « l’avènement de la Russie post-Poutine ».
Les jeunes qui votent pour la première fois cette année ont 18 ans et n’ont connu que lui. L’argument de ses performances économiques depuis son accession au pouvoir en 2000 commence donc à devenir un peu obsolète pour une grande partie de la population.
Les Russes ont un grand attachement à la stabilité et pour eux Vladimir Poutine est l’homme fort qui a rétabli l’ordre économique et social. « La société russe était mise à mal dans les années 1990. Les gens de plus de 40 ans se souviennent trop bien de cela et voient que la situation s’est considérablement améliorée grâce à Poutine », explique Ivan, 30 ans, avant d’ajouter : « je n’aime pas Poutine parce que j’ai vécu en Suède et en Allemagne et que je compare la Russie aux pays d’Europe du Nord ou de l’Ouest. Donc je me dis que ça pourrait être mieux. Alors que mes parents comparent la situation actuelle avec la Russie de 1993, quand les tanks prenaient d’assaut la Maison blanche à Moscou, ou celle de 1998, quand le pays a fait faillite. Eux se disent que ça pourrait être pire ».
Claude Blanchemaison espère quant à lui que l’UE profitera de ce quatrième mandat pour prendre ses responsabilités et faciliter la circulation des jeunes, des chercheurs, des artistes. « Ce n’est pas en faisant cet espèce de blocus de la Russie qu’on facilitera le changement. Un jour Vladimir Poutine aura un successeur, il faudra alors que les jeunes soient formés. »