Avant son départ, la présidente de la commission Transport et Tourisme du Parlement européen (TRAN), Karima Delli, dresse son bilan et présente les futurs grands dossiers qui reviendront à son successeur. Entretien.
Limitée par les règles internes de son parti, les Ecologistes, à trois mandats successifs en tant qu’eurodéputée, la responsable politique originaire du nord de la France quittera le Parlement européen à la fin de ce mandat, après 15 ans dans l’hémicycle dont sept à la tête de la commission TRAN.
Responsables d’environ 30 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE, les transports représentent un enjeu clé dans la transition écologique, économique et sociale.
Au cours de ses sept années de présidence à la commission TRAN, 54 textes ont été adoptés dans un secteur aussi transversal que stratégique.
D’abord, Karima Dell se dit fière d’avoir renforcé la visibilité d’une commission qui, selon elle, était auparavant « peu reconnue, très masculine et réputée conservatrice », ajoutant que « [s]on plus beau bilan, c’est d’avoir porté sur le devant de la scène la question des transports ».
Victoires
Soucieuse de se concentrer sur ses réalisations en matière de décarbonisation, elle a déclaré que l’action en faveur du climat avait été un fil conducteur.
Avec l’introduction d’une interdiction de vente des véhicules à combustion en 2035 et le déploiement d’infrastructures de recharge pour les voitures électriques, explique-t-elle.
« On a envoyé un message très clair à l’industrie automobile qui aurait bien encore exploité jusqu’à la dernière goutte de pétrole ».
Cette décarbonation des mobilités s’accompagne de l’adoption de seuils minimums en carburants durables pour l’aviation et de l’obligation dès 2030 pour tous les paquebots d’utiliser le raccordement électrique lorsqu’ils sont à quai, évitant ainsi de continuer à faire tourner les cheminées.
L’autre sujet de fierté pour Karima Delli est l’intégration d’une stratégie pour le vélo dans le Pacte vert pour l’Europe (Green Deal). L’objectif est de doubler le nombre de trajets quotidiens à vélo en Europe. Un objectif qui peut être atteint par la construction de pistes cyclables sécurisées et de plus de parkings à vélos.
Au sujet de la connectivité ferroviaire entre les États membres, l’élue écologiste met en avant la mise en place de la première carte des trains de nuit en Europe, mais aussi la création de nouvelles connexions avec l’Ukraine et la Moldavie pour renforcer l’acheminement de matériels militaires.
Regrets
Malgré ces succès, Karima Delli regrette toutefois l’adoption de textes pas assez ambitieux selon elle, comme celui visant à réduire les émissions du transport routier (normes Euro7).
« Je suis assez fâchée parce que sept ans après la commission d’enquête [présidée par Madame Delli à la suite du Dieselgate], l’éléphant a accouché d’une souris. On a une norme au rabais qui ne changera rien ou très peu », déplore-t-elle, alors que 300 000 personnes meurent chaque année de la pollution de l’air en Europe.
L’autre ombre au tableau serait, selon elle, l’adoption récente par le Parlement européen de l’autorisation de circulation des « méga-camions » en Europe.
Pour l’eurodéputée, ce texte va « tuer le Green Deal » en laissant des camions de plus de 40 tonnes rouler à travers l’Europe. « J’appelle la France à être cette citadelle assiégée et de savoir dire non [au moment du vote du Conseil prévu ce 18 juin] », lance-t-elle.
Les futurs dossiers de la commission TRAN
Bien que la future commission TRAN ne sera plus présidée par Karima Delli, cette dernière a toujours des vues claires sur les futures politiques européennes.
Avant toute chose, « le Green Deal ne doit pas être en demi-teinte, il doit donner une cadence très forte sur l’industrie, sur l’agriculture, sur les transports, avec une volonté réelle d’être à l’avant-garde, affirme-t-elle. Ce qui est sûr, c’est que nous allons devoir nous battre pour défendre le Green Deal et sa mise en place dans la prochaine mandature ».
Pour l’implémenter, il faudra plus d’investissement avec un véritable plan de relance. « Il va falloir qu’on paie l’économie décarbonée par l’économie carbonée », souligne l’eurodéputée. Elle appelle même la prochaine commission TRAN à se battre pour un plan de relance spécial sur les transports.
En outre, « l’Europe doit redevenir le continent le plus solidaire » via notamment une redistribution plus juste des fonds d’aides européens, financée par exemple par le nouveau système d’échange de quotas d’émission pour les bâtiments et le transport routier (SEQE 2), qui entrera en vigueur en 2027, propose l’élue.
Mesures pour le train
Le SEQE2 contribuera à développer les transports publics, accélérer les ouvertures de lignes ferroviaires et fournira, selon elle, les recettes nécessaires pour un « vrai » fonds social européen qui permettra de soutenir les ménages les plus précaires.
« On ne peut pas avoir des gilets jaunes à l’échelle européenne », met en garde Karima Delli sur la mise en place de ce système, en référence au risque de protestation des citoyens face à une augmentation des prix des carburants.
Enfin, l’eurodéputée française espère que son successeur défendra également l’idée d’un « made in Europe » pour la construction des voitures électriques, encouragé par un protectionnisme européen similaire au modèle américain.
En conclusion de quinzaine d’années au Parlement européen, « je suis sûre d’une chose, où que je sois, je me battrai toujours pour le projet européen », conclut Karima Delli.
[Édité par Anne-Sophie Gayet]